Pour mieux comprendre la normalisation des relations du Maroc avec Israël
Par Dr Mohamed Chtatou
Le rapprochement entre le Maroc et Israël remonte à plusieurs années, notamment dans le domaine économique et commercial. La décision marocaine n’est donc pas une question de reconnaissance, mais plutôt une reprise des relations antérieures. Avec la reconnaissance marocaine, les échanges commerciaux avec Israël pourraient désormais aussi se développer. Car le Royaume a accédé à une vieille demande israélienne : l’établissement d’une liaison aérienne directe pour le transport des membres de la communauté juive marocaine et des touristes israéliens à destination et en provenance du Maroc. La reconnaissance du Sahara marocain par les États-Unis, en contrepartie de la normalisation des liens diplomatiques entre le Maroc et Israël, promet également des avantages économiques – bien qu’elle risque d’accroître les tensions avec l’Algérie ou avec le Polisario.
Pourtant, il est erroné de prétendre que la nouvelle liaison officielle ouverte n’est « qu’un » retour à une ancienne liaison – parce que cette ancienne liaison ouverte a été rompue pendant deux décennies entières, principalement en raison de vifs différends sur la question palestinienne. En 1994, peu après le premier accord d’Oslo entre les Palestiniens et Israël, le feu roi Hassan II avait entreprit des relations diplomatiques à un niveau subalterne (sans ambassadeur). En prenant cette décision, le Maroc est devenu le troisième pays arabe – après l’Égypte et la Jordanie – à établir des relations officielles avec l’État juif. Mais le roi actuel, Mohammed VI, les a finalement rompues le 21 octobre 2000, après le déclenchement de la deuxième Intifada, en signe de soutien fort aux Palestiniens.
Aujourd’hui encore, le roi a pris l’initiative d’appeler le président de l’Autorité palestinienne (AP) Mahmoud Abbas et de souligner le soutien indéfectible de son pays à la cause palestinienne. D’autres responsables marocains, dont le Premier ministre Saad-Eddine El Othmani et le ministre des affaires étrangères Nacer Bourita, se sont fait l’écho de ce point de vue. Et il convient de noter qu’en retour, apparemment, les hauts fonctionnaires de l’AP ont largement gardé le silence sur cette dernière normalisation arabe avec Israël – ce qui contraste fortement avec leurs récentes tirades contre ces mêmes initiatives des EAU, du Bahreïn et du Soudan.
Contexte historique avec une signification contemporaine
Dans le même temps, l’ouverture du Maroc à Israël a également des racines historiques, culturelles, religieuses et même personnelles profondes. Un lien particulier unit les deux pays, qui repose en partie sur la communauté juive marocaine avec laquelle le Maroc n’a jamais rompu. Il est vrai que cette communauté n’a pas été directement impliquée dans le nouvel accord de normalisation ; en fait, elle a été prise par surprise tout autant que les autres. Mais les dernières affirmations des responsables marocains selon lesquelles l’héritage de la minorité juive du pays constitue la toile de fond des relations avec Israël sont bien plus que de la simple rhétorique.
La Constitution de 2011 consacre même dans son préambule la richesse et la diversité des composantes spirituelles et culturelles (dont l’hébreu) qui forgent l’identité des Marocains. Le document stipule que, comme :
“Etat musulman souverain, attaché a son unité nationale et a son intégrité territoriale, le Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen. La prééminence accordée a la religion musulmane dans ce référentiel national va de pair avec 1’attachement du peuple marocain aux valeurs d’ouverture, de modération, de tolérance et de dialogue pour la compréhension mutuelle entre toutes les cultures et les civilisations du monde. “
Le judaïsme et les juifs sont presque aussi vieux que le Maroc lui-même. En effet, leur premier afflux remonte probablement aux alentours de 70 après J.-C., après la destruction de Jérusalem par les Romains. Les Juifs ont vécu sans interruption au Maroc jusqu’à leur migration massive vers Israël, à la suite de la création de cet État en 1948. Ils habitaient dans tout le pays, dans les villages, les villes et les cités, et vivaient principalement du commerce, des échanges et des finances. En raison de leur grande expérience dans le commerce international, les sultans marocains les ont nommés comme leurs agents financiers et commerciaux : tujjar as-soultan.
Un bon exemple de la coexistence interconfessionnelle au Maroc peut être observé dans la ville de Sefrou, située à 30 kilomètres au sud de Fès. À Sefrou, musulmans et juifs vivaient en harmonie, au point de vénérer le même « saint » enterré dans une grotte d’une montagne voisine. Le site a été appelé avec tact « Kaf al-moumen » (grotte des fidèles) parce que c’était un sanctuaire religieux à la fois pour les musulmans et les juifs, et que les temps de culte étaient également répartis.
