La Maison sublime, plus ancien monument juif de France
Blotti en sous-sol de Rouen, la Maison sublime rouvre au public samedi 30 avril 2022, après plusieurs années de travaux. Visite du plus vieux monument juif de France.
À 2,5 mètres sous les pavés du palais de justice de Rouen (Seine-Maritime), une lumière tamisée éclaire les murs blancs d’un édifice rectangulaire niché au cœur d’une crypte archéologique. La Maison sublime, plus ancien monument juif connu en France, va être rouverte au public dès samedi 30 avril 2022, après plusieurs années de travaux de restauration et de sécurisation où elle n’était visitable qu’à de rares exceptions.
L’auteur de ces lignes a pu suivre une visite guidée des lieux, en marge d’une conférence de presse tenue dans la cour du tribunal, vendredi 29 avril. Une exposition permanente fait le tour des vestiges. Des panneaux explicatifs reviennent en textes et en images sur l’histoire de l’édifice.
La Maison sublime se trouvait au cœur du quartier juif qui s’étendait au Moyen Âge sur trois paroisses chrétiennes. « Juifs et catholiques vivent alors en harmonie, resitue la guide-conférencière chargée de la visite. Au XIIe siècle, la communauté juive de Rouen joue un rôle majeur dans l’essor économique et intellectuel de la ville. »
Cette période de prospérité succède à un épisode particulièrement violent. Celui du pogrom de 1096 où les juifs sont attaqués alors que s’élance la première croisade vers Jérusalem. « Ils sont tués ou convertis de force au christianisme, leurs édifices sont détruits. » Après ce massacre, « le roi d’Angleterre et duc de Normandie autorise la reconstruction des biens de la communauté juive ». Ce qui permet de situer l’édification de la Maison sublime au tout début du XIIe siècle.
En revanche, l’utilisation de ce bâtiment entièrement construit en pierre calcaire reste un mystère. S’agissait-il d’une école rabbinique, d’une synagogue, d’une résidence privée ? Ni les sources écrites ni les résultats des fouilles archéologiques ne permettent de trancher avec certitude.
D’autant qu’en 1306, le roi Philippe le Bel expulse les juifs de France, réquisitionne leurs biens dont la Maison sublime qui est cédée à la ville de Rouen, devient un lieu d’occupation chrétienne et s’en trouve transformée. « C’est pourquoi les historiens ont autant de mal à définir la fonction originelle du lieu », explique la guide.
Sa destruction intervient au XVe ou au XVIe siècle, tandis que le Parlement de Normandie (l’actuel palais de justice) s’étend vers l’est et recouvre le site. Il faudra attendre 1976 et des travaux de réfection du pavage de la cour du palais de justice pour que la Maison sublime soit fortuitement découverte.
La mise au jour de 16 graffitis en hébreu (toujours visibles aujourd’hui quoiqu’altérés par le temps et l’humidité) dans la salle basse de ce bâtiment à trois niveaux confirme que celui-ci appartenait bien à la communauté juive. Le nom qui a été donné à ce monument est d’ailleurs directement inspiré de l’une de ces inscriptions : « Que cette maison soit sublime ».
Classés au titre des Monuments historiques en 1977, restaurés puis ouverts au public pour la première fois en 1980, les vestiges seront rendus pratiquement inaccessibles pour des raisons de sécurité à partir des attentats du 11 septembre 2001.
Sa réouverture aujourd’hui constitue l’aboutissement d’un long processus entamé au milieu des années 2000. « Nous avons travaillé à partir de 2007 avec l’État et les collectivité locales en ayant pour objectif la valorisation du bâtiment », rembobine Jean-Robert Ragache, président de l’association La Maison Sublime de Rouen.
Des travaux sont entrepris entre 2018 et 2020, d’un montant d’un million d’euros, « financés pour moitié par la ministère de la Justice », souligne Marie-Christine Leprince. La première présidente de la cour d’appel de Rouen évoque « un chantier complexe, sous-terrain. Les sources d’humidité ont impliqué une importante restauration (avec la pause d’un système de climatisation pour réguler le taux d’humidité et ainsi préserver les graffitis, NDLR). Il a aussi fallu réaliser un aménagement pour le rendre le plus accessible possible. »
Sans compter les opérations visant à satisfaire les exigences en matière de sécurité incendie, d’évacuation des personnes à mobilité réduite ou de mise en sûreté contre le risque terroriste qui ont entrainé un nouveau report de la date de réouverture du monument désormais géré par la Régie des équipements culturels de la Métropole Rouen Normandie.
Cet événement suscite l’enthousiasme de Chmouel Lubecki. Le rabbin de Rouen insiste sur la possibilité de « faire découvrir ce diamant qui montre qu’il y a eu une présence juive très importante et que ça continue aujourd’hui ».
« Rouen est sublime quand elle remet au jour ses trésors cachés, complète Nicolas Mayer-Rossignol, maire de la ville et président de la Métropole. C’est un site de dimension nationale, européenne. » Et un argument de plus, aux yeux de l’édile, pour la candidature de la cité normande au statut de capitale européenne de la culture, en 2028.