Share |

Relever les universités américaines brisées, par Daniel Pipes

Relever les universités américaines brisées
par Daniel Pipes

Quand le FBI nous informe que certains parents sont prêts à verser jusqu'à 6,5 millions de dollars de pots-de-vin pour faire entrer leurs enfants dans de prestigieuses universités, on pourrait penser à première vue que tout va très bien dans le monde universitaire américain. Or, Warren Treadgold nous dit que tout cela n'est qu'une illusion.

Professeur émérite d'histoire byzantine à l'Université Saint-Louis, Warren Treadgold a également enseigné à Berkeley, à FIU, à Hillsdale, à Stanford et à l'UCLA. Entré à l'université en 1967, il met sa longue expérience à profit pour à la fois établir le diagnostic et proposer le remède pour celle des grandes institutions américaines qui est la plus inféodée aux idées de gauche. Son livre intitulé The University We Need (« L'université qu'il nous faut », Encounter, 2018) expose un argumentaire perspicace et tout en finesse.

Treadgold fait état de l'existence d'une maladie profonde : au sein des facultés, les comités de sélection écartent régulièrement les candidats les plus aptes par crainte d'être démasqués par ces derniers. Selon l'auteur, ces comités seraient même capables d'éconduire Albert Einstein. En revanche, ils ont coutume de favoriser « seulement les Noirs, les Hispaniques et les femmes qui se portent candidats et qui correspondent aux points de vue approuvés par les universités. » Il n'est pas surprenant de voir des étudiants diplômés préparer des thèses au contenu obscur et jargonneux, dans l'espoir de gagner, avec leurs « publications peu à la mode », la faveur de jurys de thèse paresseux. En vue d'obtenir des évaluations positives de la part de leurs étudiants, les professeurs soudoient ces derniers en leur attribuant des notes élevées. Par ailleurs, au cours des dernières décennies, le nombre d'administrateurs (c'est-à-dire « les professeurs n'ayant pas d'intérêt pour l'enseignement et la recherche ») a doublé.
 
Mais ce qui est pire, c'est la pensée idéologique grégaire : « L'opinion dominante considère la lutte contre le racisme, le sexisme et les autres formes d'oppression d'un intérêt tellement vital que cette lutte passe avant toute autre considération » en ce compris la recherche universitaire rigoureuse et l'enseignement de qualité dispensé à la jeunesse (avec pour conséquence, « des cours médiocres sur des sujets non pertinents »). Le dogme de gauche – qui s'obstine à juger le passé avec les normes du temps présent, à glorifier les groupes supposément oppressés, à remplacer les faits par des « récits » et à se prosterner devant la « justice sociale » – règne sur pratiquement toutes les institutions d'enseignement supérieur.

Treadgold soutient que tout cela n'est pas sans importance puisque ce qui germe à l'université se diffuse ensuite dans tout le pays. Il suffit de voir la U.S. Court of Appeals for the Ninth Circuit [NdT la plus grande instance d'appel de la justice américaine dont le ressort couvre 9 États de l'Ouest] ou les radicaux Démocrates à la Chambre des Représentants. En effet, « il nous faut de bonnes universités au même titre qu'un réseau électrique fiable et une distribution d'eau potable sûre. »

Mais où peut-on trouver ces bonnes universités ? Les tentatives pour relever les institutions existantes ont été un échec, comme John Silber de l'université de Boston l'a appris à ses dépens. Qu'importent ses capacités et son dévouement, un président ne peut pas chambouler une université de façon durable. En guise d'alternative, Treadgold envisage de créer une nouvelle grande université à partir de zéro.

Cette nouvelle université aurait comme priorités de vrais débats et non des zones de sécurité, des administrateurs temporaires et non permanents, l'excellence et non le conformisme, la diversité des idées et non la diversité des couleurs de peau, un enseignement général et non des cours sur des sujets particuliers (« Momies, Zombies et Vampires », sic), des voyages d'étude à l'étranger et non des campus étrangers, des départements forts et non des études interdisciplinaires, de la vraie recherche et non du blabla postmoderne.

Le projet de Treadgold prévoit jusqu'aux plus petits détails : ainsi le campus universitaire qu'il imagine comprendrait des dortoirs dotés « de lits étroits propres à dissuader de découcher ». Il propose un endroit situé à 40 km de Washington D.C., qui permettrait l'accès aux coulisses du pouvoir sans subir les intrusions de celui-ci.

Un lit étroit dans une résidence universitaire.
 
Ce qui est particulièrement intéressant, c'est qu'il appelle à se concentrer sur des sujets que les autres universités évitent parce qu'elles les jugent trop controversés, comme « le génie climatique, les conséquences de l'éclatement des familles ou encore les inconséquences philosophiques de la culpabilité collective. » Il prédit que ce nouveau-venu sera un défi lancé au monde guindé de l'élite universitaire, un bouleversement du statu quo et l'exemple d'une nouvelle norme de qualité.

Dans une autre analyse, Frederick M. Hess et Brendan Bell ont fait le calcul et ont conclu que le coût de la construction et de la dotation à long terme d'une telle université reviendrait à 3,4 milliards de dollars. C'est une coquette somme qu'il faut toutefois relativiser quand on sait qu'en 2017, l'ensemble des donations consacrées à l'éducation supérieure s'est élevé à 43,6 milliards de dollars. Ces 3,4 milliards ne représentent par ailleurs qu'une partie de l'immense richesse dont disposent certains conservateurs (ohé Charles et David, ohé Sheldon, ohé Rupert). Ensemble ou à titre individuel, ces derniers pourraient, à la manière des grands mécènes du XIXe siècle, financer cette « université qu'il nous faut ».

Si ce plan rompt radicalement avec ce qui se passe depuis un certain temps – pas une seule recherche universitaire privée de premier plan n'a été financée depuis plus d'un siècle – son impact potentiel pourrait inciter certains à mettre la main au portefeuille. Treadgold soutient que « rien de ce que peut faire un donateur à l'heure actuelle n'aura un impact social, culturel ou politique à long terme aussi important que la contribution au financement d'une nouvelle université de pointe. » Mais cela doit se faire rapidement car le temps presse. Les universitaires qui pourraient travailler dans cette institution partent à la retraite ou meurent sans être remplacés.

L'ouvrage de Treadgold, The University We Need, constitue un tour de force dont l'ambition est de perpétuer la grande tradition américaine de l'éducation supérieure. La question qui se pose maintenant est de savoir si le projet va trouver une audience et, plus précisément, si les milliardaires conservateurs vont répondre à l'appel lancé par Treadgold.

Commentaires

Publier un nouveau commentaire

Le contenu de ce champ sera maintenu privé et ne sera pas affiché publiquement.
CAPTCHA
Cette question permet de s'assurer que vous êtes un utilisateur humain et non un logiciel automatisé de pollupostage (spam).
Image CAPTCHA
Saisir les caractères affichés dans l'image.

Contenu Correspondant