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En finir avec l’identité?

L’identité n’est pas qu’un nom et un prénom. Mais comment la définir ? Plusieurs philosophes et écrivains s’y sont essayés…

Par Jacques Sojcher, écrivain

J’ai toujours eu un problème avec mon identité. D’abord avec mon nom Sojcher. On ne sait pas comment le prononcer avec son j. Soché, disait mon professeur de linguistique, Sotcher, Sprotcher. En Italie, Je réserve un restaurant au nom de Socerino.

L’identité ne tient pas qu’à un nom mais aussi à un prénom. Aron, le prénom de mon père, le désignait comme juif. Juif est une identité.

Devenu professeur à l’université, j’avais l’impression que l’on prenait ma fonction pour mon identité. Professeur, oui, mais pas que, juif, oui, mais pas que, homme, oui, mais pas que, vieux, oui, mais pas que. Un accordéon d’identités.

Edmond Jabès, l’auteur du Livre des questions, parle de sa « répugnance à tout enracinement. » Il précise : « j’ai l’impression de n’avoir d’existence que hors de toute appartenance… cette non-appartenance est aussi ce qui me rapproche de l’essence du judaïsme. » Proximité avec Maurice Blanchot.

Gilles Deleuze parle de déterritorialisation, d’un devenir « qui comprend le maximum de différence. » Un devenir femme, tzigane, animal…

Une possibilité de refuser l’identité, selon Delphine Horvilleur

Et voici que je lis Il n’y a pas d’Ajar de Delphine Horvilleur, au sous-titre provocateur : « Monologue contre l’identité. » Partant du pseudonyme de Romain Gary, qui est dèjà le pseudonyme de son nom de naissance, Roman Kacew, et qui devient ensuite Ajar, Delphine Horvilleur parle d’un « au-delà de soi », d’une possibilité de refuser l’identité.

Le refus de quoi ? D’être « entièrement défini par notre naissance, notre sexe, notre couleur de peau ou notre religion », par notre nom d’origine. Comme Jabès, elle voit dans ce refus « la défiance juive à l’égard de l’identité. » Être toujours « un étranger aux siens, à toute identité claire et à toute appartenance évidente. » Se déprendre de soi-même, dit Foucault, du pouvoir du nom propre.

Cette démarche de dépossession est surtout celle des philosophes, des écrivains, des lecteurs de fiction qui deviennent « les enfants des livres qu’ils ont lus. » Il s’agit de s’inventer d’autres vies, de s’ouvrir à la pluralité, d’en finir avec la Vérité de l’identité fermée sur elle-même dans sa pureté intégriste.

La complexité de notre finitude et de notre désir d’infini

Dans le judaïsme, Dieu est à la fois un et pluriel (Élohim). On ne connaît pas son nom ineffable. Dieu peut parfois prendre une forme féminine (la Shekina). Si nous sommes faits à sa ressemblance, nous n’avons pas une essence identitaire. Pour la rabbine Horvilleur, croire, c’est peut-être croire en l’inconnu qui nous sauve de la clôture identitaire, de la religion comme idolâtrie.

Pourtant l’identité persiste, Delphine Horvilleur signe son livre, sans prendre de pseudonyme. Sans son identité, elle n’aurait pas pu l’écrire.

L’entre-soi n’a pas non plus disparu, Delphine est rabbine, juive, elle appartient à une communauté. « Oui à l’entre-soi, mais à condition qu’on sache toujours qu’on est plusieurs chez soi », qu’on est aussi en devenir vers l’autre. « L’origine, ça ne compte jamais autant que ce qui t’arrive en retour. »

Le devenir s’appelle transcendance, dépassement de son ego, de sa tribu, de « l’étrange je », dit Jabès.

Nous sommes toujours dans l’entre-deux de notre identité et de son dépassement, dans la complexité de notre finitude et de notre désir d’infini.

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