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ROSE - LE FILM D'AURÉLIE SAADA


A VOIR D’URGENCE !!! Par Alain Chouffan

ROSE ! Quel film génial ! Inattendu ! François Fabian en mère juive tune !! Une mamma juive irrésistible ! Elle irradie de charme, d’humour, de malice dans le film ROSE (sortie mercredi 8 décembre), le premier film d’Aurélie Saada, l’ex-chanteuse de Brigitte. On voit défiler , à table, tout ce dont les “Tunes” raffolent en cuisine : la Mloukhia, les boulettes, la chakchouka, la Ojja aux merguez, les pâtes à la sauce, la Pkaila, les makrouts. Un régal des yeux et des souvenirs. Tout en traitant des thèmes familiers : la vieillesse, l’envie de vieillir plutôt, le désir de l’amour, l’envie de faire l’amour, la jeunesse, la péremption des femmes, le deuil. Vite le sujet du film pour comprendre tout ça : Rose, c’est le nom de Françoise Fabian, est une petite douceur, un loukoum, dans le rôle d’une veuve de 78 ans, repliée sur son chagrin et qui s’étiole devant la télé. Elle vient de perdre son mari et elle peine à retrouver goût à la vie. Ses trois enfants l’entourent d’une affection étouffante. Ils lui téléphonent 10 fois par jour (“Maman ça va ?” Mais oui chérie ça va, je n'ai pas changé depuis 5 minutes !). Lors d’un dîner arrosé avec de la vodka, elle découvre Marceline Loridan, une vieille rescapée des camps de la mort, pétillante de joie. Rose en est fascinée par toute la joie de vivre qu’elle découvre. Elle rêve d’être comme elle. Mais comment ? Et voilà qu’on rencontre un jeune barman plus jeune qu’elle.

Du coup Rose se métamorphose. Elle est saisie d’une pulsion incroyable de vivre. Elle ne supporte plus ses enfants qui la couvrent comme un bébé. Et encore avec leurs traditions. Aurélie Saada nous régale avec ce premier film car Rose devient une septuagénaire pétulante. Elle sort, elle rit, elle découvre un nouvel appétit pour vivre. Le film bascule de la tristesse et de la gravité à une légèreté qui nous emporte. Rose est résolue d’en finir avec cette vie triste pour entamer passionnément les dernières années qui lui restent malgré ses enfants surprotecteurs et possessifs. La métamorphose de Françoise Fabian est époustouflante. C’est l’histoire d’une révolution intime, celle d’une femme de 78 ans qui après avoir perdu son mari qu’elle aimait tant, se découvre et réalise qu’elle n’est pas juste une mère, une grand mère, et une veuve, mais qu’elle est une femme aussi, et qu’elle a le droit d’en jouir et de désirer jusqu’au bout de la vie. Elle plaît aux hommes plus jeunes, elle se sent libre, elle veut s’éclater, elle chante. Elle nous fait oublier son deuil, elle ressuscite, elle est rafraîchissante et moderne par son ton, avec quelques scènes de comédie bien enlevées. C’est un jeu bien sûr mais on se régale en la voyant jouer. bref, elle devient veuve désireuse de vivre une seconde jeunesse.

Entre humour et émotion, cette Rose-là est irrésistible et parvient à nous emballer ! Un film à ne pas rater !! “La péremption des femmes est un sujet qui me hante, explique Aurélie Saada, la réalisatrice. Je me suis inspirée de femmes de ma famille et un peu de moi aussi, pour écrire ce rôle. Une fois ce personnage de juive orientale dessiné, pour moi il n’y avait qu’une actrice pour le jouer et transformer son destin : Françoise. Née en Algérie, elle partage la culture de Rose, son goût pour la cuisine, la chanson. Elle est magnifique, sensuelle, et n’a peur de rien…

 

