Exposition : les mille et une vies des Juifs d’Orient
Présentée à l’Institut du Monde Arabe, une exposition très vivante fait revivre la présence plurimillénaire des Juifs en Orient, du Maroc au Yémen. Une splendeur.
Dès la première salle, on oublie la polémique, pris par la grâce. L’exposition « Juifs d’Orient », qui se tient à l’Institut du Monde Arabe jusqu’au 13 mars, a fait parler d’elle ces dernières semaines, attaquée par des intellectuels et anciens responsables politiques arabes. Au motif que parmi les 300 œuvres exposées, six ont été prêtées par le musée d’Israël à Jérusalem.
Qu’en penserait Chagall, ce juif de Russie venu trouver la gloire à Paris, lui, qui aimait tant peindre la Bible ? Dès l’entrée, son chef-d’œuvre « Moïse recevant les tables de la loi » invite plutôt au recueillement qu’à l’agitation. À la réunion qu’à la division.
L’exposition constitue la dernière partie d’un triptyque sur les trois grands monothéismes, après « Hadj, le pèlerinage à La Mecque » en 2014 et « Chrétiens d’Orient » en 2017. Et le plus sensible pour l’IMA, dont les commissaires ont réalisé un travail de Titan, avec des pépites issues des musées du monde entier, de New York à Tolède en passant par Bruxelles et Londres, du Louvre ou d’Orsay, ainsi que de grandes collections privées, pour couvrir une époque de l’Antiquité à Enrico Macias, dont on entend dans l’une des dernières salles « J’ai quitté mon pays » et une interview où ce juif de Constantine dit : « Ce qui m’a consolé, c’est la couleur de la mer, pareille des deux côtés ».
Des premiers vases antiques de l’ancienne Syrie à une évocation du regretté Élie Kakou et de sa Madame Sarfati, l’exposition raconte une histoire plurimillénaire, comme un grand roman-fleuve.
Il faut déjà comprendre à quel point l’on se trompe souvent sur l’identité du monde juif lui-même. Pour à peu près tout le monde, il y a les Ashkénazes, originaires d’Europe, et les Sépharades, venus de l’autre côté de la Méditerranée, du Maghreb.
« Mais la réalité est très différente entre les Juifs du Yémen et ceux du Maroc, par exemple. Sépharades est un mot qui désigne les Juifs chassés d’Espagne et du Portugal lors des expulsions de 1491 et après. On montre ici à quel point la question de l’identité est complexe, et c’est pour ça qu’on dit : Juifs d’Orient, pas juifs sépharades », précise Élodie Bouffard, l’une des commissaires.
Même une synagogue romaine en Tunisie, cela surprend. Les extraordinaires mosaïques du VIe siècle, à l’époque encore romaine de l’Afrique du Nord, comportent à la fois des inscriptions latines et des représentations de palmiers, de poissons, de fleurs et d’animaux. Un judaïsme très oriental pour une religion qui s’est le plus souvent détournée de l’image.
Les pièces magnifiques sortent pour la première fois du Brooklyn Museum de New York. Peintures, photographies, tissages, costumes, manuscrits rares se succèdent sans jamais donner l’impression d’un cours un peu scolaire, mais de trouvailles. Comme cet extrait du premier livre imprimé du monde arabe, en hébreu, en 1516 à Fès, après l’expulsion des Juifs du Portugal. Ou ces aquarelles de « Femme mauresque » ou « Juive dans la rue » de Victor Mauboussin, qui évoquent la mode de l’orientalisme lancée par Delacroix au XIXe siècle.
L’indépendance de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, et le départ d’une très grande partie de la communauté juive après 1962, est brièvement évoquée en fin de parcours. Le sujet, c’est leur présence, non leur absence. La réussite d’une exposition se juge aussi par son Livre d’Or. À la sortie, celui-ci, ouvert depuis le 24 novembre dernier, est entièrement rempli jusque dans les marges des dernières pages et de la couverture. « Il faut qu’on en mette un autre », sourit un gardien.
Les commentaires de visiteurs se veulent souvent reconnaissants : « En espérant que le rappel de cette mémoire commune puisse rapprocher ces peuples présentés comme totalement opposés ! » note quelqu’un. « Cela remue en moi un passé, une culture, faite de joie et de larmes », signe Évelyne. « Souvenir et rêve d’harmonie », écrit une Simone songeuse.
« Juifs d’Orient », Institut du Monde Arabe (Paris Ve), 10 heures-18 heures, samedis et dimanches 19 heures, fermé lundi, 6-8 euros, jusqu’au 13 mars 2022.
Source : Le Parisien