Zemmour enchanteur ou bonimenteur ? Par Jacques Tarnero
Zemmour adoubé par Le Pen (Jean-Marie) : la scène pourrait faire partie du registre des dernières blagues juives si l’enjeu n’était pas si grave. On imagine bien ce que le rapprochement du Kouign Amann avec la tafina peut générer de commentaires burlesques, mais quel plus bel exemple pour le creuset français que cette fusion inattendue.
Quel beau pays, la France, où l’huile peut se mélanger à l’eau, mais dans la scène présente, ce n’est plus Brecht qui tient la plume mais plutôt Déroulède avec Maurras en suppétif.
Serait-ce ça le dernier avatar du woke coco !
Il faut donc prendre Zemmour au sérieux puisque sa cote de popularité est en progression constante et qu’il cartonne semble-t-il dans les sondages. Le trouble que celui-ci engendre dépasse sa seule candidature éventuelle à la Présidence de la République. “C’est la première fois que ce vieux pays gallo-romain serait gouverné par un Juif“, déplorait en 1936, Xavier Vallat à propos de Blum. Les choses ont bien changé, car c’est à l’abri de son nom que le journaliste ratisse à la droite de la droite et se propose de sauver la France ? Sauver la France ! Rien que ça…
Quelles voix inspirent Zemmour ? Celles de Jeanne d’Arc qui lui assignaient aussi une mission salvatrice, au nom de sa foi, au nom de la France et de son roi. Bouter l’anglais hors de France tandis que Zemmour se propose de bouter l’arabe et l’islam hors de l’hexagone.
Un diagnostic simple. Une déploration multiple qui joue sur les peurs de l’époque
Son diagnostic est limpide : le malheur français aurait une raison simple, la présence dans les bagages des populations d’origine arabo musulmane, d’un islamisme conquérant et destructeur. Il serait en train de miner ce pays. Simultanément il propose de remettre d’autres pendules à l’heure : celle de la place des femmes, de leur statut, de leur liberté d’être, dans l’effondrement de la famille; celle de la responsabilité de Vatican II dans l’effondrement de l’héritage chrétien; celle du mariage pour tous dans l’effondrement de la virilité en Occident ; celle du Mac do dans l’effondrement des vertus culinaires françaises etc. etc.
Cette déploration multiple trouve un écho certain car elle sait jouer sur les peurs de l’époque, sur la crainte d’un avenir insaisissable, parsemé de menaces nouvelles, inconnues, dont le Covid est le plus spectaculaire signe symbolique.
Comment penser ce succès ? Voilà des années que les peurs planent sur nos têtes, comme dans le film de Bergman, L’œuf du serpent, et annoncent le pire. Les temps ont changé mais c’est à partir d’un registre de pensée identique à celui-ci que cet œuf risque d’éclore.
Or il y a eu plusieurs manières de penser cette étrange défaite qui vient, prophétisée par Zemmour, soit par le déni du réel entretenu par toutes les élites françaises depuis cinquante ans, soit par l’incantation conjuratoire, d’abord lepéniste, aujourd’hui zemmourienne.
Les avertissements n’avaient pas manqué
Pourtant les avertissements n’avaient pas manqué : Christopher Caldwell annonçait dès 2014 la mutation démographique et prédisait celle que l’islam allait imposer dans la société française. Une expert du renseignement français, Enyo, annonçait[1] simultanément les violences nées de cette confrontation dont le 11 septembre 2001 constitue le premier acte de guerre contre l’Occident. Pierre-André Taguieff analysait depuis longtemps cette nouvelle ligne de rupture que l’antisémitisme islamiste avait installée en France en prenant les Juifs pour cible première. Tout ceci est vrai, mais tout ceci ne saurait fonder le socle d’une refondation idéologique telle que Zemmour la rêve tant celle-ci est à l’opposé de l’esprit républicain, celui défendu par Marc Bloch.
En défendant Pétain, supposé protecteur des Juifs français, le féru d’histoire Zemmour oublie les mots du créateur des Annales : “Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims, ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la fédération“. Cette fête fondatrice de la République propose d’abord un principe avant d’être un système politique : celui de l’universalité du genre humain que Vichy avait contribué à détruire. En se soumettant à Hitler, Pétain et ses complices se sont soumis à la vision du monde proposée par les nazis.
Zemmour fait son miel de l’aveuglement des élites dirigeantes de droite et de gauche
Il y a une réalité de l’offensive islamiste et la France en a déjà payé le prix du sang. Ce prix est énorme. Faut-il pour autant lui opposer une vision maurassienne de la France, supposée seule capable de relever le défi imposé par Ben Laden, les Frères musulmans, l’Etat islamique ou le Califat d’Erdogan. Avoir les yeux grands ouverts sur cette menace ne saurait obéir à d’autres incantations symétriquement semblables. Zemmour fait son miel de l’aveuglement des élites dirigeantes, de droite et gauche dans ce pays à ne pas nommer le réel préférant les jeux politiciens reproduisant un pouvoir délibérément myope.
La gauche a eu une responsabilité écrasante dans ce déni, en ayant fait de l’antiracisme incantatoire sa dernière béquille idéologique, alors que dans le même temps Mitterrand faisait le choix de la promotion télévisuelle de JM Le Pen afin de mieux éroder la droite parlementaire. Chirac ne faisait pas mieux. En dénonçant le “bruit et l’odeur” de la cuisine des immigrés, il ne s’attaquait pas aux raisons de leur non-intégration tandis que leur nombre ne cessait de croitre.
En quelques années la mondialisation a imposé ses mécaniques mais aussi ses ravages. La nouvelle donne technologique marginalise tous ceux qui ne possèdent pas les moyens culturels et financiers de lui faire face. Par contre les Pandora papers nous apprennent que pour le bonheur de quelques-uns, les flux financiers occultes circulent plus vite que les remboursements de la sécurité sociale. Le déclassement social des laissés pour compte a construit cette France périphérique où s’affrontent désormais ethnies, tribus ou gangs. Les “masses” (comme on disait) se sont évaporées et le prolétariat des cités cherche dans les sourates de nouvelles raisons d’espérer. Les territoires que la République a perdus, sont d’abord, en France, ceux de la relégation. Ce que les bobos de gauche n’ont pas compris, c’est que la bonne conscience est insuffisante pour harmoniser le monde et les “quartiers” (comme dit la nov langue inclusive). Quant au peuple, il reste à réinventer.
Aujourd’hui le solde de ces politiques est limpide : d’une part une population d’origine arabo musulmane sensible aux sirènes de l’islam radical cultivant un séparatisme culturel et d’autre part la pensée magique de Zemmour. Comment compte-t-il reconstruire cet archipel français à la dérive ? En mettant en œuvre quelle politique ? En développant quel rapport à l’idée européenne ? En promouvant quelle politique migratoire ? En alignant la France sur la Hongrie ? Le super patriotisme selon Zemmour développe trop de zones d’ombre favorisant une dislocation encore plus grande. A l’abri de son nom, il légitime la parole de ceux qui auraient été ravis de le rafler au Veld’hiv.
Est-ce cela le dernier mot que la France attend ?
Jacques Tarnero
1. Anatomie d’un désastre: L’Occident, l’islam et la guerre au XXIe siècle Broché. Enyo. Denoël. 2009