Ron Cahlili — Hatsarfokaïm (2018)
Tsarfokaï (צרפוקאי) est un mot valise méprisant composé de Tsarfati (français, צרפתי) et Marokaï (Marocain, מרוקאי). Il désigne les Français originaires du Maghreb qui ont fait leur alya ces dernières années (environ 40 000 nouveaux migrants).
En début d’année, Ron Cahlili (רון כחלילי) a sorti pour la télé publique (כאן 11, Kan 11) un documentaire en trois volets parlant de cette alya. Le documentaire s’appelle les Tsarfokaïm (הצרפוקאים). Je suis resté collé à mon écran plusieurs soirs, revenant sur certaines rencontres, sur des conversations à bâtons rompus… Cahlili donne à réfléchir sur Israël, sur la France, sur les politiques d’accueil et d’intégration des migrants, sur le racisme et les prophéties autoréalisatrices en général. Le documentaire est un genre dont je me méfie et je suis assez étonné d’avoir eu à ce point envie de vous parler de celui-ci, d’autant que le sujet est facilement polémique. Mais voilà, j’avoue que là, je me suis pris une bonne claque.
Le premier épisode, les nouveaux Tsarfokaïm, dresse un éventail de Français qui ont fait leur alya, de Tel Aviv à Netanya jusqu’aux colonies en Cisjordanie. Ils sont renvoyés à leurs stéréotypes : religieux, de droite… Croyant venir de l’occident ils sont catégorisés orientaux en Israël. Ils ont un général du mal à s’intégrer. La vie est plus dure en Israël qu’en France, il faut travailler plus et tout est plus cher. Cette partie est particulièrement réussie pour la diversité des opinions exprimées qui dresse un ensemble complexe et nuancé.
(Le même avec les sous-titres en hébreu, notez la typo dans la version française : le film commence bien à Jerusalem-est et pas Jerusalem-ouest. C’est correctement indiqué dans la version hébraïque.)
Le second épisode, une vie d’aller-retours, se passe surtout en France, suit des Juifs sur le point de faire leur alya et d’autres pour qui il n’est pas question de la faire. Il montre que la plupart des Juifs français ne comptent pas faire leur alya, que l’antisémitisme n’est pas la cause profonde de l’alya, plus un déclencheur. Plusieurs intervenants sont particulièrement limpides, comme Eva Illouz, célèbre sociologue de l’université hébraïque, Daniel Ben Simon [en], ancien journaliste et député travailliste, et Ofer Bronchtein, ancien conseiller d’Yitzhak Rabin.
(Le même avec les sous-titres en hébreu)
La troisième partie, retour vers le futur, est le climax de la série. Pourquoi les Juifs d’Afrique de Nord venus en France ont bénéficié de l’ascenseur social alors que ceux qui sont allés en Israël sont aujourd’hui encore une population défavorisée ? Eva Illouz, Ofer Bronchtein, Daniel Ben Simon brillent particulièrement dans cette partie. Elle a définitivement chamboulé mes convictions sur le système éducatif français et sur la laïcité à la française.
(Le même avec les sous-titres en hébreu)
Bref, cette série de documentaires est une des choses les plus intéressantes que j’aie pu voir sur la vague d’alya française, et donne à réfléchir sur l’humanité en général. Elle est aussi un bon exemple du degré de liberté d’expression au sein de la télévision publique qui arrive très bien a regarder en face les problèmes de la société israélienne sur plusieurs niveaux et dans l’histoire.
En guise de cadeau bonus, je partage avec vous un échange du troisième volet qui a provoqué en moi en de ses rares moments où je suis fier d’être Français. Un homme d’affaire israélien explique comment il a réussi en France
Commentaires
Publier un nouveau commentaire