Rue des Rosiers, un monde qui nous quitte par Gilbert Werndorfer
Aujourd’hui je ne vais pas « plaisanter », je n’ai pas l’âme à « blaguer » ! Juste rendre hommage à une figure de cette rue mythique, qui a beaucoup œuvré pour faire grandir l’âme juive de beaucoup de Juifs de France et d’ailleurs.
Patrick Haziot est parti rejoindre le monde d’un soi-disant silence, un silence qui nous « parle » lorsque nous voulons être à son écoute. Patrick Haziot était une figure, un personnage, un militant du « quartier ».
Il dirigeait la galerie Dima, qui bien évidemment est fermée pour les circonstances. Mais il n’avait pas seulement créé cette galerie il y a une douzaine d’années, la création de Diasporama a également marqué de son empreinte ce quartier.
Son père, qui nous a quittés il y a quelques mois, était un épicier juif de longue date, rue des Rosiers, à la place de Diasporama. Patrick était l’homme le plus chaleureux que je connaisse, jamais ne transparaissaient aux yeux du visiteur, ses souffrances profondes ou plus éphémères…
Son amour pour le judaïsme et l’art transpirait à tel point que le partage avec l’autre était une évidence et qu’il était impossible de ne pas transcender avec lui « l’esprit juif » dans l’art et dans la culture.
J’avais partagé avec lui bon nombre d’événements que l’on avait organisés et animés ensemble, lorsque j’étais l’un des libraires de Bibliophane, qui n’existe plus. C’était rassurant de le voir déambuler dans sa galerie. Se passionner pour telle ou telle œuvre ou tel ou tel peintre juif.
Je n’aime pas faire des « hommages » aux disparus, je ne pense pas avoir la « plume » pour cela. Ecrire pour moi est un défoulement, un espace où je prends les mots et les idées comme des jeux, des objets de cirque qui vont s’entrechoquer.
Mais ma tristesse est double multiple, la perte d’un ami, d’un juif militant, d’un juif rêveur et aussi un juif de la « rue », celle qui fut chère à mon cœur, comme au cœur de beaucoup. Voir partir Patrick, c’est encore un morceau de vie juive que l’on enlève dans ce quartier.
Doucement, le futile prend place dans Paris, mais plus encore dans la rue des Rosiers… Après Goldenberg, Bibliophane, le café des Psaumes, Yoram le coiffeur… et tant d’autres, c’est au tour de Patrick. Nous regardons, désarmés, la fin d’un monde ! Que reste-t-il de ce monde ? Des falafels folkloriques, des gâteaux ashkénazes d’un souvenir lointain qui se vendent comme les Tours Eiffel miniatures sur les bords des quais parisiens…
Je ne suis pas un nostalgique, je suis juste triste d’assister à la fin d’un monde, celui de la chaleur humaine, où les croyants, les « chnorrers », les « shlépers », les rabbins, les petits trafiquants de petites choses, les raconteurs de blagues juives, les mangeurs de cornichons salés, les mangeurs de livres… n’ont plus vraiment de lieu pour se croiser, pour échanger un mot, deux mots, un regard, un cornichon, un livre…
La rue des Rosiers n’était pas du folklore, ni un « musée », le monde juif ne peut pas se contenter d’être un « musée », il doit vivre intensément sans folklore et surtout avec authenticité ! Patrick était un authentique juif de ce monde qui disparaît. Alors acceptons, et je me le dis surtout à moi-même, que ce monde n’existe plus et, à contrario de la femme de Loth, regardons « devant » sans trop nous retourner pour construire un monde juif qui n’aura pour but que de faire grandir nos âmes sans avoir une attache sédentaire à un lieu, qui peut-être, fige les choses tout comme les souvenirs d’un passé lointain dans un autre pays, l’Algérie, la Tunisie, la Pologne…
Notre pays à nous, Juifs, c’est notre imaginaire, notre culture quatre fois millénaire, notre itinéraire collectif et individuel qui transporte vers l’autre, vers un ailleurs qui doit être en constant mouvement, sans limite.
Contrairement à mon habitude de commencer, par une blague juive, je finirais par ainsi : un juif soviétique a enfin son visa pour Israël. Il arrive en Eretz et là, au bout d’un mois ou deux, il veut repartir en URSS. L’Etat hébreu n’est pas contrariant… Une fois en URSS, au bout de deux mois ou trois, il veut retourner en Israël, prétextant qu’il n’est pas « à son aise ». Une fois en Israël, le service de l’Alya lui dit : « il faut vous décider soit URSS soit Israël, nous commençons à en avoir un peu marre !! Maspik ! ». Il répond : « vous voyez je ne peux pas choisir, ce que j’aime, moi, ce sont les voyages en avion ! »
G.W.