La perspective de 200.000 touristes juifs en jeu: la guerre du «Label Cacher Maroc» expliquée par Serge Berdugo
Par Tarik Qattab - Le360Ma
Secrétaire général du Conseil des communautés israélites du Maroc, Serge Berdugo explique les enjeux tant cultuels qu’économiques à l'origine du verrouillage (en cours) des prestations cacher au Maroc. Pour lui, il s’agit de mettre fin à un chaos préjudiciable pour le pays, qui s’apprête à accueillir 200.000 touristes israéliens par an. Interview.
La convention a été signée au cours de ce mois d’avril entre les ministères de l’Intérieur et du Tourisme, l’Office national marocain du tourisme et le Conseil des communautés israélites du Maroc, que préside Serge Berdugo, lui-même ancien ministre du Tourisme du Royaume. Le document entend être un cadre global pour réglementer bien des aspects de la vie juive au Maroc, en verrouillant notamment le contrôle et la délivrance des prestations cacher pour aboutir à un «Label Cacher Maroc» mondialement reconnu et mettre en valeur le patrimoine hébraïque national.
A bien comprendre aussi bien les enjeux liés au label cacher, et le chaos qui a régné jusqu’ici en la matière, que ses implications, notamment sur la capacité du Maroc à rassurer les 100.000 touristes israéliens en vue dès cette année (avec un passage à 200.000 touristes à très court terme), on comprend mieux la véritable opération «mains propres» qu’a menée le Conseil sur ce registre. Au risque de créer une polémique au sein de la communauté. Tout est bien qui finit bien, la convention vient non seulement mettre un terme à ce chaos, mais aussi ouvrir de nouvelles perspectives, bien plus larges, au développement du label cacher au Royaume.
La genèse du problème, ses ramifications et, surtout, les changements majeurs et annonciateurs d’une toute nouvelle dimension, dans ces explications de Serge Berdugo.
En quoi consiste la nouvelle convention signée entre le Conseil que vous présidez et les ministère de l’Intérieur et du Tourisme ainsi que l’ONMT?
Cette convention unique dans le monde trouve sa source dans les Hautes orientations royales appelant à garantir aux citoyens marocains de confession juive l’accomplissement de leurs pratiques cultuelles ainsi que la préservation et la promotion du patrimoine culturel hébraïque du Royaume. Elle fait suite à la circulaire interministérielle du 23 juillet 2021 attribuant à la Commission de la Cacheroute de Casablanca la délivrance des prestations cacher dans le Royaume.
Elle s’inscrit parfaitement dans les attributions du département du Tourisme, notamment l’encadrement et l’appui aux professions et aux activités touristiques. Le rétablissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, et notamment l’ouverture d’une liaison aérienne directe, engendreront un flux de touristes juifs qui va plus que doubler pour atteindre 100.000 touristes dès 2022. Cette convention répond également aux souhaits de la communauté juive nationale d’assainir le secteur de la Cacheroute.
La circulaire précitée est signée par pas moins de quatre départements ministériels. Quel en est l’objet, et l’enjeu?
La circulaire interministérielle du 23 juillet 2021 est en effet signée par les départements de l’Intérieur, de l’Agriculture, du Commerce et de l'industrie et du Tourisme. Ceci, parce qu’elle établit les conditions de la délivrance des prestations cacher au Maroc. Elle attribue l’octroi de la certification cacher (Teoudah) et du «Label Cacher Maroc» en exclusivité à la Commission de la Cacheroute de Casablanca (CCDC), et ce, pour tous les produits ou services réputés cacher sur le marché marocain et à l’export.
Cette décision gouvernementale –souhaitée par la communauté juive du Maroc– vise essentiellement à mettre fin au chaos et l’anarchie qui régnaient dans le domaine de la cacheroute suite à des comportements délictueux de certains organisateurs de séjours cacher.
En 2018, le Grand rabbin de Jérusalem, Shlomo Amar, condamnait d’ailleurs les «pratiques frauduleuses» des opérateurs israéliens et organisateurs de voyages cacher au Maroc, qui trompaient leurs clients en leur servant des aliments non cacher. «La majorité d’entre eux n’ont aucune cacheroute et induisent les gens en erreur», dénonçait-il, appelant à se méfier de ces opérateurs et à exiger qu’ils aient soit une Téoudah (certificat) soit une Hachgaha (attestation de contrôle).