INTERVIEW AURÉLIE SAADA

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans l’écriture et la réalisation d’un long-métrage alors que la musique est si présente dans votre vie ?
J’ai été envahie par le désir de ce film, je ne m’y attendais pas. J’écris beaucoup, depuis toujours. Des chansons, des billets d'humour et des histoires courtes. Mais je n’avais encore jamais eu l’envie d’écrire un film. D’ailleurs je pense que c’est le désir de cette histoire qui a fait de moi la réalisatrice de ce film, et non le désir d’être réalisatrice. J’ai même été surprise. Je pensais que la musique me comblait totalement, qu’elle me procurait tant de liberté, qu’elle me rendait totalement heureuse. Et puis c’est un peu comme avoir un deuxième enfant : quand on a un premier on se dit qu’on ne pourra pas en aimer un second autant, et pourtant ce qui se passe est étrange et magique, ce n’est pas notre cœur qui se divise, mais c’est notre cœur qui grandit, et on y découvre un espace encore plus grand qu’on ne soupçonnait pas. Pour moi le cinéma est venu se loger à cet endroit-là. J’organise souvent des dîners chez moi où se mêlent les cultures et les générations, j’aime les tables bruyantes et généreuses. Un soir, ma cousine est venue avec la dernière grand-mère de ma famille qui venait de perdre son mari. Elle était plongée dans une profonde tristesse. À cette même table, ce soir-là, il y avait Marceline Loridan-Ivens (rescapée des camps qui était dans le même convoi que Simone Veil pour Auschwitz, auteure de magnifiques ouvrages). Marceline était une survivante dans tous les sens du terme. Elle était plus qu’en vie, elle réveillait les endormis. Elle avait une gouaille, un panache, une sensualité, un appétit de vie extraordinaire. J’ai vu ma grand-mère totalement chamboulée par la vision de cette femme libre et vivante. Elle était fascinée. J’ai senti dans son regard et vu sur ses joues qui devenaient roses qu’elle osait s’interroger sur le fait que sa vie n’était peut-être pas terminée et qu’il y avait des choses à vivre ... Qu’elle n’était peut-être pas juste une mère, une grand-mère et une veuve mais qu’elle était femme aussi. Et j’ai rêvé à cette possibilité et à son aventure, à une révolution intime à un âge où l’on nous range, mais où l’on se range soi-même aussi, dans une dernière case. Une fois les convives partis, j’ai écrit l’histoire de Rose. Cette fois-ci je sentais bien qu’il ne s’agissait pas d’une chanson... Je sais qu’en France on a parfois du mal à entendre le désir d’un artiste de vouloir s’exprimer sous de nombreuses formes artistiques, et que l’on questionne même la légitimité d’une telle démarche. Je ne m’imposerai pas de limites, parce qu’on n’a qu’une vie, et de nombreux visages. Je suis convaincue qu’un désir fort est un moteur extraordinaire pour avancer et se découvrir là où l’on ne se soupçonnait pas.

Qui est Rose ? Par qui vous a-t-elle été inspirée pour qu’elle paraisse si vraie, si réelle, si vivante ? Pouvez-vous nous parler du sujet de votre film ?
Je suis, comme beaucoup d’artistes, toujours habitée par les mêmes questions. La pluralité du féminin est un thème qui m’est cher, également les limites qu’on nous donne et surtout celles que l’on s’impose, les carcans culturels ou sociaux. Comment les envoyer valser et vivre pleinement nos paradoxes. Cela m’a intéressé de pouvoir questionner tous ces sujets qui m’obsèdent sur un support différent. Une même femme porte en elle des choses si complexes et contraires. J’aime penser qu’on a le droit d’être à la fois la maquillée et la démaquillée, la profonde et la légère, la maman et la putain, le viril et le féminin, et tant d’autres encore. La voix des femmes perturbe, la liberté des femmes perturbe, alors celle des grands-mères et des veuves n’en parlons pas ! (rire) Rose est inspirée essentiellement par les femmes de ma vie, mes grands-mères, ma mère, mes tantes, et par mon désir et mon bonheur immense de les voir, ou de les imaginer se libérer, renaître et se découvrir. Vieillir c’est le chemin que nous prenons tous, il y a ici quelque chose à décomplexer... Rose est une femme composite, un ensemble de femmes que j’ai croisé dans ma vie. Mais on raconte aussi toujours un peu son histoire, et même si le personnage a presque 80 ans, je raconte quelque chose de moi dedans. À 30 ans j’ai cru que j’étais vieille, trop vieille. Quand le père de mes enfants est parti, je me suis retrouvée seule avec nos deux filles toutes petites et j’ai cru que le monde s’écroulait... que je n’étais plus qu’une mère, que pour la femme c’était trop tard... C’est idiot peut-être mais je l’ai vécu ainsi... et puis la vie m’a offert de me découvrir et de renaître comme je ne m’imaginais pas. On ne soupçonne jamais vraiment qui on est, et la pulsion de vie qui peut advenir après un deuil quel qu’il soit. J’ai voulu que Rose ait cet âge avancé parce que ça me permettait d’aller au bout de mon idée et de pouvoir parler du fait que le désir est toujours présent dans la vie jusqu’au bout, et qu’il est terrible d’invisibiliser, d’étouffer ou de rendre tabou celui des femmes.