L’exemple de Sefrou, connue sous le nom de Petite Jérusalem en raison de son importante population juive dans la première partie du siècle dernier, n’est pas unique au Maroc ; on la trouve dans d’autres endroits comme Debdou, Azrou, Fès, Rabat, Meknès, Marrakech, Essaouira et plus encore. Dans tous ces endroits vivaient de grandes communautés de Juifs qui pratiquaient leur foi et leurs métiers en toute paix et harmonie. Ils étaient des Marocains à part entière et, à ce titre, jouissaient de tous les droits et obligations de leurs concitoyens musulmans.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque la France occupée par les nazis a voulu persécuter les Juifs du Maroc, le feu roi Mohammed V a résisté à l’ordre. Il a appelé à la persécution de tous les Marocains, si cela devait se produire, au motif qu’ils ne sont pas différents de ses autres sujets dont il était responsable de la sécurité en tant amîr al-mou’minîn, “Commandeur des Croyants“ .
Suivant les traces de son père, le feu roi Hassan II a traité les Juifs marocains avec une grande déférence. Il a nommé l’un d’eux, André Azoulay, conseiller royal et a joué un rôle déterminant dans le rapprochement de l’Égypte avec Israël en 1977 sous Anouar Sadate, puis dans les contacts politiques entre Palestiniens et Israéliens qui ont abouti aux accords d’Oslo en 1993.
Résumant les différentes influences extérieures sur le Maroc, feu le roi Hassan II a décrit son pays comme un arbre qui a ses racines en Afrique, son tronc dans le monde arabo-musulman et ses branches en Europe. Aujourd’hui, les Marocains mettent fièrement en avant leur identité multiple et composite – amazighe, arabe, islamique, juive, africaine, andalouse et méditerranéenne – ainsi que leur tolérance et leur acceptation de l’autre qui ont fait leurs preuves.
À cet égard important, l’actuel roi Mohammed VI n’est pas différent de ses prédécesseurs. C’est un homme de dialogue et de coexistence. De ce fait, le Maroc est aujourd’hui un havre de paix et de coexistence entre toutes les religions et cultures et aussi une terre d’accueil pour immigrés africains et arabes qui fuient les problèmes économiques et les guerres civiles de leurs pays.
S’enorgueillir de l’héritage juif marocain
Le Maroc est aujourd’hui le pays arabe le plus fier de son héritage juif et, d’une manière générale, les Marocains regrettent ouvertement le départ des Juifs durant la période 1948-1973. Ceci a été illustré de façon remarquable dans un documentaire intitulé : « Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah« , réalisé par Kamal Hachkar et diffusé dans le monde entier. Officiellement, depuis l’époque de feu le roi Hassan II, tous les Juifs marocains qui sont partis possèdent toujours la nationalité marocaine et peuvent revenir au pays quand ils le souhaitent.
Plus récemment, le gouvernement marocain, à l’initiative du roi Mohammed VI, a lancé en 2010 un programme de réhabilitation des cimetières, synagogues et autres monuments juifs. Ainsi, 167 sites ont été réhabilités dans 14 régions, et un livre intitulé « Réhabilitation des Cimetières Juifs du Maroc « Les Maisons de la Vie « » a été présenté au grand public en février 2015 à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris, dans le cadre de l’exposition-événement « Maroc contemporain » :
“Cet ouvrage repère et répertorie les 167 sites funéraires juifs réhabilités aux quatre coins du Royaume du Maroc. Cette entreprise de réhabilitation répond à une démarche exceptionnelle lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI en 2010.
Véritables archives à ciel ouvert, témoins de l’enracinement millénaire des juifs du Maroc, porteurs de la mémoire vivace du pays, ces 167 sites funéraires sont le reflet d’une longue histoire que le Maroc de Mohammed VI a décidé de restaurer et d’intégrer à son patrimoine, en respect au Préambule de la nouvelle Constitution marocaine.
Mémoire des lieux, lieux de mémoire arrachés au passé et à l’oubli, des dizaines de cimetières et de mausolées continuent de témoigner et de veiller comme autant de sentinelles bienveillantes, et nous invitent à perpétuer leur mémoire comme un message de paix à l’heure des crispations et des conflits. “
Pour Serge Berdugo, le représentant de la communauté juive marocaine dans le pays, cette exposition a une forte portée symbolique et hautement religieuse et reflète l’engagement du Royaume en faveur des valeurs de modération, de dialogue et de respect de l’autre. Elle est l’expression d’une réalité et d’une culture enracinées dans la longue histoire du Royaume.