La communauté juive marocaine a toujours été à la hauteur de ses devoirs et engagements s’agissant de cacheroute, mais elle était désarmée face à des agissements délictueux grandissants. La circulaire interministérielle lui donne les moyens légaux d’agir pour assainir ce secteur et lui permettre de mettre en place une cacheroute fiable, mondialement reconnue, et notamment de trouver des solutions à l’approvisionnement en viande cacher des 200.000 touristes de confession juive attendus dans les prochaines années.
La mise en place de la Commission de la Cacheroute a cependant été très mal accueillie par certains opérateurs, des bouchers notamment…
Il était prévisible que la mise en place de la Commission de la Cacheroute allait susciter des réactions hostiles et l’inquiétude des bouchers installés, ainsi que des prestataires opposés à l’assainissement du secteur. Mais nous ne nous attendions pas à une telle virulence, à coups de fake news, notamment sur les réseaux sociaux. C’est un comportement indigne de tout rabbin.
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Par contre, nous savions que les opérateurs honnêtes et sérieux comprendraient que l’objectif recherché n’était pas d’entraver leurs activités ou de les taxer. Il n’a jamais été question d’instaurer une taxe sur la cacheroute afin de retirer d’éventuels subsides pour les services sociaux de la communauté (ce qui, au demeurant, n’aurait rien d’anormal, au regard de ce qui se passe partout dans le monde), mais bien d’établir un service fiable, transparent, crédible, moderne, et reconnu, pour garantir les prescriptions religieuses et rassurer les clients. Ce service a un coût qui doit être supporté, non pas par les individus qui sont libres d’agir à leur guise, mais par les commerçants pour lesquels le label cacher constitue un élément essentiel, sinon indispensable, de leur commerce.
Comment expliquer de telles attaques et qui est derrière celles-ci?
L’ancien Av Beth Din (dirigeant du Beth Din, tribunal religieux, Ndlr) avait été nommé par le Conseil des communautés et le rabbinat pour apporter son assistance à la communauté dans sa quête permanente de consolidation de la cacheroute. Hélas, durant son mandat, absolument rien n’a été entrepris pour la création d’une authentique cacheroute et on peut résumer son action à deux courtes visites médiatisées aux abattoirs.
En fait, il a délégué ses responsabilités à un proche, dont le mandat à durée déterminée s’est achevé en septembre 2021. Immédiatement après, nous avons assisté à une campagne de dénigrement et de fake news grossière sur les réseaux sociaux alors même que la cacheroute n’avait subi aucun changement, donc aucune dégradation, et que les responsables de l’abattage rituel (rabbins, jugulateurs, contrôleurs, bouchers, chevillards...) sont restés les mêmes.
Comment s’organise la nouvelle Commission et quelles garanties quant à son bon fonctionnement?
La Commission de la Cacheroute de Casablanca a été mise en place en décembre 2021. Elle comprend un Beth Din composé de 5 rabbins juges. Le corps rabbinique est seul à prendre en dernier ressort toutes les décisions relatives aux prescriptions religieuses, lesquelles seront appliquées par le service administratif.
La constitution de la Commission de Casablanca a d’ailleurs été chaleureusement saluée par de grands rabbins marocains, notamment Rabbi Shlomo Amar, grand rabbin sépharade qui déclarait le 6 décembre 2021: «Je fais entièrement confiance au Beth Din de Casablanca et je les soutiens pleinement et, bien sûr, je suis prêt à apporter mon assistance pour la réussite de cette mission sacrée.»
La responsabilité de la Commission est lourde mais elle n’est pas impossible. En coopération étroite avec les prestataires de services sérieux, elle établira un «Label Cacher Maroc» crédible et mondialement respecté.
Après quelques mois d’existence de la Commission et alors que les fêtes de Pessah s’achèvent, quel premier bilan faites-vous de son travail?
La Commission a rempli une de ses tâches essentielles en assurant l’approvisionnement en viande cacher de la communauté juive et des touristes.
Les bouchers installés étant dans l’incapacité de satisfaire les besoins des dizaines de milliers de touristes fraîchement arrivés, elle s’est rapprochée d’opérateurs internationaux de la filière cacher en capacité de satisfaire, à des prix compétitifs, les besoins présents et futurs du marché. A l’issue de ces consultations, une des plus importantes sociétés françaises, dirigée par un Marocain originaire de Casablanca, a été sélectionnée.
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Cet entrepreneur a exposé son plan d’action au cours de deux réunions de travail aux représentants qualifiés de la communauté et aux traiteurs qui ont adhéré au nouveau dispositif, considéré comme «la garantie d’une véritable cacheroute et d’un approvisionnement régulier et fiable».