Pensez-vous que votre film est féministe ?
Je ne l’ai pas écrit dans une optique militante. Mais tout de même, quoique je fasse, il m’est difficile d’oublier que je suis une femme (rire). Raconter l’histoire de Rose m’a permis d’aborder un sujet qui me poursuit depuis toujours, celui de notre péremption. Toute la vie, nous sommes sans cesse dans l’obligation de nous confronter à notre âge, au temps qui passe et nous « empêche », ce qui se traduit par des contraintes... liberticides. Ça commence tôt. Déjà petite fille, on nous dit qu’on est trop grande pour nous balader sur la plage sans haut de maillot de bain. Ça continue à l’adolescence quand on nous dissuade d’aller à la piscine lorsque l’on a nos règles. Puis à la trentaine on nous susurre qu’il est temps de songer à être mère. Et lorsqu’à quarante ans, nous ne le sommes pas encore, on nous traite d’égoïste. À cinquante ans, d’autres injonctions nous sont faites, comme celle par exemple de renoncer à porter des cheveux longs. On pourrait continuer la liste... Ça a l’air de petites choses mais c’est finalement ultra violent. Faire le portrait d’une femme qui osait soudainement envoyer valser ces diktats était important pour moi.

Aborder, sur grand écran, la « révolution » intime d’une femme septuagénaire... Vous a-t-on dit que c’était assez... « culotté » ?
Même si cela n’a pas été formulé de cette façon-là, les premiers producteurs que j’ai rencontrés m’ont poliment expliqué qu’il serait judicieux que, pour des questions de « crédibilité », je « rajeunit » un peu Rose. Mais qu’est-ce qui dérange à ce point dans le fait qu’une femme en âge d’être grand-mère décide de jouir de la vie comme elle l’entend ? Je ne suis pas une va-t-en-guerre, mais, et tant pis si je me répète, je trouve inacceptable qu’on puisse imposer aux personnes âgées et notamment aux femmes, de s’arrêter de mener leur vie comme elles l’entendent. J’ai été très remuée, choquée même, parce que j’ai entendu ici et là au début de la pandémie. Que ce n’était pas si grave si la Covid touchait les « vieux » parce que, somme toute, ces « gens-là » avaient suffisamment vécu. Mais qui peut décider de l’âge auquel il faut s’arrêter ?

Au delà du portrait d’une femme, quels sont les autres thèmes que vous vouliez aborder dans Rose ?
Le couple, la fidélité, la place dans la fratrie, la famille, les contradictions et évidemment, la cuisine ! La peur qu’on a pour les mères de les voir défaillir mais aussi de les voir libres. J’ai aimé travailler des personnages masculins sensibles, fragiles, se questionnant, des anti-héros hyper attachants, ayant tous un désir fort de paternité... Je crois que tous les hommes dans ce récit sont des hommes que j’aime, ne me demandez pas pourquoi... J’en parlerai à mon psy ! (rire)
À travers ses couleurs, ses bruits, ses discussions, ses disputes, ses danses et ses chansons, votre film véhicule une grande convivialité, et quelque chose de très authentique...
J’ai grandi dans une famille juive tunisienne, bruyante, joyeuse, absolument pas religieuse, où les traditions se mangent, se chantent, se dansent, où les blagues commencent en français et finissent en arabe, et où les bracelets aux poignets des femmes sont des percussions qui nous bercent. On ne peut jamais se passer longtemps les uns des autres. On se dispute sans jamais arrêter de s’aimer.
Je viens d’un milieu où la pudeur et les silences se cachent dans le bruit, où la tribu est omniprésente, où l’on se dit qu’on s’aime par la nourriture qu’on partage ou par celle qu’on cuisine, où même la tristesse et le chagrin se vivent sur un air de fête... Chez les orientaux, de la joie vient se loger à toutes les étapes de la vie, ça ne veut pas dire qu’on n’est pas triste, ça veut juste dire qu’on n’arrête pas de se réunir, et de partager... Les traditions nous poussent à nous retrouver régulièrement, à ne pas se lâcher les uns les autres... Ça peut avoir des côtés un peu envahissants parfois (rire).
Il était important pour moi de placer mon premier film dans ce décor parce que je ne voulais pas tricher. Je voulais que ce film me ressemble et ne rien emprunter à des cultures que je ne maîtrisais pas assez. Et puis souvent dans le cinéma français, le judaïsme oriental est caricaturé. Je voulais montrer son visage plus complexe, loin des clichés. Mais cela reste un décor, un costume, un parfum parce que le cœur du sujet n’est pas là. D’ailleurs ce film a beau être empreint de culture judéo-orientale, une amie corse et chrétienne m’a dit il y a peu : « c’est fou, c’est comme chez moi ». Je crois que nous, les humains, nous nous ressemblons beaucoup plus qu’on ne l’imagine.

