Hamas contre Gazaouis
par Daniel Pipes
Au cours de la guerre du Rif (1920-1926), les rebelles marocains ont infligé une défaite cuisante à l'Espagne lors de la bataille d'Annual. Interrompu alors qu'il jouait une partie de golf et informé de ce désastre, le roi d'Espagne Alphonse XIII aurait haussé les épaules en murmurant que « la viande de poulet est bon marché » avant de reprendre sa partie.
La réponse du roi est, à travers l'histoire, typique des dictateurs qui considèrent qu'ils peuvent disposer de troupes à volonté. La vie des drones humains importe peu car il est toujours possible d'en recruter davantage. L'utilisation par la Russie, lors de la bataille de Bakhmut, de combattants de Wagner recrutés dans les prisons est typique de cette utilisation occasionnelle d'une main-d'œuvre bon marché. Peu importe à Vladimir Poutine la quantité de chair à canon sacrifiée, pourvu que la ligne de front avance. Les gains sur le champ de bataille justifient toutes les pertes de vie.
Il y a ensuite le Hamas, cette organisation djihadiste qui dirige Gaza depuis 2007 et qui est devenue le centre de l'attention mondiale après le massacre d'environ 1400 Israéliens perpétré le 7 octobre. Pendant quinze ans, elle a mis en œuvre un objectif contraire et historiquement unique en tourmentant sa population. Plutôt que de sacrifier des soldats en vue de gagner sur le champ de bataille, elle sacrifie des civils à des fins de relations publiques.
Plus les habitants de Gaza endurent la misère, plus le Hamas parvient à accuser de façon convaincante Israël d'agression et plus il obtient un soutien massif et véhément de la part des antisémites de tous bords – islamistes, nationalistes palestiniens, extrémistes de gauche et de droite.
Le Hamas souhaite activement que les Gazaouis soient bombardés, affamés, accablés de souffrances, et que se multiplient parmi eux les sans-abri, les blessés et les morts. Il installe ses troupes et ses missiles dans les mosquées, les églises, les écoles, les hôpitaux et les maisons privées. Une personnalité politique émiratie, Dirar Belhoul al-Falasi, explique que « le Hamas a tiré une roquette depuis le toit de l'hôpital, pour qu'Israël bombarde cet hôpital ». Il appelle les Gazaouis à servir de boucliers humains. Il place des véhicules sur les routes pour empêcher les civils de se déplacer vers le sud et de se mettre hors de danger. Il tire même sur des personnes en train de fuir.
Le gouvernement américain a depuis longtemps remarqué ce type de comportement. En 2014, le diplomate Dennis Ross déclarait que les habitants de Gaza payaient un prix « ahurissant » pour l'agression du Hamas mais que ses dirigeants « ne s'en préoccupent jamais. Pour eux, la douleur et la souffrance des Palestiniens sont des outils à exploiter, pas des conditions pour y mettre fin. » Douglas Feith, un ancien haut responsable du Pentagone, trouve à juste titre qu'on a « jamais vu un camp adopter une stratégie de guerre visant à maximiser les morts civiles dans son propre camp ». Il qualifie cela de « non pas une stratégie de bouclier humain [mais] une stratégie de sacrifice humain ».
Bien entendu, le Hamas puise dans son idéologie islamiste pour justifier cette pratique. Un responsable explique allègrement comment « Nous, les Palestiniens, nous sacrifions. Nous considérons nos morts comme des martyrs. Ce que tout Palestinien désire le plus, c'est d'être martyrisé pour l'amour d'Allah, tout en défendant sa terre ». Mosab Hassan Yousef, fils d'un dirigeant fondateur du Hamas, l'exprime autrement : « Je suis né parmi les dirigeants du Hamas... et je les connais très bien. Ils ne se soucient pas du peuple palestinien. Ils n'ont aucune considération pour la vie humaine. J'ai vu de mes propres yeux leur brutalité. »
La logique brutale du Hamas présente de multiples avantages. Premièrement, elle profite au Hamas sur le plan tactique car Israël, qui essaie d'éviter de nuire aux civils, veille à ne pas attaquer les mosquées et les écoles. Deuxièmement, si Israël frappe des cibles aussi vulnérables, le Hamas se fait une gloire des victimes. Troisièmement, si le Hamas commet des erreurs, comme lors de l'incident de l'hôpital Ahli, et tue des Gazaouis, il peut de toute façon en rejeter la responsabilité sur Israël et persuader beaucoup de monde. Quatrièmement, les campus et les rues dans le monde entier se muent en manifestations anti-israéliennes.
Cinquièmement, les chefs du Hamas profitent d'une vie agréable, que ce soit en Turquie, au Qatar ou à Gaza même, où seuls ses membres ont accès à de vastes réserves de carburant, de nourriture, d'eau et de médicaments, allant même jusqu'à voler du carburant dans les hôpitaux. L'hebdomadaire saoudien Al-Majalla a découvert que le contrôle des routes de contrebande de Gaza avait permis à 1700 responsables du Hamas de devenir millionnaires. Ainsi, le gouvernement israélien estime que les trois principaux dirigeants de l'organisation (Ismail Haniyeh, Moussa Abu Marzuk et Khaled Mashal) pèsent 11 milliards de dollars.
Cette inversion de la logique et de la morale soulève deux questions : pourquoi cette technique fonctionne-t-elle et l'État d'Israël peut-il y remédier ?
La technique fonctionne car la victimisation est devenue la monnaie des dictateurs et des totalitaires. De Poutine à l'Iranien Ali Khamenei, ils divisent le monde entre oppresseurs et opprimés puis revendiquent le rôle des damnés de la terre. Le Hamas est certes une organisation djihadiste qui promeut un code islamique médiéval mais il a appris le langage moderne de la discrimination.
Quant au moyen d'y remédier, il faut qu'Israël extirpe le Hamas et anéantisse les œuvres ignobles de cette organisation, puis mette en place une administration convenable à Gaza qui ne poursuivra pas des méthodes aussi dégradantes. Ce ne sera pas facile mais c'est tout à fait faisable.