Ukraine : La raison du plus fort a eu raison de la diplomatie
La Seconde Guerre mondiale s’est conclue par la domination des pays de l’Europe de l’Est par l’Union soviétique. Ce pays qui a infligé 80% des pertes à l’armée allemande est désormais une superpuissance. Le plan Marshall inaugure une ère de prédominance économique américaine à l’échelle mondiale. L’OTAN est établi pour établir des obligations de sécurité et de défense collectives de l’Amérique du Nord et de l’Europe occidentale.
L’OTAN a changé sa mission première de défense en intervenant en Yougoslavie le 14 mars 1999 pour mettre fin à l’épuration ethnique au Kosovo, au grand déplaisir de la Russie qui s’est toujours considérée comme protectrice des chrétiens orthodoxes serbes. En outre, la majorité des pays occidentaux ont reconnu l’indépendance du Kosovo le 7 février 2008 malgré l’opposition de la Serbie et de la Russie.
La même année, la Russie est intervenue militairement en Géorgie et a reconnu le 25 août l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. L’armée russe a occupé la Crimée et donné son soutien aux séparatistes ukrainiens en 2014. La révolution Orange a écarté du pouvoir les politiciens prorusses. Trois ans plus tard, le parlement ukrainien a entériné une demande d’adhésion à l’OTAN.
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L’Ukraine
Poutine veut rétablir une influence russe prédominante en Ukraine et n’est pas suivi par les pays de l’Europe de l’Est. Contrairement à Staline qui pouvait compter sur l’appui quasi aveugle des mouvances communistes d’Europe, Poutine ne peut compter que sur l’appui de la Biélorussie dont les élections présidentielles de 2020 ont été fortement controversées.
Le président Macron qui est le président de l’Union européenne l’année courante a essayé de négocier un rétablissement de la paix avec Poutine. Or, ce dernier ne reconnait pas l’Union européenne comme entité politique et préfère négocier avec chacun de ses pays membres séparément. Les chefs de gouvernement français et allemand ont rencontré Poutine qui a maintenu le flou sur ses intentions réelles.
Poutine a compris que l’Ukraine lui échappait. Dans son discours du 21 février 2002, il a laissé entendre qu’il a le droit de continuer son intervention au-delà du Donbass, se refusant à accepter l’existence même d’un nationalisme ukrainien, omettant des phases importantes de l’histoire de l’Ukraine, dont la Zaporozhian Sich qui a connu près de 200 ans d’indépendance par rapport à la Pologne, à l’Empire ottoman et à la Russie du XVIe au XVIIIe siècle.
Des accusations extravagantes de génocide lancées par Poutine contre l’Ukraine font penser qu’il n’arrêtera pas de sitôt son agression. Il pourrait chercher à rétablir un gouvernement prorusse à Kiev et mettre un frein à sa tendance prooccidentale.
La plupart des analystes penchaient pour ne pas prendre Poutine au sérieux : ses menaces ne seraient qu’un bluff. Ils se sont trompés, car le président russe a ordonné à l’armée russe de pénétrer dans la région du Donbass qui est entre les mains des séparatistes ukrainiens. Il a reconnu l’indépendance des régions séparatistes de Donetsk et de Lougansk en Ukraine, tout comme il avait fait pour l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Contrairement à toutes les attentes, il a envahi l’Ukraine. Et maintenant il brandit la menace atomique…
Les agissements de Poutine font penser à la méthode du salami à laquelle Hitler eut recours en prétendant défendre les Sudètes germanophones avant d’annexer la Yougoslavie, d’intégrer l’Autriche par l’Anschluss puis de partager la Pologne avec l’Union soviétique en 1939. Poutine a avancé qu’il défendait les russophones de l’Ukraine de l’Est avant d’envahir l’Ukraine. Il n’est pas exclu que Poutine cherche à intégrer la Biélorussie à la Russie.
L’escalade
Les agissements expansionnistes de Poutine augmentent d’un cran chaque fois qu’il perçoit une faiblesse des présidents américains.
En 2009, alors que Georges W. Bush est occupé par ses guerres d’Irak et d’Afghanistan, il occupe les régions séparatistes de Géorgie.