Avez-vous écrit en pensant à une actrice pour incarner Rose ?
En écrivant je pensais aux femmes de ma famille. J’avais besoin que ce film soit au plus près du réel. Les femmes orientales sont souvent considérées comme des mères avant tout. Leur liberté et leurs désirs sont tabous. C’est leur révolution qui m’intéressait.

Comment s’est imposée Françoise Fabian ?
Quand j’ai terminé la première version du scénario, j’ai tout de suite pensé à elle. Pour moi, elle est totalement cette femme plurielle, qui assume son âge et ne s’en est jamais caché. Et puis elle porte en elle cet orient chaleureux qui m’est si cher et familier. Elle a grandi en Algérie. Elle a l’audace, la sensualité, l’humour, la gourmandise, la gravité aussi de celles qui ont traversé des tempêtes.
Je l’ai rencontrée pour la première fois après qu’elle ait lu le scénario. Nous étions chez elle sur son canapé. Elle a pris ma main et m’a dit qu’elle voulait être cette femme, qu’elle était Rose, qu’il fallait que je lui promette qu’il n’y en avait aucune autre. Elle m’a dit qu’aujourd’hui le cinéma ne propose pas de rôles comme ça aux femmes de son âge, qu’elles ne sont plus bonnes qu’à jouer les grands-mères... Elle avait une envie absolue d’interpréter cette révolution intime. Un désir clair. C’est irrésistible. C’était magique, une véritable rencontre, une évidence. Entre elle et moi il y a quelque chose de très fort. Je crois qu’on s’aime beaucoup. Au-delà du rôle j’ai rencontré une amie, une sœur, un nouveau membre de ma famille. Les générations qui nous séparent ne nous séparent pas, au contraire, nous avons beaucoup en commun, un amour fou pour notre indépendance, un sens de la joie et une pulsion de vie qui nous animent profondément.

Qu’est-ce qui vous a le plus épaté chez elle ?
Sur le plateau j’ai aimé son engagement très fort, son sens du travail, sa générosité, son courage, sa vivacité, son peps, son endurance et la façon qu’elle a de tout donner, tout le temps, sa beauté et son humour. Rose joue un rôle lourd, difficile, exigeant.
Françoise était quasiment de tous les plans. Elle y a mis de son sang et de son cœur et c’est très palpable à l’image. Cette femme m’a bouleversée. Dans Rose, elle exprime des émotions très diverses. Cela nécessite énormément de concentration et une grande souplesse de jeu de la part de son interprète. Françoise a été incroyable d’intelligence, d’écoute et d’abandon. Dans les scènes de séduction, elle a fait preuve d’un panache extraordinaire. Quand on n’a plus vingt ans, ce n’est pas rien d’offrir à l’image quelque chose de sa sensualité et de sa sexualité - et dans les scènes plus légères, elle s’est montrée d’une formidable drôlerie. J’ai rarement vu une comédienne prendre autant de plaisir à jouer. Je pense qu’elle va subjuguer tous ceux qui viendront voir le film et au-delà. J’espère qu’elle va aider les femmes à se libérer, et à ne pas craindre le temps.

Pourquoi avez-vous choisi de faire de l’homme qui va réveiller la sensualité de Rose, un restaurateur ?
Parce que j’aime les restaurateurs ! (rire) Pour le sens qu’ils ont des rapports humains et pour le plaisir qu’ils donnent aux gens. La nourriture est très importante pour moi. Cela se voit dans mon film : il n’y a pas une scène où on ne mange pas, où on ne fabrique pas quelque chose à manger. Quand je me suis rendue compte de la place qu’occupait la nourriture dans mon film, ça m’a fait rire!
C’est Pascal Elbé qui incarne le restaurateur. Il est merveilleux de délicatesse et d’humanité. Il y a peu de temps j’ai lu une phrase de Francis Ford Coppola qui m’a fait beaucoup rire, il dit : « Dans mes films je mets toujours une recette de cuisine. Comme ça si les gens n’ont rien compris, ils auront au moins retenu quelque chose ».

