"Shtisel", un régal d'exactitude sociologique et anthropologique"
A l'occasion de la sortie sur Netflix de la saison 3 de la série "Les Shtisel : une famille à Jérusalem", l'anthropologue Florence Heymann revient au micro de Marie Sorbier sur la véracité de ce portrait d'une communauté juive ultra-orthodoxe.
Depuis sa sortie sur Netflix, la série Les Shtisel : une famille à Jérusalem connaît un succès retentissant. Sur trois saisons, la vie quotidienne d'une famille ultra-orthodoxe à Jérusalem. En contrepoint aux nombreux fantasmes que véhiculent des communautés fermées comme les Haredims, ces Juifs ultra-orhdoxes, la série nous fait vivre le quotidien d'une famille du quartier de Geula à Jérusalem. Au micro de Marie Sorbier, l'anthropologue et chercheuse au Centre français de Jérusalem Florence Heymann affirme que Les Shtisel ne montre pas une vision romantisée des Haredim mais un traitement fidèle des enjeux contemporains de cette communauté.
La série Les Shtisel a été créée et écrite par Ori Elon et Yehonatan Indursky, qui viennent eux-mêmes de la communauté ultra-orthodoxe. L'un vient d'une communauté religieuse sioniste, et l'autre vient de l'ultra-orthodoxie, mais en est sorti. Ce dernier est passé par l'association Hillel, qui aide les ultra-orthodoxes qui quittent leur communauté à se resocialiser.
Ce qui est extraordinaire dans cette série, par rapport à d'autres qui ont pu mettre en scène des ultra-orthodoxes, c'est son exactitude anthropologique et sociologique. C'est un régal de voir cette série quand on connaît bien ce milieu. Florence Heymann
La série tend également à casser l'image d'austérité souvent associée à cette communauté ultra-orthodoxe, sans pour autant en faire un portrait idéalisé. Au fil des saisons, on s'aperçoit qu'il s'agit avant tout de femmes et hommes animés des mêmes passions, chagrins et lubies que tout autre humain. Si c'est cet aspect humanisant qui a particulièrement touché un des acteurs de la série, Michael Aloni, Florence Heymann rappelle que la communauté des Haredim n'est pas sans difficultés.
C'est une société avec énormément de problèmes, notamment dans la confrontation avec le reste de la société israélienne. Ce n'est pas une société homogène, comme la série le laisse penser. Florence Heymann
Les Shtisel met en scène une partie restreinte de la communauté ultra-orthodoxe : les Yerosolomitains, qui vivent dans le quartier de Mea She'arim et sont les descendants ashkénazes de l'ancien Yishuv, territoire qui correspond à la Palestine d'avant la formation de l'Etat d'Israël en 1948. Il s'agit donc d'une portion réduite de la société ultra-orthodoxe, qui est beaucoup plus large et hétérogène, précise Florence Heymann.
Les Haredim vivent entre eux, dans des espaces ghettoïsés spatialement, socialement et culturellement, essayant de réduire le plus possible les contacts avec la société extérieure. Difficile néanmoins de ne pas voir et être confronté à cette population d'un million d'habitants, ce qui représente près d'un septième du nombre total de Juifs sur le territoire israélien. Si certains espaces sont ghettoïsés, d'autres sont bien plus mêlés à la vie d'autres quartiers.
Quand on vit à Jérusalem, on les croise en permanence. Je vis dans un quartier mixte, d'une grande hétérogénéité, où l'on trouve des laïcs, des traditionalistes, des religieux nationaux et des ultra-orthodoxes. Et même s'ils sont rassemblés dans un faubourg de Tel-Aviv, leur deuxième capitale après Jérusalem, il y a aussi des groupes ultra-orthodoxes dans le reste de la ville. Florence Heymann
Pour Florence Heymann, il est certain qu'une série à succès diffusée sur Netflix peut contribuer à mieux comprendre cette communauté.
Ce sont des êtres humains avant tout. Des gens qui aiment, qui ont peur, qui évoluent. C'est une société qui s'agrandit en permanence, et qui a donc de plus en plus de contacts avec la société alentour. Florence Heymann
La série Les Shtisel est également très populaire en Israël. Si elle a pu faire évoluer la vision des ultra-orthodoxes au sein de leur pays, Florence Heymann rappelle que la société ultra-orthodoxe est très hétérogène. Les Haredim sont le sous-groupe ultra-orthodoxe le plus pauvre, qui dépend financièrement des subsides de l'Etat et d'aides de l'étranger. L'enchainement des crises économique et sanitaire a affecté cette communauté où les hommes, depuis les 1960, ne travaillent pas.
Tout repose sur les femmes, qui ont en général des professions. Les hommes passent leur vie dans des académies talmudiques jusqu'au mariage, puis continuent à étudier dans des kolelim. Pour pouvoir faire bouillir la marmite, les femmes doivent être plus éduquées dans les matières profanes. Cela crée des changements au sein des familles et dans la communauté toute entière. Florence Heymann
Une des évolutions tient à l'influence que les ultra-orthodoxes qui viennent de l'étranger et passent quelques années en Israël ont sur les ultra-orthodoxes israéliens. Ayant été plus souvent confrontés à la société extérieure, ils amènent avec eux des habitudes différentes et une autre ouverture sur le monde. Un autre élément qui remet fondamentalement en question le mode de vie des Haredim est le développement des réseaux sociaux.
Les rabbins essaient à chaque fois de trouver des parades. Pour les smartphones, ils ont trouvé des téléphones kasher. Il est prohibé d'avoir Internet, ou un appareil photo. Florence Heymann
Source : France Culture