Six ans plus tard, Barak Obama s’est discrédité en n’intervenant pas lorsque le dictateur syrien a utilisé des armes biologiques, contrairement à son engagement à ce faire. Poutine en a profité pour établir deux bases militaires importantes en Syrie et y soutenir coute que coute le dictateur syrien Assad.
Peu de temps après, l’Armée rouge occupe la Crimée et la région ukrainienne du Donbass est déstabilisée. Les sanctions américaines et européennes relativement peu sévères auront eu peu d’effet sur l’économie russe.
Par ailleurs, l’Amérique s’est aventurée en Afghanistan et en Irak sans atteindre ses objectifs de stabilisation qu’elle s’était donnés et s’en est retirée. Le retrait désastreux d’Afghanistan a surement été interprété comme un autre signe de faiblesse de l’Amérique et de son président Biden. La Russie a donc envahi l’Ukraine.
Ainsi, depuis 1990, la Russie s’est rendue maître en Transnistrie, en Abkhazie, en Ossétie du Sud, en Crimée, au Donetsk, et au Louhansk. Rappelons que des quartiers entiers de la ville de Grozny en Tchétchénie ont été arasés et que les bombardements dans le Nord de la Syrie ont été faits sans discernement. Cela ne laisse pas de place à l’illusion quant à la cruauté des méthodes répressives de la Russie.
Le fait que des lanceurs de bombes thermobariques approchent de la frontière ukrainienne laisse prévoir le pire : il s’agit de bombes incendiaires qui peuvent enflammer l’air au-dessus de territoires entiers et carboniser en un rien de temps les défenses de l’adversaire en territoire urbain ou rural.
Un 11 septembre européen
Depuis 2014, les ressources financières des ventes d’hydrocarbures de la Russie ont servi en priorité à moderniser son armée. L’invasion de l’Ukraine met fin à l’état d’insouciance de l’Europe en regard de la paix prise pour acquise. Elle pourrait être perçue comme un 11 septembre européen. L’OTAN a retrouvé une raison d’être. L’Allemagne a voté un budget de défense futur de 100 milliards et la plupart des pays européens vont augmenter considérablement leur budget de défense. En effet, l’armée russe dispose actuellement d’une suprématie militaire absolue en ce qui concerne les armes conventionnelles. La sécurité de l’Europe est essentiellement garantie par le parapluie nucléaire américain.
Sanctions occidentales
Les nouvelles sanctions économiques imposées contre la Russie sont plus graves que les précédentes. Il faut tenir compte qu’elles peuvent avoir des effets négatifs sur l’économie des pays occidentaux compte tenu des tendances inflationnistes dans le contexte de la reprise économique post pandémie.
Poutine n’aurait pas agi s’il n’avait pas eu compter sur l’appui du président Xi de Chine. Des contrats d’exportation de gaz et de pétrole ont été entérinés. Des ventes de céréales russes à la Chine ont été sécurisées.
La Chine est en train de mettre sur pied un système de transactions financières internationales pour remplacer le système SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). Ce système sécurisé gère actuellement près de 40 millions de transactions par jour. Le système de transactions chinois CIPS (Cross Border International payments System) est en gestation. Néanmoins, les banques qui l’adopteront risqueront de ne pouvoir l’exploiter à satisfaction, car elles pourraient être déconnectées du système SWIFT. La Russie a des réserves qui approchent 630 milliards. La plupart de ces réserves sont gelées en Occident et le rouble dévalue au jour le jour. Les réserves de la Chine se montent à 4 milliards, dont deux milliards en bons du trésor américain. Ces considérations peuvent tempérer les velléités chinoises. Le dollar n’est pas près d’être désarçonné.
La carte énergétique
Le pipeline Gulfstream2 qui relie la Russie à l’Allemagne et qui a coûté plus de 10 milliards de dollars a reçu l’aval de l’administration Biden. Ce pipeline conduit le gaz russe directement en Allemagne sans passer par l’Ukraine. Naïvement, l’Europe a cru que l’achat de gaz russe stabiliserait les relations avec la Russie. Depuis l’invasion de l’Ukraine, l’Allemagne refuse d’accréditer ce pipeline.
L’Europe va chercher à diversifier ses sources d’approvisionnement énergétique ce qui va dégrader sérieusement une source de revenus importants de la Russie, compte non tenu de sanctions économiques à l’encontre de la Russie votées à l’unanimité par l’Union européenne.