Comment avez-vous trouvé les comédiens qui allaient jouer ses enfants ?
Alors que j’étais en pleine écriture de mon scénario, j’ai dîné un soir en face d’Aure Atika et je me suis dit qu’elle était exactement la Sarah que j’imaginais, forte et fragile. J’aime les femmes charismatiques, elles m’inspirent terriblement. Je sentais chez Aure qu’elle pouvait parfaite ment être cette femme abrupte à l’extérieur, mais douce et suave à l’intérieur, comme l’est la figue de Barbarie, un fruit dont le goût délicieux rend au centuple les efforts qu’on doit faire pour le débarrasser de ses épines ! Après ce dîner, je n’ai plus écrit Sarah qu’en pensant à elle.
Pour trouver les frères de Sarah, Pierre et Léon, j’ai travaillé avec la directrice de casting Elo die Demey. Baignant plutôt dans le monde de la musique, je connais assez peu le milieu des acteurs. Elodie m’a présenté Grégory Montel et Damien Chapelle. J’ai été impressionnée. Grégory était le Pierre médecin que je cherchais : doux, rassurant, chaleureux, torturé aussi entre sa volonté de bien faire et son désir qui le dépasse. J’aime sa justesse, sa profondeur, son humour. Quant à Damien, il était le Léon dont j’avais rêvé : un type grand, beau - mais sans aucune conscience de l’être -, avec une allure de voyou maladroit, attendrissant dans sa façon de veiller jalousement sur sa mère et de dissimuler ses complexes vis-à-vis de son frère. À l’écran, ils forment une fratrie bien réelle. J’avais l’impression de reconnaître des visages si familiers. Ils ne se connaissaient pas avant et aujourd’hui ils sont très liés.
Bien que vous n’ayez pas choisi d’y construire votre carrière, il vous est arrivé d’aller jouer sur des plateaux de théâtre.

Cette expérience vous a-t-elle aidé pour écrire vos dialogues ?
Énormément. Plus jeune je suis montée sur les planches. Je connais le plaisir de mordre dans un texte. Même si jusqu’à maintenant j’ai consacré ma vie professionnelle à la musique, j’adore le théâtre, j’en ai beaucoup lu et j’y vais souvent. Je sais le plaisir qu’ont les acteurs à jouer des scènes longues dans lesquelles ils peuvent laisser libre cours à leurs émotions. Quand j’ai écrit mon scénario, j’ai pensé à cela et j’ai veillé à ce que, du plus petit au plus important, chacun de mes personnages ait une vraie partition à jouer. Malgré le regard dubitatif de mes productrices, je me suis même payé le culot de terminer mon film sur un monologue, ce qui se fait rarement au cinéma ! Mais pour moi, il n’y a rien de plus bouleversant à l’écran qu’une interprétation de comédien.

Vous signez aussi la musique de votre film. La compositrice que vous êtes aurait-elle pu la confier à quelqu’un d’autre ?
Au départ j’ai hésité. Je me suis dit que je ne pouvais pas tout faire. Et puis j’ai bien vu que je n’arrivais à rien déléguer sur ce film, qu’il était mon bébé. J’avais besoin de donner naissance à tous ses recoins, toutes ses coutures, de glisser partout un peu de mon sang et de mes souvenirs. Écrire la musique de Rose a été une expérience magique. J’ai commencé à la composer et à l’enregistrer avant le tournage pour que certaines scènes puissent être jouées avec elle. Ça a été un véritable régal pour moi de puiser dans mes origines pour l’écrire. La musique orientale danse dans mes veines. Elle est celle qui m’a bercée depuis toute petite. Je me suis amusée à chanter sur cette BO en hébreu, en arabe, en yiddish et en italien, les langues de mes ancêtres. Et comme je convie toujours un peu ma famille dans tout ce que je fais, ma fille Shalom, âgée de 12 ans au moment de l’enregistrement, a aussi composé un des thèmes... C’est une immense fierté pour moi, vous imaginez !

