Vidéo. «Ziyara», le nouveau documentaire de Simone Bitton sur la mémoire juive au Maroc
La réalisatrice maroco-française, Simone Bitton, a présenté mardi à Casablanca, en avant-première pour la presse, son nouveau documentaire « Ziyara », un road-movie à la rencontre des gardiens musulmans de la mémoire juive au Maroc. Le film sera diffusé sur 2M dimanche 6 mars à 21h50.
Simone Bitton ne souhaitait pas faire « un film nostalgique mais un film sur le présent », commente Reda Benjelloun, directeur des magazines d’information et du documentaire chez TV 2M, en animant l’avant première de « Ziyara », mardi 1er mars 2022, au cinéma Rif de Casablanca. Ce qui est certain, c’est que la réalisatrice maroco-française signe un 13e film émouvant sans angélisme, poétique et teinté d’humour.
Mais comment ne pas ressentir de nostalgie à l’évocation de l’exil, des départs, des séparations et des morts? Tour à tour, les musulmans racontent les juifs qui vivaient avec eux au Maroc, avant leur émigration en Israël à partir des années 50. Avec affection, sincérité, précision pour certains malgré leur âge avancé, ils se souviennent. Ils se souviennent de cette partie de la population, arrachée, comme on se souvient d’un parent dont on n’a jamais vraiment compris la disparition.
A travers son second film sur le Maroc, la réalisatrice rend hommage aux « gardiens musulmans de la mémoire juive », particulièrement à ceux qui continuent de prendre soin des sanctuaires, cimetières et tombes des saints des Israélites. « Ziyara est un mot arabe qui signifie visite, voyage, pèlerinage. Au Maroc, on l’utilise surtout dans le contexte du culte des saints. On va « visiter » pour demander guérison ou bénédiction, présenter un nouveau-né, remercier d’un vœu exaucé », écrivait Simone Bitton en 2016 à l’aube de son projet sorti en France le 1er décembre 2021.
A travers sa caméra, la cinéaste nous emmène donc avec elle visiter les lieux funéraires et les saints israélites qui reçoivent encore en pèlerinage les juifs du monde entier, et même des musulmans, témoignant de l’histoire commune des deux communautés. Casablanca, Azzemour, Safi, Essaouira, Salé, mais aussi plusieurs villages du Haut et Moyen Atlas qui comptaient une grande communauté juive avant l’avènement de l’Etat hébreu, Bzou, Debdou, Ourika, Illigh…
La séquence dans ce dernier village se distingue par son intense symbolique. On y voit des ruines de maisons qui appartenaient aux juifs, et le guide les désignant nettement par les noms de chaque famille comme s’ils y vivaient encore. « Ici, il y avait les Benguigui, ici les Bendada, ici les Ben Youssef, ici Moshe Haroun… » Et on imagine toute la vie qu’il pouvait y avoir dans cette zone désormais inhabitée.
A Demnate, un villageois a pris l’initiative de constituer un petit musée sur la mémoire du Haut-Atlas avec la conservation d’objets juifs. Il se remémore le départ des juifs avec des trémolos dans la voix: « C’est dommage… J’espère qu’ils reviendront ». Même sentiment du côté de Mohamed Lotfi qui se souvient de son enfance au Maroc quand les juifs étaient encore présents: « C’est triste… Qu’est-ce que le Maroc serait devenu si les juifs étaient restés? », s’interroge le journaliste maroco-québécois.
Simone Bitton nous introduit également au musée du judaïsme marocain de Casablanca, le premier musée juif dans le monde arabe. Cet espace renferme une importante collection d’objets de culte juifs marocains, notamment des sefer torah. La conservatrice Zhor Rehihil déroule délicatement les longues feuilles du texte sacré israélite en disant « bismillah »…
Un à un, les intervenant expriment leur amour, leur respect et leur attachement présents à cette partie d’eux-mêmes qui n’est plus. Pour Fouad Abdelmoumni, il s’agit d’une « blessure dans le corps du Maroc qui nous a laissés extrêmement appauvris en matière d’altérité ». C’est de la tombe de son ami, l’opposant politique à Feu le roi Hassan II, Abraham Serfaty, reposant au cimetière Chouhada de Casablanca, que le militant des droits de l’Homme et économiste marocain prononce ces paroles de déchirement.
Fille de bijoutiers rbatis née en 1955 à Rabat, Simone Bitton a quitté le Maroc pour Israël à l’âge de 11 ans. Elle a ensuite étudié le cinéma en France et compte à son actif de nombreuses réalisations engagées pour une meilleure appréhension de l’Histoire. On cite notamment des films d’archives sur la Palestine ou encore une biographie politique, « Ben Barka, l’équation marocaine ».
A l’issue de cette projection, elle explique que ce tournage est né d’un « sentiment d’urgence et d’une prise de conscience d’un devoir envers d’où [elle] vient, pas seulement envers le Maroc mais la communauté dont [elle est] issue et qui n’existe plus. » Cette communauté qui a vécu « l’un des plus grands exodes, un immense traumatisme pour nous qui sommes partis, et aussi pour ceux qui sont restés », poursuit-elle, les larmes aux yeux.
Et d’abonder: « C’est aussi parce que je suis un dinosaure. En voie de disparition. Les juifs arabes, il n’y en a quasiment plus. Il n’y a quasiment plus d’enfants qui naissent en tant que juifs dans ce pays et dans le monde arabe. Si je ne fais pas ce film, qui le fera? »
La réalisatrice a d’ailleurs confié travailler sur un prochain documentaire qui portera sur une biographie de l’écrivain et politique originaire d’Essaouira, Edmond Amran El Maleh, décédé en 2010 à Essaouira.
Le grand public pourra découvrir « Ziyara » dans la case documentaire des Histoires et des Hommes sur la chaîne télévisée 2M le dimanche 6 mars à 21h50. Il est également programmé dans les instituts français du Maroc pendant le mois de mars.
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