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Knock-out à la guerre froide, par David Bensoussan

L’ego du président Poutine aura été blessé. Il a caché ses intentions, a assemblé un pot-pourri mal équipé constitué d’unités spéciales, de nouvelles recrues de Sibérie et des Tchétchènes pour se lancer dans une invasion mal conçue et désordonnée qui a abouti à des pertes humaines et des pertes d’équipement importantes. Il a grandement sous-estimé les réactions des Ukrainiens et de l’Ouest et est incapable de contrôler les conséquences de ses actes.

Le contexte militaire russe

La guerre de Géorgie en 2008 avait mis à jour de grandes lacunes militaires de la Russie. La décision fut prise de moderniser l’armée russe dont les acquisitions doublèrent entre 2008 et 2019 pour atteindre 250 milliards, soit près de trois fois le budget de la France ou de l’Angleterre : 600 avions de combat, 840 hélicoptères et 2300 drones furent ajoutés durant une décennie.

Il est fort possible que l’expérience russe en Crimée, en Syrie et dans le Donbass ait fait penser que l’invasion de l’Ukraine serait une affaire de jours. Or, la réalité fut tout autre.

Eu regard aux problèmes de l’Armée rouge en Ukraine qui ont mis à jour des défectuosités matérielles graves, il est légitime de se demander s’il peut exister une armée qui reste intègre en marge d’un régime politique corrompu et coercitif.

Il s’y ajoute des défaillances logistiques non moins graves. Des blindés en panne d’essence ou des convois de blindés empilés sur une même route ont continué d’être déployés d’une façon quasi suicidaire. Des recours à des bombardements aériens non guidés volant à basse altitude et des problèmes de communication russes les ont rendus plus vulnérables ; plusieurs généraux russes ont été repérés et abattus. Les pertes russes sont estimées à plus de 15 000 morts et 1600 véhicules blindés. L’attaque sur Kiev fut désastreuse et la Russie tente de consolider tant bien que mal son emprise sur le Sud et l’Est de l’Ukraine. Les pertes navales russes en mer Noire entravent la capture d’Odessa qui priverait l’Ukraine d’un port essentiel à ses exportations.

Il faudrait toute une génération pour redorer le blason de l’Armée rouge. Le recours aux bombardements de cibles civiles dont des hôpitaux, voire des massacres (Bucha) sont des mesures qui ont eu le contre effet d’unir les Ukrainiens et de souder les pays démocratiques pour venir en aide à l’Ukraine et faire corps avec l’OTAN. Bien des pays se sentent menacés au cas où la Russie s’ancre impunément en Ukraine.

Le contexte militaire ukrainien

Bien que l’armée ukrainienne ait été formée sur le modèle de l’armée russe, son expérience en Irak et en Afghanistan l’a préparée à une hiérarchie de commande décentralisée. Les pays limitrophes anciens membres du pacte de Varsovie acheminent du matériel et des munitions en soutien à l’armée ukrainienne équipée du même type d’armements. Pour maintenir les opérations militaires ukrainiennes, la durée de vie de ces munitions devra être supérieure au temps nécessaire pour l’industrie des pays de l’Ouest de produire de nouvelles armes tout en assurant des réserves en armement.

L’Ukraine a des défis logistiques majeurs. Son réseau de communication cellulaire a été épargné, car d’une part l’armée russe s’en est servie en raison de ses communications défaillantes et que de l’autre, l’accès Internet est fourni par des terminaux satellitaires Skylink, gracieuseté d’Elon Musk.

La corruption n’épargne pas l’Ukraine qui est classée au 122e rang par Transparency International alors que la Russie est classée au 136e rang. Néanmoins, la motivation des Ukrainiens pour la survie de leur pays change la donne. Par contre, le manque de motivation des troupes russes souvent inconscientes de la raison de leur présence en Ukraine a fait toute la différence.

La réaction des démocraties

Un sentiment d’horreur a secoué la planète devant la catastrophe humanitaire et les dégâts qui ont accompagné l’invasion de l’Ukraine. Des secours ont été apportés à des millions de réfugiés et des armes défensives envoyées en grande quantité.

L’Europe se réarme massivement et serre les rangs autour des États-Unis qui deviennent l’arsenal des démocraties, tout comme durant la Seconde Guerre mondiale. L’intégration de la Finlande et de la Suède à l’OTAN n’est plus qu’une question de temps.