Comment s’est passé le tournage ? Il y a quelque chose de très naturel dans les grandes scènes de groupes, avez-vous été impressionnée ? Vous ont-elles donné du fil à retordre ?
Dans la vie je cours toujours après l’adrénaline, j’aime danser dans la tempête pour voir de quoi je suis capable. J’aime me jeter dans le vide joyeux comme lorsque je monte sur scène en concert devant des milliers de personnes pour cueillir l’émotion et le sentiment d’être bien vivante. Petite, ma fille me disait « mais toi maman tu n’as peur de rien ? ». Je crois plutôt que la contrainte et le défi sont très excitants pour moi. Le tournage a été une expérience extraordinaire. J’ai adoré emmener avec moi cette équipe dans les images intimes de mon histoire, diriger les acteurs, travailler avec chaque poste. J’ai follement aimé jouer au chef d’orchestre... Je me sentais sereine, et j’avais une immense confiance en chacun. L’atmosphère sur le plateau était idyllique.
Et puis j’aime quand la réalité vient se mêler à la fiction. J’aime offrir des choses intimes. Je dois être un peu exhibitionniste (Rires). Ma vérité vient se loger dans tous les recoins du film, dans de tous petits détails : les papiers peints fleuris comme chez ma grand-mère, les assiettes Arcopal, les costumes qui sont parfois réellement mes vêtements, les expressions, les recettes familières. D’ailleurs j’ai engagé ma soeur Chloé Saada, qui est cheffe, à venir cuisiner tout ce qui se mange à l’image. Je voulais que les acteurs connaissent le goût de mon enfance, de nos traditions, de ma maison et surtout qu’ils se régalent pour de vrai. Ma réalité vient aussi se glisser dans les êtres que l’on voit à l’écran. Les petits rôles, la figuration sont interprétés par des personnes qui me sont chères, mes amis, ma famille, les femmes qui comptent, par leur discours et leur réflexion comme Delphine Horvilleur... J’étais heureuse de les voir dans le décor, les sentir ici est tellement important pour moi. La grande scène de dîner par exemple était un véritable pari car je voulais qu’elle ressemble aux dîners que j’organise et en particulier à celui qui a donné naissance au film. Alors, autour de la table, mélangés aux acteurs, il y a mes véritables amis, non acteurs, comme Pénélope Bagieu auteure de la BD Culottées, Adèle Van Reeth, philosophe qui anime une émission sur France Culture, Aline Afanoukoe, journaliste musique sur France Inter, Stéphane Foenkinos auteur et réalisateur, Yan Destal, musicien, Nicolas Ullmann, Monsieur Loyal d’un cirque, Olivier Bassuet, co-fondateur de « Ni putes ni soumises » et producteur. Le scénario était précis, les dialogues très écrits pour les acteurs principaux, mais je voulais laisser une place à l’improvisation pour que les non acteurs soient les plus spontanés possibles. Le tournage de cette scène s’est déroulé sur deux jours, deux magnifiques journées autour d’une table à manger ensemble en plein confinement. Et comme une petite souris, je venais voler un peu de leurs conversations. L’improvisation est un exercice que j’adore. J’aime la création qui s’anime d’un coup. Je leur proposais des jeux, et je les laissais libre... Une expérience incroyable ! Ils étaient si justes et touchants. C’était beau de voir des ac teurs et des non acteurs s’abandonner et prendre un plaisir géant tous ensemble. C’était comme en musique quand tout d’un coup le groupe se forme : la partition existe mais on vole au-dessus, le plaisir surgit et la magie opère. Le jour même, j’ai montré à Yan Destal une chanson qu’il allait jouer au piano (sans l’avoir prévenu au préalable) et j’ai invité tous les personnages à venir danser et chanter près de lui. C’était tellement excitant de construire et de filmer avec la surprise et cette liberté là.

À qui s’adresse Rose ?
Aux filles, aux femmes, aux mères, aux grands-mères et aux hommes qui les aiment ! Aux gourmands aussi évidemment... J’espère que ce film sera décomplexé et modifiera le regard que nous portons sur l’âge et le temps.
Qu’a apporté le tournage du film à l’artiste que vous êtes ?
À l’artiste je ne sais pas, c’est encore trop tôt pour le dire. Mais à la femme que je suis il a donné un plaisir fou. Plaisir est même un mot trop faible au regard de ce que j’ai éprouvé. Rose a été comme un chambardement dans mon cœur. J’ai aimé l’écrire, le tourner, le monter, l’étalonner, le mixer. Il m’a bousculée, chavirée, emportée. C’était comme mettre au monde un nouvel enfant. Il a été, peut-être, une de mes plus belles histoires d’amour. Et puis c’est magique d’oser se réinventer.

 

ENTRETIEN AVEC FRANÇOISE FABIAN


Qu’est-ce qui vous a séduite dans ce projet ?
Tout ! (rire) C’est-à-dire tout ce qui était raconté dans le scénario, et tout ce qui s’en dégageait : le charme, l’équilibre, la vérité, la vitalité, la sensualité, le culot... J’ai aussi aimé ces personnages, dont, évidemment, celui de Rose, qui m’était destiné. Je les ai trouvés vrais : entiers mais complexes, joyeux mais tourmentés, enquiquineurs et pourtant follement sympathiques car tournés vers les autres. En somme à l’image des gens que j’aime...
En général, je réfléchis beaucoup avant d’accepter un rôle. Je m’interroge sur ce que lui et moi allons mutuellement pouvoir nous apporter, je pèse le pour et le contre. Mais pour Rose, mon emballement a tenu du coup de foudre. J’ai dit oui tout de suite, en priant le ciel qu’Aurélie Saada, que je ne connaissais pas, ne le propose pas à quelqu’un d’autre !
Un rôle comme celui-là, j’aurais frappé du pied pour l’obtenir. C’est un cadeau dans la vie d'actrice. Et puis j’avais l’âge de le jouer !

