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Si Amalek divise les Juifs, par Daniel Farhi

 

 

Si Amalek divise les Juifs

Daniel Farhi

 

Encore une fois ce thème qui ne me lâche décidément pas et j’en demande par avance pardon à certains d’entre vous. Mais dites-vous que d’ici très peu, les derniers survivants de la Shoah auront tous disparus.

J’entends par survivants aussi bien les anciens déportés que les enfants cachés et leurs descendants de la première génération. Alors, encore un peu de patience et d’écoute je vous en prie.

 

Et puis, après tout, la fête de Pourim ne nous replonge-t-elle pas dans le sujet, elle qui vient nous parler d’une des premières tentatives de « solution finale » du peuple juif à l’époque du roi Assuérus, de son premier ministre Hamane, de la reine Esther et de son oncle Mardochée ?

Quelle est donc l’actualité qui m’incite à parler une nouvelle fois de la Shoah ? Je l’ai trouvée dans un groupe de Facebook intitulé « Shoah/Holocauste – Plus jamais ça », groupe « fermé » comprenant plus de 6000 membres.  

Parmi eux, du moins jusqu’à cette semaine, figurait Evelyn Askolovitch, déportée de Hollande avec ses parents à l’âge de 5 ans, épouse de l’écrivain et journaliste Roger Ascot (×– »×œ), mère du journaliste Claude Askolovitch, une grande dame très investie dans la communauté, notamment la Coopération Féminine.

Pour quelle raison Evelyn Askolovitch a-t-elle été sèchement exclue du groupe « Shoah/Holocauste – Plus jamais ça » ? Parce qu’elle, victime dans sa chair et dans celle de sa famille de la Shoah, a refusé qu’on mette sur un même pied les différents génocides du 20ème siècle, particulièrement celui des Arméniens (1915, 1.500.000 victimes), de la Shoah (1939-1945, 6.000.000 victimes) et du Rwanda (1994, 1.000.000 victimes).

Elle soutient la spécificité et le caractère unique du génocide dont fut victime notre peuple en Europe. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’accorde pas son attention ni sa compassion aux victimes des autres génocides. Mais, avec de nombreux observateurs et historiens, elle ne peut pas ne pas constater certaines différences fondamentales.

L’une des plus importantes est que les bourreaux nazis exécutaient méthodiquement, consciencieusement, sans états d’âme, un projet de destruction d’un peuple qu’ils considéraient comme des untermenschen – des sous-hommes –, une race à éliminer de la surface de la terre.

Leurs victimes, ils ne les ont pas traquées qu’en Allemagne, mais dans toute l’Europe. Aucun asile n’existait pour les persécutés. Leurs lois raciales étaient destinées à rendre impossible toute « contamination » de la race aryenne par les Juifs impurs, inutiles, nuisibles, dégénérés.

Alors que le génocide des Arméniens par les Turcs et celui des Tutsis par les Hutus avaient des racines et des motivations ethnico-politiques, celui des Juifs (et des Tsiganes) n’avait d’autre projet que de supprimer purement et simplement, sur des critères raciaux et de haine antisémite, une communauté humaine bien précise.

Aucun argument ne devait arrêter la main du bourreau : que l’extermination s’en prît à des intellectuels, des artistes, des philosophes, des écrivains, des musiciens de renommée internationale ne pesa jamais dans la balance. Que l’Allemagne se privât d’une part de ses élites pour les réduire en cendres importait peu à ses dirigeants aveuglés de haine et assoiffés de sang.

Dimanche dernier, 5 mars, j’ai eu l’honneur d’ouvrir le colloque du Bné-Brith de France consacré aux génocides du 20ème siècle. J’avais intitulé mon intervention : « Contre l’oubli, lire des Noms ». J’y ai bien entendu développé ce que pouvait représenter, 75 ans plus tard, la lecture des Noms des Juifs déportés de France.

Cette lecture que j’ai instituée en France en 1991 à l’occasion du Yom HaShoah, je l’ai reliée à l’importance du Nom dans le judaïsme, m’appuyant sur le livre de l’Exode que nous lisons en ce moment dans nos synagogues et qui, en hébreu, s’appelle Séfer Shemoth – le Livre des Noms –.

Il fallait, au cours de la longue servitude des Hébreux en Égypte, que chacun d’eux conservât la mémoire de ses racines et n’abandonnât pas son Nom. J’ai aussi dit l’importance de l’évocation de nos morts à l’anniversaire de leur disparition au cimetière et à la synagogue.

Mais j’ai aussitôt constaté que ce travail de mémoire était rendu impossible lorsqu’il n’y avait ni tombes, ni corps, ni date de mort. C’est le propre des génocides. Et c’est pourquoi je proposais comme une piste possible pour lutter contre l’oubli cette lecture annuelle des Noms. Je disais aussi combien ce rituel revêtait de signification pour les survivants et les descendants.

Au cours des séances successives (je n’ai malheureusement pas pu assister à toutes), j’ai été frappé par la reconnaissance qu’exprimaient tant les Arméniens que les Rwandais présents envers le Mémorial de la Shoah qui, depuis plusieurs années, organise des journées et des expositions relatives à leurs génocides.

Ils ont beaucoup appris de la mémoire juive et en ont tiré des enseignements qu’ils mettent ou mettront en pratique auprès de leurs communautés respectives. Je cite les travaux et réflexions de cette journée de dimanche dernier à cause de leur exemplarité. Tout d’abord pour indiquer qu’il ne peut y avoir de concurrence des génocides et de leur mémoire.

Mais aussi, et surtout, parce qu’il m’a semblé que pour nos frères et sœurs arméniens (il existe en France une Amitié judéo-arménienne) et rwandais, le peuple juif avait subi quelque chose d’unique, y compris par rapport à leurs souffrances personnelles, qui rendaient la Shoah unique, tout en pouvant apprendre de la manière dont les Juifs vivent, trois quarts de siècle plus tard, cette épreuve indicible pour laquelle le terme de génocide ne suffisant pas, il a fallu aller chercher dans la Bible un mot – Shoah – qui pût, peut-être, rendre compte de l’horreur.

Une des choses qui m’a frappé le plus fut l’intervention d’un historien Rwandais, Marcel Kabanda, qui nous dit, s’adressant aux Juifs dans la salle, qu’après le génocide, eux n’avaient pas de Noms à lire ; ils n’avaient que des corps à essayer d’identifier et à enterrer.

Je voudrais revenir, pour conclure, sur ce terrible débat dans le groupe Facebook dont j’ai parlé, et qui a abouti à l’exclusion scandaleuse d’Evelyn Askolovitch.

En général, on dit que les ennemis du peuple juif renforcent son unité. Ici, Amalek, symbole de nos persécuteurs à travers l’histoire, a eu raison de cette cohésion, et c’est une victoire pour lui, une défaite pour chacun de nous.

J’ai vu et entendu dimanche dernier les victimes des autres génocides se reconnaître dans la Shoah et demander à apprendre de ses survivants. Il serait bien que les responsables du groupe « Shoah/Holocauste – Plus jamais ça » fassent amende honorable vis-à-vis de cette digne et exemplaire dame qu’ils ont exclue, et qu’ils la réintègrent en leur sein.

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