Stéphane Amar: «Peut-on vraiment assimiler Israël à l’Afrique du Sud?»
L’ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, a accusé Israël d’être un «État-apartheid». Pour Stéphane Amar, journaliste vivant en Israël, la comparaison avec l’Afrique du Sud ne tient pas, et l’enjeu pour ce pays porte plutôt sur l’avenir des colonies en Cisjordanie.
La récente charge contre Israël de Gérard Araud, l’un des diplomates les plus en vue du Quai d’Orsay parti en retraite, a scandalisé l’Etat juif et ses amis en France. L’ex-ambassadeur à l’ONU (et auparavant en Israël) pointait «la situation d’apartheid» imposée aux Palestiniens de Cisjordanie et constatait l’attachement d’Israël au statu quo. Ressassée à l’envi par le BDS, une organisation vouée à l’isolement économique et culturel d’Israël, l’infamante accusation d’apartheid trône au cœur de l’arsenal idéologique propalestinien. En cela, elle constitue un chiffon rouge pour le gouvernement israélien. La sortie de Gérard Araud lui a d’ailleurs valu une mise en quarantaine et le ministère des Affaires étrangères à Jérusalem a convoqué l’ambassadrice française en Israël, Hélène Le Gal, pour exprimer son mécontentement.
Assimiler l’État d’Israël au régime des Afrikaners confine évidemment au grotesque. Israël compte près de deux millions de citoyens arabes, musulmans dans leur grande majorité. Ils jouissent strictement des mêmes droits que leurs concitoyens juifs: participation aux élections locales et nationales, liberté de circuler, d’entreprendre, accès au système de santé, égalité devant la justice etc. Selon de nombreuses études, les discriminations dont souffre la minorité arabe sont en net recul. Au contraire, les citoyens arabes connaissent un processus d’intégration spectaculaire. Médecins, avocats, chefs d’entreprise ou hauts fonctionnaires se comptent aujourd’hui par dizaines des milliers. Un Arabe israélien peut devenir directeur d’université, juge à la cour suprême ou même ambassadeur d’Israël. Jamais un Noir dans l’Afrique du sud de l’apartheid n’aurait pu rêver de tels horizons. Aucun racisme d’État ne prévaut en Israël et la simple observation d’un centre commercial, d’une université ou d’un hôpital israélien permet de constater l’intégration réussie des Arabes dans la société israélienne.
l’Autorité palestinienne ne possède aucun des attributs de la souveraineté. Elle ne contrôle ni ses frontières, ni son espace aérien. Elle n’a pas d’armée et ne frappe pas monnaie.
En Cisjordanie, un territoire conquis en 1967 et occupé militairement depuis, la situation est toute autre. Deux millions et demi de Palestiniens vivent dans ce territoire grand comme un département français. Ils ne sont pas citoyens d’Israël mais dépendent de son armée, Tsahal, de la naissance à la mort. L’autorité militaire – curieusement baptisée «administration civile» -, contrôle tout, à commencer par les déplacements. Certes, depuis la création de l’Autorité palestinienne dans les années 90 des fonctionnaires palestiniens servent d’intermédiaires avec la puissance occupante, la rendant moins visible au quotidien. Mais l’Autorité palestinienne ne possède aucun des attributs de la souveraineté. Elle ne contrôle ni ses frontières, ni son espace aérien. Elle n’a pas d’armée et ne frappe pas monnaie. Elle ne peut même pas autoriser l’un de ses administrés à se rendre à Jérusalem ou à l’étranger.
L’Autorité palestinienne a partiellement déchargé Israël du fardeau de l’occupation sans remettre en cause sa souveraineté sur l’ensemble du territoire. Elle rappelle à cet égard les gouvernements noirs autonomes que tentaient de promouvoir les Afrikaners. Les deux réalités présentent d’autres points communs. Pas de townships en Cisjordanie mais les dizaines de Palestiniens autorisés à travailler quotidiennement en Israël doivent impérativement regagner leur domicile le soir venu. Impossible pour eux de se déplacer sans un laissez-passer en règle. On retrouve même un peu du petty apartheid (l’apartheid mesquin) aux barrages militaires où les plaques jaunes (israéliennes) ont priorité absolue sur les plaques blanches (palestiniennes).
Mais les deux régimes présentent une différence fondamentale: en Cisjordanie la ségrégation ne se fonde ni sur la race, ni sur la religion, ni sur l’ethnie. Uniquement sur la citoyenneté. Un Arabe israélien traversant les territoires en voiture bénéficiera aux barrages des mêmes privilèges qu’un Juif. Quand un Palestinien de Jénine vit sous la loi militaire, son cousin de Muqueible, à cinq kilomètres de là mais à l’intérieur de la ligne verte, jouit de tous les droits d’un citoyen d’une démocratie moderne.
En Cisjordanie la ségrégation ne se fonde ni sur la race, ni sur la religion, ni sur l’ethnie. Uniquement sur la citoyenneté.
Gérard Araud remarque à juste titre qu’Israël s’accommode du statu quo en Cisjordanie. L’action du BDS lui crée des dommages dérisoires et aucune sanction internationale ne déstabilise le pays comme ce fut le cas pour l’Afrique du sud de Frederik de Klerk. Cela dit, l’occupation de la Cisjordanie depuis plus d’un demi-siècle pose d’évidents problèmes moraux à la démocratie israélienne. Il existe seulement deux moyens d’y mettre fin: la création d’un État palestinien indépendant ou l’annexion du territoire par Israël.
Stéphane Amar
Source: Le Figaro
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