Palmeraie d'Akka - Province de Tata. À la recherche du patrimoine juif oasien marocain
Au cœur d'une synagogue de la palmeraie d'Akka, l’archéologue marocain Saghir Mabrouk (INSAP) et son confrère israélien Yuval Yekutieli, de l'Université Ben Gourion du Néguev scrutent le sol à la recherche du moindre fragment, témoin de la présence juive millénaire dans les oasis du Sud du Maroc. Reportage.
Après les fouilles archéologiques maroco-israéliennes inédites effectuées dans la synagogue d’Aguerd Tamanart dont L’Observateur du Maroc a diffusé les premières images le 3 décembre 2021, la recherche du patrimoine juif oasien marocain se poursuit dans la palmeraie d’Akka (Province de Tata), comme le montre ce reportage de l’AFP.
La découverte, ce matin-là, d'un morceau de manuscrit religieux en hébreu est "un signe d'en haut", plaisante auprès de l'AFP l'archéologue israélien Yuval Yekutieli, de l'Université Ben Gourion du Néguev, membre d'une équipe de six chercheurs marocains, israéliens et français.
Bâtie en terre dans la tradition architecturale présaharienne, la synagogue du village de Tagadirt a été sauvée in extremis de la ruine. Nichée au milieu du "mellah" (quartier juif), elle permet de comprendre la vie de la communauté d'Akka, autrefois carrefour du commerce transsaharien.
«L'urgence est de travailler sur ce type d'espaces vulnérables qui risquent de disparaître alors qu'ils renferment des pans de l'histoire judéo-marocaine», explique Saghir Mabrouk, archéologue à l'Institut marocain INSAP.
«Ce projet vise à étudier cette communauté en tant que partie intégrante de la société marocaine et non sous un angle judéocentré», insiste l'anthropologue israélienne Orit Ouaknine, d'origine marocaine.
La journée avance et les archéologues classent des fragments de livres religieux, des amulettes et autres objets enterrés sous la «bimah», une plateforme rehaussée au centre de la synagogue d'où est lue la Torah.
«Le plus étonnant c'est que personne n'avait écrit auparavant sur cet enfouissement», souligne Yuval Yekutieli, et «il a fallu faire des fouilles pour le découvrir».
Car s'il est obligatoire de ne pas jeter ou détruire les textes invoquant le nom de Dieu, il est inhabituel de les enterrer à un tel endroit.
Parmi le matériel répertorié, des lettres, des contrats commerciaux et de mariage, ainsi que des ustensiles de la vie courante et des pièces de monnaie.
La synagogue commençait à tomber en ruine quand des pillards ont tenté de dérober le trésor enterré.
«La bonne nouvelle, c'est qu'une des poutres s'est effondrée, rendant l'accès impraticable», raconte l'archéologue israélien.
A Aguerd Tamanart comme à Tagadirt, c'est l'architecte marocaine Salima Naji qui a conduit la restauration, en terre crue, dans le respect de la tradition de cette région aride déshéritée.
«Il y a plus de dix ans, j'avais commencé par faire la typologie de toutes les synagogues de la région. Mon expérience de réhabilitation des mosquées et des ksour (villages fortifiés) m'a aidée à mieux appréhender celle des synagogues», explique-t-elle.
A Tagadirt, les travaux sont toujours en cours. L'équipe de l'architecte s'active pour remettre sur pied le lanterneau qui apporte la lumière à l'édifice.
Un chantier vu d'un bon œil par les habitants musulmans de l'ex-mellah: «c'est une bonne chose de ne pas laisser la synagogue à l'abandon», estime Mahjouba Oubaha, une artisane de 55 ans.
L'exploration du patrimoine judéo-marocain permet d'étudier les objets, l'habitat mais aussi le mode de vie des derniers résidents du mellah.
Orit Ouaknine a mené des entretiens avec d'anciens habitants juifs des deux villages, installés en Israël, aux Etats-Unis ou en France. «C'est une course contre la montre de recueillir ces précieux témoignages», explique l'anthropologue israélienne.
Au-delà du travail de mémoire, le géographe français David Goeury, spécialiste de la résilience des espaces oasiens et coordinateur du projet, trouve «ces lieux marginalisés extrêmement précieux pour comprendre comment réorienter aujourd'hui nos vies dans les métropoles».