Or, l’administration américaine a annulé des projets énergétiques importants pour des raisons écologiques : le pipeline canadien Keystone et l’exploitation du gaz de schiste américain ont été mis au rebut, ce qui fait que l’Amérique importe chaque jour un demi-million de barils de pétrole russe.
Pis encore, l’administration Biden s’est retirée du projet d’exploitation de gaz en Méditerranée, projet qui aurait assuré la prospérité d’Israël, de la Grèce et de Chypre d’une part, et amoindri la dépendance de l’Europe en gaz russe de l’autre.
Pis encore, étant donné que le Liban ne veut pas d’achat de gaz israélien direct, ce même gaz transite par l’Égypte, la Jordanie, la Syrie (qui, malgré l’embargo en retirera un pourcentage) puis le Liban ou le gaz sera en toute probabilité raflé le Hezbollah iranien… C’est à y perdre son latin !
Une diplomatie claudicante
L’administration américaine fait montre d’un dogmatisme crédule. Alors que Roosevelt voulait défendre les démocraties existantes, Georges W. Bush, Obama et Biden voulurent exporter la démocratie. Les sanctions imposées par ces deux derniers présidents contre l’Égypte puis l’Arabie coupables d’actions non démocratiques ont ébranlé leur confiance envers les États-Unis ; aussi les pays de la région ont-ils cherché à diversifier leurs sources d’approvisionnement militaire au profit de la France, de la Russie et de la Chine.
De plus, en snobant le prince héritier d’Arabie Mohammed Ben Salmane et le président du Brésil Bolsonaro et en traitant Poutine de tueur, Biden a coupé des ponts diplomatiques importants. De la même façon, le contact avec la Russie a été interrompu par Biden après l’invasion de l’Ukraine. Cela n’est guère judicieux car un lien fut-il ténu, peut éventuellement servir à débloquer des situations complexes. À l’opposé, Roosevelt qui savait bien de quelle cruauté Staline était capable, l’appelait Oncle Joe…
Obama avait réprimé avec ironie le candidat républicain à la présidence Mitt Romney qui affirmait que la Russie était encore un adversaire de taille en rétorquant que la guerre froide était depuis longtemps finie et que son opposant vivait dans le passé…
C’est la même naïveté dont Obama a fait preuve en espérant que l’accord des 5+1 sur le nucléaire iranien allait tempérer les ambitions expansionnistes de l’Iran. Biden s’apprête à refaire la même erreur, concession sur concession. La diplomatie américaine est un euphémisme de capitulation quand il s’agit de négocier avec l’Iran.
Le futur
Quatre scénarios sont envisageables : a) L’Ukraine est défaite et la Russie s’approprie une grande partie de son territoire. b) Un nouveau gouvernement pro russe est instauré en Ukraine. Dans ces deux premiers cas, les relations entre l’Union européenne et les États Unis d’une part et la Russie de l’autre restent tendues pendant très longtemps. c) Des négociations aboutissent à des compromis mais les relations avec la Russie seront teintées de méfiance durant de longues années. d) L’Armée rouge s’enlise et quitte l’Ukraine ; dans une telle éventualité, il est fort probable que la population conservatrice de Russie n’acceptera pas d’être humiliée et que le successeur de Poutine risque d’être encore plus radical. Dans tous les cas, Poutine sait qu’il perdra des plumes. Pourquoi n’irait-il pas plus loin encore dans ses exigences ?
Il n’en demeure pas moins que la contestation de l’invasion de l’Ukraine en Russie même pourrait changer la donne. Il ne faut pas oublier que c’est le nombre de victimes important qui a été à l’origine du retrait russe d’Afghanistan en 1989. L’implosion de l’Union soviétique en 1991 peut être imputée à la démystification de la propagande russe sur l’Occident décadent à l’ère des télécommunications et du village global.
À moins que la résistance ukrainienne à l’invasion russe ne se solde par une guerre d’usure meurtrière ou que la contestation en Russie même ne l’y oblige, Poutine continuera sa déstabilisation en Europe et ailleurs en vue d’un retour à un monde bicéphale regroupant les régimes démocratiques d’une part, et totalitaires de l’autre.
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