Aurélie dit qu’elle l’a écrit pour vous...
C’est ce qu’elle a eu la gentillesse de me dire aussi. Et j’ai tant de points communs avec Rose, que je n’ai aucune raison de mettre sa parole en doute. D’autant qu’elle n’est pas quelqu’un qui triche ou qui flatte. Aurélie est une femme entière, qui s’engage et « assume ». Elle est le reflet de ses chansons.

Venons-en à Rose...
À cette toute petite différence près que je suis née à Alger et non à Tunis comme elle. Si Rose n’était pas un personnage de cinéma, elle pourrait être ma sœur ! (rire) Nous avons les mêmes rythmes, de pensée et de vie. Nous sommes toutes les deux méditerranéennes, vivantes, sensuelles, orientales, adorons les fêtes et surtout aimons passionnément nos enfants, nos familles, et, bien sûr, nos maris. Rose, c’est la joie de vivre incarnée, jusqu’au jour où son époux meurt, et qu’elle sombre dans un chagrin dont elle pense qu’il va l’engloutir. Exactement ce qui m’est arrivé lorsque mon mari - Marcel Bozzuffi - est décédé. J’ai vraiment cru que j’allais en mourir.
Et puis, comme Rose, je me suis reprise. À cette différence près que ce n’est pas un homme qui m’a sauvée, mais mon métier. Je me suis réfugiée dans le théâtre et le cinéma. Je n’ai jamais remplacé mon mari. Depuis sa disparition, j’ai toujours vécu seule. C’est le métier qui m’a ac compagnée. Mon appétit de vivre, c’est sur les plateaux de théâtre et de cinéma que je l’ai ex primé. Evidemment, tout cela est assez illusoire. Rose sait bien qu’elle n’est pas éternelle, que sa « résurrection » ne va durer qu’un temps et qu’elle aussi, finira par mourir. Mais elle décide de profiter de cette petite embellie dans sa vie pour s’évader de son chagrin et de ses problèmes familiaux. Les choses se présentent à elle comme une invitation à un bal. Au lieu d’y assister, en restant sagement assise sur sa chaise, elle se lève pour aller danser elle aussi.
Elle danse, elle mange, elle boit, et... elle chante aussi. Encore quelque chose qui a dû vous emballer en tant que chanteuse-musicienne...
Ah oui, car j’aime chanter. Depuis toujours. J’ai sorti un album récemment, et je n’ai qu’une envie : en réaliser un deuxième. Mais pour revenir au film... Chanter n’était pas dans le scénario original. Cela a été une surprise magnifique, un cadeau supplémentaire de la part d’Aurélie... Elle est arrivée un jour en me suggérant de fredonner quelque chose pendant la séquence où je prépare des makrouts. Ça tombait bien car j’ai toujours aimé chantonner en cuisinant. Je lui ai proposé de chanter une vieille chanson de paysanne d’Afrique du Nord, une chanson que ma mère - qui parlait arabe - me chantait tellement souvent quand j’étais petite que je la connais encore par cœur. Aurélie a accepté d’autant plus volontiers que cette chanson, tombée depuis longtemps dans le domaine public, était libre de droit. Encore une scène qui a été pour moi délicieuse à tourner, d’autant qu’elle ne m’a pas non plus demandé beaucoup d’effort de compo sition. J’ai été, je crois, une assez bonne cuisinière ! (rire)...

Aurélie dit avoir été bluffée par votre force de proposition et votre capacité de travail. Votre plaisir de jouer est-il toujours intact ?
Intact, oui, c’est le mot ! Comme je n’accepte que les projets qui m’emballent, lorsque je m'engage, je me lance vraiment. Je ne fais pas semblant. Ni au cinéma, ni au théâtre d’ailleurs. Aucun pépin - et j’en ai eu - ne m’a jamais arrêtée. Je suis un bon soldat (rire).

Comment vous êtes-vous sentie avec vos trois « enfants » ?
Merveilleusement bien. Comment aurait-il pu en être autrement ? Aure, Grégory et Damien m’ont chouchoutée comme si j’avais été leur vraie mère. Ce sont tous les trois des amours. Nos échanges ont été magnifiques.