Aujourd’hui, le Maroc est le seul pays du monde arabe à posséder un musée exclusivement consacré aux traditions et à la culture matérielle des Juifs, qui ont habité le pays pendant plus de deux millénaires. Certains y vivent encore aujourd’hui, dans la paix, la dignité et le respect, bien que leur population soit passée de 250 000 en 1947 à environ 5 000 aujourd’hui. La communauté juive marocaine se trouve aujourd’hui principalement à Casablanca, et est connue pour être à la fois très active dans le développement économique du pays et très patriotique.
Des partenaires enthousiastes en Israël – mais jusqu’où cela va-t-il aller ?
La communauté de près d’un million d’Israéliens d’origine marocaine reste, pour sa part, attachée à sa patrie historique et ne la cache pas. Certains occupent des postes de haut niveau dans l’administration israélienne : pas moins de dix ministres du gouvernement de Benyamin Netanyahu, installé en mai dernier, sont au moins partiellement d’origine marocaine. Depuis vingt ans, c’est principalement par le biais d' »échanges culturels » avec cette communauté que les relations entre le Maroc et Israël se poursuivent.
Maintenant que les liens diplomatiques et commerciaux ont été restaurés, on peut s’attendre à ce que cette population numériquement et politiquement importante joue un rôle de soutien important, parallèlement à des échanges croissants dans les domaines de la sécurité, des affaires, de la science/médecine/environnement et autres. Par conséquent, même si ces nouveaux accords bilatéraux ne sont pas encore totalement normalisés, on peut s’attendre à ce que les relations pratiques et personnelles se développent.
Peut-être cela pourra-t-il aussi produire des dividendes de paix régionaux plus larges, puisque le Maroc a jadis contribué aux ouvertures égyptiennes et palestiniennes à Israël. Le royaume est prêt à remplir à nouveau ce rôle. La question de savoir jusqu’où les Israéliens, les Palestiniens ou d’autres peuvent choisir de suivre cette voie reste ouverte, même si les relations bilatérales entre le Maroc et Israël entrent dans une nouvelle phase de coopération pour leur bénéfice mutuel – avec un nouvel élément, et espérons-le durable, de bénédiction américaine.
Paranoïa sécuritaire classique de l’Algérie
Comme à son accoutumé, l’Algérie, en l’absence de son président, en traitement pour le Covid-19 en Allemagne, a dénoncé, par le biais de son Premier ministre la décision du Maroc voisin de normaliser ses relations avec Israël, la décrivant comme une tentative de déstabilisation de son pays. Une pratique paranoïaque algérienne classique de, toujours, désigner le Maroc comme ennemi sempiternel pour exporter ses problèmes internes décrié depuis le début de l’année dernière par les protestations populaires de rue, Hirak, face à la dictature militaire d’un demi-siècle.
Le Premier ministre Abdelaziz Djerad a appelé le peuple algérien à une véritable solidarité pour faire face aux défis auxquels est confronté le pays, affirmant que l’Algérie était « visée » au regard d’indicateurs de « réelles menaces à nos frontières, aux portes desquelles est arrivée à présent l’entité sioniste« . Il a souligné vigoureusement l’impératif de « ne pas occulter les périls au niveau de notre environnement immédiat en raison de l’instabilité de la région« , assurant que « l’Algérie est particulièrement visée« .
Il a, hautement, fait état, dans ce sens, d’opérations étrangères visant la déstabilisation de l’Algérie, ajoutant que : « les indicateurs sont, aujourd’hui, clairs au vu de ce qui se passe à nos frontières« . Face à ce constat, il a ajouté à l’adresse des Algériens « attention, lorsque nous disons qu’il faut s’unir et résoudre nos problèmes internes entre nous, le peuple algérien doit prendre conscience de l’importance des efforts de solidarité et de fraternité pour trouver les meilleures voies à même de sortir de cette crise« .
Par contre, pour le Hirak, ces déclarations belliqueuses sont une énième tentative vaine de discréditer non pas le Maroc seulement mais aussi la révolte populaire pacifique du peuple algérien pour un changement démocratique.
Et comme d’habitude, l’Algérie a ordonnée à sa marionnette, le Polisario, de déclarer “la guerre médiatique“ au Maroc en faisant appel aux concepts usés de : “autodétermination des peuples“, “décolonisation“, “lutte des peuples opprimés“, etc. et en essayant vainement de faire apporter de l’eau internationale à son moulin désuet et ses thèses passéistes.
Synagogue marocaine