En outre, on commence à voir l’effet des sanctions économiques contre la Russie : gel des réserves bancaires, limitations imposées à des produits et des personnes – dont les oligarques. L’effet de la fuite des cerveaux de la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine se fera sentir à moyen terme. La puissance économique de la Russie repose en grande partie sur la vente d’hydrocarbures : 45% du gaz naturel et 25% du pétrole de l’Union européenne sont achetés à la Russie pour l’équivalent d’un milliard par jour. L’économie russe tire actuellement avantage de la hausse du prix du Brent, mais bien des pays cherchent des approvisionnements ou des solutions alternatives, transition qui ne sera guère facile. De son côté, la Russie a cessé ses exportations de pétrole vers la Pologne et la Bulgarie, pays qui ont refusé de payer en roubles plutôt qu’en dollars.

Déclarations promptes

Le président américain Biden qui avait défendu l’intégrité territoriale de l’Ukraine un an plus tôt a appelé à la fin de la domination de la Russie par Poutine. Le secrétaire de la Défense américaine Lloyd Austin a déclaré que le but n’est pas de restaurer la souveraineté de l’Ukraine, mais d’affaiblir la Russie. Des officiels américains se sont vantés d’avoir fourni les renseignements qui ont aidé à faire couler le croiseur lance-missiles Moskva.

Pour Liz Truss, secrétaire d’État aux Affaires étrangères de la Grande-Bretagne, l’Europe ne sera plus en sécurité si la Russie réussit à occuper l’Ukraine. Selon ses dires, le choix entre la sécurité atlantique et la sécurité indopacifique est faux et il faut mettre sur pied une OTAN à l’échelle de la planète. D’autres politiciens cherchent la condamnation de Poutine pour crimes de guerre.

Certaines de ces déclarations sont imprudentes et peuvent avoir des conséquences non intentionnelles. Elles mettent Poutine sur la défensive et risquent de le pousser à s’engager dans des mesures désespérées tel l’usage d’armes nucléaires lesquelles changeraient radicalement le caractère de la réaction de l’Ouest.

Objectifs ultimes

Remplacer Poutine ?

On est tenté de comparer la situation actuelle à celle de la libération du Koweït en 1991 laissant en place le dictateur irakien Saddam Hussein qui fut délogé de son pouvoir après l’occupation de son pays par les troupes américano-britanniques douze ans plus tard. Le président de la République serbe Milosevic fut responsable des massacres en Yougoslavie dans les années 1991 et 1992. Les accords de Dayton mirent fin à la guerre avec la Croatie et la Bosnie-Herzégovine. Néanmoins, les massacres reprirent au Kosovo et l’OTAN fut contrainte à intervenir en 1999 et Milosevic finit par être traduit à la Cour internationale de justice à La Haye.

Si la guerre présente prend fin, cela signifie-t-il que ce n’est que partie remise pour un conflit bien plus grave ? Rappelons que ni Saddam Hussein ni Milosevic n’étaient à la commande du plus grand arsenal nucléaire de la planète. À preuve que la prudence est de mise, les États-Unis se sont abstenus d’intervenir durant la répression soviétique de la Hongrie en 1956 et de la Tchécoslovaquie en 1968. D’autre part, l’aide militaire indirecte aux Ukrainiens est analogue à l’aide soviétique au Vietnam du Nord durant la guerre du Vietnam.

Beaucoup de pays non alignés restent sur la réserve. Même la Chine qui a déclaré une amitié sans limite avec la Russie et qui serine la propagande russe dans ses médias évite de ravitailler l’armée russe.

Comment mettre fin au conflit ?

Les objectifs des pays qui viennent en aide à l’Ukraine ne sont pas bien définis. Dépendront-ils des développements sur le terrain ? Coïncident-ils avec ceux de l’Ukraine qui n’accepterait aucune cession territoriale ? Y a-t-il un compromis possible avec Poutine ?

À l’heure actuelle, il semble se dessiner un conflit prolongé et sans paix formelle à l’horizon. La Russie ne voudra pas céder le Donbass et il est possible qu’une ligne de démarcation sépare les belligérants tout comme cela a été le cas pour la Corée du Nord et la Corée du Sud et sans pour autant que l’Ukraine se joigne à l’OTAN. La cessation des sanctions et les réparations à l’Ukraine devront être négociées. Les droits des russophones d’Ukraine devront être protégés.

L’OTAN visera à décourager la Russie d’une autre invasion tout en se libérant de la dépendance des hydrocarbures russes. Plusieurs années se passeront avant que la confiance ne soit rétablie entre les pays de l’Ouest et la Russie. Il incombera à ces pays de l’Ouest de veiller à ce que la Russie soit sensible aux avantages de la démocratie responsable et fiable, ce sans quoi elle risquerait d’être gouvernée par un leader bien plus radical que Poutine.

Poutine est nostalgique du temps de la guerre froide lorsque l’Union soviétique était une superpuissance redoutable. Il a manœuvré pour consolider la Russie à l’image de l’Empire soviétique. Il hérite d’une nouvelle guerre froide certes, mais avec une Russie considérablement affaiblie.

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