Les bouchers traditionnels, après avoir rejeté les nouvelles structures par peur de la concurrence et organisé une fronde, ont pris conscience de la nécessité de s’adapter à l’évolution inéluctable du marché. Aujourd'hui, tout est rentré dans l’ordre et l’approvisionnement d’un marché en augmentation exponentielle est normalisé.
Ainsi, pour les fêtes de Pessah, les bouchers traditionnels ont approvisionné les particuliers et les traiteurs locaux alors que l’entreprise d’abattage industriel a relevé le défi de satisfaire les besoins en viande, abattue au Maroc et certifiée cacher selon les standards internationaux, des 14 établissements sous la surveillance de la Commission, ce qui représente 75% de la demande exprimée. C’est un exploit!
A part la viande, quelles sont les autres actions menées par la Commission et sur quels produits?
Malgré les difficultés de recrutement dans un court laps de temps de personnels compétents, la Commission de la cacheroute de Casablanca (CCDC) est opérationnelle et son action se développe selon le programme établi.
Son site web «cacheroutemaroc.com» a été mis en ligne en mars 2022 et fournit les informations utiles aux prestataires de services et commerçants (documents, formulaires) et au public (listes des établissements hôteliers, restaurants, traiteurs, pâtisseries, charcuteries et produits cacher).
La certification des établissements de restauration a été lancée avec succès auprès des restaurants, fastfoods et traiteurs à Casablanca et Marrakech. Tous les restaurants bénéficiant d’une Teoudah (certificat) 2022 sont répertoriés dans le site web.
Par ailleurs, la Commission a procédé à l’audit d’une vingtaine d’hôtels. Et pour les fêtes de Pessah (avril 2022), elle a été en mesure de surveiller la cacheroute dans 14 unités hôtelières sur les 22 établissements organisant des séjours cacher à Marrakech, Agadir et El Jadida, qui ont regroupé plus de 10.000 visiteurs satisfaits de leurs séjours et des prestations cacher.
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La CCDC a également entamé sa campagne d’octroi du «Label Cacher Maroc» pour des établissements aussi divers qu’un air catering, des usines de produits laitiers, d’embouteillage d’eau, d’huile d’argan, d’huile d'olive, de fumage de poissons, de miel, de biscuits, d’arômes, de bonbons, de conserves, de caves de vinification. Et ce n’est qu’un début...
En quoi consiste le volet «promotion du patrimoine culturel juif» de l’accord?
Le riche patrimoine cultuel et culturel du judaïsme marocain mérite d’être mis en exergue par le ministère du Tourisme et l’ONMT qui ont vocation d’assurer la promotion de toutes les facettes de la civilisation marocaine.
Durant les 20 dernières années, des dizaines de lieux historiques et de sites juifs ont été réhabilités (nécropoles, synagogues, mausolées) et de nouveaux musées ont vu le jour sous le Haut patronage de Sa Majesté. Ces monuments sont autant de marqueurs de l’Histoire ancestrale de notre nation et autant de trésors qui doivent être inventoriés et présentés dans une forme attrayante. C’est l’objectif du partenariat entre le ministère du Tourisme, l’ONMT et le Conseil des communautés israélites du Maroc, qui, dans un premier temps, vont éditer un guide et une série de brochures promotionnelles adressées au public le plus large.
A quand un circuit cacher verrouillé à 100%?
Le chemin est semé d’embûches car il y a beaucoup d’intérêts en jeu. Pour l’heure, le programme se déroule selon les prévisions. Grâce à la convention signée avec les ministères de l’Intérieur et du Tourisme et le Conseil des communautés, la Commission de la cacheroute disposera des moyens financiers pour amorcer la mise en place de l’écosystème Cacher Maroc, en recrutant des rabbins et des contrôleurs compétents pour pérenniser et garantir une cacheroute véritable.
Dans cette perspective, les quelques 200.000 touristes juifs ont toutes les raisons d’être rassurés par la création d’un organisme officiel de contrôle de la cacheroute au Maroc, dont l’intervention n’aura qu’une incidence dérisoire sur le prix de leur séjour. Les professionnels sérieux, et après une période d’adaptation, adhéreront sans doute à la nouvelle réglementation qui fixe les responsabilités de chaque intervenant et établit les règles d’une saine concurrence.
Grâce aux moyens mis à sa disposition par la convention, la Commission sera en mesure de généraliser ces contrôles pour atteindre à très court terme un seuil de tolérance zéro avec le renforcement du cadre légal et l’assistance des autorités concernées. A n’en pas douter, la création d’un «Label Cacher Maroc» fiable et reconnu sera un atout pour le développement du tourisme marocain.