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Qu’est-ce que le fascisme ?
Par Richard Prasquier

La polémique sur le terme de « facho » utilisé par Yassine Benattar à l’encontre d’Eric Naulleau ressemble à une tempête dans un verre d’eau, mais elle n’est pas sans enseignement.

Naulleau est ou a été un copain de Zemmour, il a interviewé Jean Marie Le Pen et a écrit un livre avec – ou contre- Soral. Je déteste l’idée de dialoguer avec un négationniste, mais cela ne suffit pas à le qualifier de fasciste.
Sa réaction a été spectaculaire : il a failli en venir aux mains en direct et je ne pense pas qu’il ait surjoué sa protestation.

Dans ma jeunesse déjà, être traité de facho, on disait alors plutôt «faf», valait stigmatisation . Car, après les mots de Lenine, capitaliste et impérialiste, et avant qu’apparaissent les termes colonialiste, raciste, sexiste et islamophobe, l’injure « fasciste » trône depuis un siècle dans les horreurs du langage, comme le fascisme pèse dans les horreurs de l’histoire. Mais les deux ne sont pas totalement corrélés l’un à l’autre et cette déconnection mérite réflexion.

J’ai défilé contre le fascisme au début des années 60. Facile, c’était contre l’OAS. Mais j’ai aussi crié « le fascisme ne passera pas » en mai 68, et là j’insultais une Ve République peut-être critiquable mais en rien fasciste, alors que les porte-voix maoïstes ou trotskistes dont je répétais les slogans n’étaient pas des modèles de démocratie républicaine représentative. Je suis depuis devenu rétif à l’embrigadement.

Mussolini a été le pionnier d’un nouveau genre de dictateurs, qui proposaient une alternative musclée à la marée montante communiste qui tétanisait les démocraties libérales. Les conservateurs ont cru qu’ils pourraient s’en servir, et ont souvent tenté de pactiser. Il n’y pas eu beaucoup de Churchill pour sentir les dangers des fascismes, alors que l’un de ces régimes, le nazisme, avait écrit noir sur blanc son épouvantable programme.

Si la spécificité du fascisme a été méconnue par la droite, elle l’a été aussi par la gauche qui a fait de l’antifascisme un slogan : contre la droite en général pour les socialistes, mais contre la droite et les socialistes pour les communistes. Car Staline était resté sourd à ceux des marxistes allemands qui appelaient à l’union contre le nazisme montant dans le pays, et n’avait accepté le mot d’ordre de Front populaire qu’en 1934, alors qu’Hitler avait déjà écrasé ses opposants désunis.

Les identités politiques se construisent par le langage et le terme fascisme a été après-guerre un instrument lexical d’autant plus efficace que les monstruosités nazies interdisaient toute auto-identification. Mais ce terme a encore été dévoyé.

George Orwell signalait en 1944 que ce mot avait été mis à toutes les sauces, incriminant les conservateurs, les catholiques, les scouts, les pacifistes, les épiciers, les femmes, les auberges de jeunesse, les sionistes (déjà) et j’en passe, mais aussi, et avec quelque raison, les communistes dont les comportements totalitaires avaient bien des caractéristiques fascistes, malgré leur antifascisme de proclamation.

Les fascismes sont pluriels  il y a eu les athées comme les nazis, les hyper-catholiques comme Salazar et ceux qui naviguaient au jugé comme Mussolini, dont Umberto Eco, qui avait grandi sous le fascisme, a dit qu’il avait une rhétorique, mais aucune philosophie. Il y a eu les modernistes et les nostalgiques du passé. Il y a eu fascistes polonais qui ont lutté contre l’agression allemande et les fascistes grecs de Metaxas contre l’agression italienne. Le racisme est consubstantiel au nazisme, mais l’antisémitisme a pris des formes plus traditionnelles dans d’autres régimes.
Leurs limites sont floues, mais les fascismes présentent un air de famille, une rhétorique axée sur la figure d’un « nous » en danger, incarné par le chef, identifié par la race, le sol ou une histoire manipulée sur le mode identitaire, contre un « eux » origine de toutes les difficultés.

De ce point de vue, la rhétorique d’Eric Zemmour, focalisée sur le « eux » des immigrés, contre le   « nous» d’une France fantasmée a bien des accents fascistes.

L’islamisme est le plus courant des avatars actuels du fascisme. Il rejette la contradiction, son « nous » est celui des disciples prétendument authentiques d’un Prophète qui est le modèle absolu de leader charismatique, contre le « eux » des ennemis, ceux qui refusent que la charia prime sur la loi civile. « Eux » sont les koufar, mauvais musulmans, juifs ou chrétiens. Ce n’est pas là uniquement l’islamisme de Daech, c’est aussi celui, sournois, des Frères Musulmans.

Yacine Benattar en est un représentant, lui qui s’offusque d’être traité d’islamiste, mais qui, à Zineb El Razaoui espérant que 2020 serait l’année de la victoire sur le fascisme islamique, répondait dans un tweet menaçant: « Inch Allah, tu n’es plus là en 2020 ». Dans la controverse avec Naulleau, le fasciste n’est peut-être pas celui qui a été accusé de l’être….

Richard Prasquier

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