Vous êtes une comédienne qui avez du cran - votre filmographie le prouve - mais vous êtes une femme pudique. Avez-vous redouté la scène de la séduction avec Pascal Elbé ?
Pas du tout. Je ne suis pas pudibonde, vous savez. Je me suis « dévoilée » à chaque fois qu’on m’en a donné l’occasion. Mais cela ne s’est pas produit très souvent ! (rire). Tourner cette scène avec Pascal m’a beaucoup amusée, d’autant plus qu’il y a dix ans - magie et facétie du cinéma - Pascal avait joué mon fils dans le film d’Arcady, Comme les cinq doigts de la main !
Je l’ai abordée avec d’autant moins d’appréhension qu’elle n’était pas « gratuite ». Elle arrivait au bon moment dans l’histoire. Rose en a assez de pleurer sur elle-même, assez de se plaindre de ses enfants, assez de ne pas se « soigner », assez de sortir sans rouge à lèvres. Alors, tout d’un coup, elle fait un truc qu’elle ne faisait jamais avec son mari : elle boit de la vodka. C’est le petit déclic qui va lui donner le culot d’essayer de séduire pour retrouver sa féminité. J’ai vraiment adoré tourner cette scène. Non seulement, elle ne m’a demandé aucun effort, mais elle m’a apporté un plaisir fou. Je m’y suis sentie bien, vivante. Cela doit être mon côté Sophia Loren, avec qui, parfois, on me trouve une sorte de « cousinage ». Ce rapprochement m’enchante, parce que, deux fois au théâtre, j’ai joué des textes qu’elle avait joué au cinéma : Filumena Marturano d’Eduardo de Filippo (qui donna au cinéma Mariage à l’italienne), et Une journée particulière d’après Ettore Scola.
Sous sa sensualité éclatante, Rose est, à sa façon, féministe. Cette dimension-là a-t-elle pesé dans votre acceptation de l’interpréter, vous qui n’avez jamais cessé d’être une militante de la cause des femmes, et qui, notamment, avez signé en 1971, le « Manifeste des 343 » femmes déclarant avoir avorté alors que c’était encore interdit dans notre pays ?
Bien sûr. Dans l’exercice de mon travail d’actrice, c’est une dimension qui a toujours beaucoup compté pour moi. Ayant toujours été très occupée, je n’ai pas souvent eu le temps de descendre dans la rue, mais ma façon de militer a été de refuser les projets qui dégradent l’image des femmes. J’ai essayé de ne s'incarner que des femmes libres, même passionnément amoureuses. Cela depuis mes débuts, au cinéma comme au théâtre. Dans sa revendication à vouloir continuer à être elle-même malgré son veuvage, Rose était comme une porte-parole de mon engagement.

Rose était le premier film d’Aurélie. Comment était-elle sur le plateau ?
Incroyablement calme et maitresse d’elle-même. Si elle avait le trac, elle le cachait bien. Elle avait l’aisance qu’elle a sur scène lorsqu’elle chante. Elle savait toujours comment elle allait tourner, faire ses champs et ses contre-champs. Elle était tellement précise qu’on a refait très peu de prises. Tout s’est déroulé avec un naturel fou. L’élégance de son film vient sans doute de là. Sa souplesse et son rythme aussi.
On a commencé le tournage par une scène de fête. Or il n’y a rien de plus difficile à faire. Comme il faut des plans individuels et des plans d’ensemble, trouver les bonnes places pour la caméra relève souvent du casse-tête. Aurélie a été impériale. Son assurance nous a donné confiance et on a pu s’abandonner à sa direction. Je dois dire aussi qu’elle avait su s’entourer d’une équipe de techniciens formidables d’écoute et de savoir-faire. Je le précise car il est rare que les équipes de cinéma fassent à ce point l’unanimité chez les comédiens.

Comment avez-vous reçu le film ?
J’ai découvert un film qui raconte une belle histoire de femme, un film dont la sensualité et la bonne humeur donnent, je trouve, envie de mordre la vie à pleines dents. Rose est un manifeste pour la vie.

À qui selon vous s’adresse-t-il ?
À tout le monde. Aux femmes, à qui, j’espère, il donnera le courage et l’envie d’assumer leurs désirs jusqu’au bout. Et aux hommes, qui comprendront peut-être pourquoi ils doivent les laisser faire (rire).

Qu’a apporté Rose à la comédienne que vous êtes ?
Un plaisir immense. Je vous l’ai dit, j’ai reçu ce film comme un cadeau et je l’ai fait sans aucune réserve. J’en ai aimé l’écriture, fluide d’un bout à l’autre, jamais prétentieuse ni démonstrative. J’en ai aimé le ton, humain et simple. J’en ai aimé, évidemment aussi, le féminisme qu’il véhicule, légèrement, sans relever du militantisme. Rose est universel. Il aurait pu être écrit à l’époque de Molière, ou celle Balzac. Il est de tous les temps.

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