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« Vous Doña Gracia » de Michèle Sarde, le portrait d’une marrane exceptionnelle au cœur des intolérances du XVIe siècle

Par Isabelle de Montvert-Chaussy


Michèle Sarde rattache sa propre histoire familiale à celle de Gracia Naci, cette Espagnole puissante, qui au cours d’un long voyage jusqu’en terre ottomane, a voulu protéger les juifs persécutés en Europe.

Beatriz de Luna, Hannah, Gracia Naci, Benveniste ou Mendes… Née en 1510, baptisée Beatriz à l’église. Semah est devenu Francisco ; Meir, Diogo ; João, Joseph… Ces nouveaux chrétiens ont quitté, encore juifs, la très catholique Saragosse pour trouver une éphémère quiétude à Lisbonne. L’Inquisition a suivi. On chasse, on massacre. Les Mendes, ex-Benveniste, sont riches et banquiers. Leur opulence a l’odeur des épices lointaines, l’éclat des pierres précieuses et le résonnement des caisses d’écus dans lesquelles princes et rois se servent volontiers. Protégés ? Jusqu’à quand… Mieux vaut fuir.

Ce sera le prétexte d’un mariage autrefois promis qui mène Beatriz – désormais Gracia –, Brianda, sa sœur, Joseph, son neveu, à Anvers où Diogo tient comptoir. Diogo est à la fois son oncle et le frère de son mari décédé. Il va épouser Brianda. Et mourir en léguant sa fortune non pas à sa femme, mais à sa belle-sœur qui reprend la route. Florence, Venise, Ferrare, Raguse et enfin ces pays ottomans où Gracia va nourrir le rêve de relever Tibériade et y accueillir les juifs errants.

Cette femme, Michèle Sarde l’a « rencontrée » en lisant « La Senora » de Catherine Clément. « Adoptée », dit-elle, comme une aïeule plausible tissant un fil imaginaire jusqu’à sa grand-mère (« À la recherche de Marie J. »), sa mère (« Revenir du silence -Le récit de Jenny » ) et autres ancêtres qui ont, sans doute, tracé à peu près le même itinéraire que Doña Gracia.

L’auteure elle-même, née au cœur de la Shoah, a été baptisée catholique et secrètement élevée juive. Comme Beatriz, Hannah, Gracia à qui elle s’adresse en la vouvoyant, avec un brin de déférence, piquant son récit de contrepoints sur Thérèse d’Avila, fille de Séfarades convertis. Toutes ces stratifications, ces invariances ancestrales croisées – pour lesquelles Michèle Sarde revendique l’influence de Marguerite Yourcenar – tissent un roman singulier et ensorcelant porté par une très belle couverture de Maeva Rubli.

« Vous Doña Gracia », de Michèle Sarde, éd. Mialet-Barrault, 384 p., 21 €.

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