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La vidéo de la Licra contre l’antisémitisme loin de faire l’unanimité

 


Le film a ému aux larmes des millions de téléspectateurs - mais d'autres ont fait part de leur colère, reprochant à la campagne sa superficialité et sa timidité en évitant de pointer du doigt les coupables

Par Canaan Lidor - The Times of Israel

Une vidéo de sensibilisation à l’antisémitisme qui a été diffusée sur les écrans de télévision français en prime-time a présenté aux téléspectateurs les effets bien réels de l’antisémitisme sur des Juifs qui ont dorénavant le sentiment qu’ils doivent cacher leur identité pour échapper à la haine.

Ce clip de 100 secondes, qui a été regardé par des millions de personnes depuis sa première diffusion, le 14 juillet, le jour de la fête nationale de la France, s’intéresse à une famille qui vit à Paris, la famille Cohen, à travers le regard d’un homme d’origine africaine qui est un ami proche de leur fils, en âge d’aller à l’université.

La clip dévoile des aspects de la réalité qui est celle des Juifs de France après l’an 2000 – des aspects auxquels le téléspectateur peut s’identifier – dans le cadre du phénomène du « nouvel antisémitisme », avec des Juifs qui sont pris pour cible et pointés du doigt – souvent par des personnes d’origine musulmane – dans le cadre de vagues récurrentes de haine antisémite liées à la question israélienne.

Ce film court suit donc la famille Cohen qui, petit à petit, va passer d’une vie ouvertement juive à une pratique secrète du judaïsme en optant, en cours de route, pour un pseudonyme non-Juif. Il a ému de nombreux Juifs et non-Juifs français qui ont considéré qu’elle offrait un aperçu bouleversant d’une réalité tragique.

D’autres ont estimé qu’elle était superficielle et irréaliste, perpétuant l’idée que les Juifs sont par essence des victimes impuissantes tout en évitant de désigner les principaux responsables de ce nouvel antisémitisme par souci du « politiquement correct ». Sur internet, pendant ce temps, toute une armée d’usagers des réseaux sociaux ont rejeté la campagne, disant qu’elle était une tentative, de la part des Juifs, de détourner l’attention des souffrances des Palestiniens.

« Tout ce qui figure dans cette campagne est quelque chose qui arrive tous les jours aux familles juives à Paris et en France », a commenté Philippe Karsenty, ancien adjoint au maire de Neuilly-sur-Seine, une ville adjacente à Paris, auprès du Times of Israel. « Elle permet au téléspectateur de découvrir ces réalités en allant au-delà des généralisations. Sa particularité, c’est sa puissance dans la mesure où les Français non-juifs ignorent généralement comment les Juifs vivent ici ».

Dans la première scène, la famille et l’ami regardent, dans le salon des Cohen, un reportage consacré à l’agression de trois hommes qui portaient la kippa. La mère de famille déclare qu’elle va changer le nom d’utilisateur de la famille sur les sites de livraison ou d’achat en ligne. Une série de scènes courtes suit, chacune montrant les différentes facettes des craintes et des dissimulations de la famille.

Dans une autre scène, le fils hésite alors qu’il doit révéler son nom de famille dans une discussion par messagerie avec une jeune femme qu’il souhaite rencontrer. Dans une autre, le père fait enlever la mezuzah qui était accrochée au chambranle de la porte d’entrée. La cadette de la fratrie confie au jeune homme d’origine africaine qu’elle ne porte plus son pendentif avec une étoile de David, parce que ses parents ont peur pour elle. Ou le fils impose le silence à son ami qui lui demande, dans un bus, s’il prévoit d’aller à la synagogue dans la soirée.

L’ami d’origine africaine voit son camarade juif transférer les produits qui se trouvaient dans des sacs arborant le nom d’une boucherie casher dans d’autres, non-marqués. Tous les deux s’inquiètent en regardant les mouvements de protestation qui agitent les campus. Sa sœur pleure, effrayée, en apercevant des manifestants. La famille se présente à un livreur sous le nom de Dubois et elle tire les rideaux lorsqu’elle allume les bougies pour Shabbat. L’ami s’attrape la tête, désemparé et furieux, en apercevant sur un mur d’un immeuble, devant le hall d’entrée, un graffiti où a été écrit : « Des Juifs vivent ici ».

Ce clip entre dans le cadre d’une compagne intitulée « Retrouvons notre fraternité » – en référence à la devise nationale française. Elle a été conçue par la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, la LICRA. Ce groupe juif qui, lors de sa création, en 1927, combattait majoritairement l’antisémitisme a depuis élargi son mandat, s’attaquant également aux préjugés anti-musulmans et touchant d’autres minorités.

« Quand des hommes et des femmes cachent leur identité, alors la France renonce à sa fraternité » dit le texte présenté à la fin du clip. Financée par des donateurs privés, la vidéo cherche « à donner plus de sens au mot [Fraternité] et à réveiller la majorité silencieuse qui croit encore dans l’universalisme », déclare Mario Stasi, le chef de la LICRA, qui est catholique. « Ce n’est pas une problématique juive. C’est une problématique nationale », a-t-il confié au journal Le Parisien.

Chalom Lellouche, le rabbin de la Grande synagogue de Levallois-Perret, près de Paris, dit avoir été bouleversé par cette campagne.

« Je la regarde et je pleure. Le citoyen français que je suis pleure. le Juif pleure. Le rabbin pleure. L’homme que je suis pleure également. Je pleure pour ma France, pour notre France. Je pleure le jour de notre fête nationale, le 14 juillet », a écrit Lellouche sur X en évoquant le clip, né d’une idée du présentateur juif de télévision Jacques Essebag, dit Arthur, et de Maurice Lévy, fondateur de Publicis.

Rendez-vous manqué

Mais des centaines d’usagers de X ont estimé que le clip était « un outil de propagande sioniste ».

Pour certains, il n’est pas parvenu à dépeindre la situation réelle qui est celle des Juifs de France – un pays qui a connu une nouvelle vague d’incidents antisémites depuis le début de la guerre qui oppose actuellement Israël à Gaza et qui avait commencé l’année dernière. En 2023, la France a enregistré sa plus forte augmentation de signalements d’incidents antisémites que n’importe quel autre pays doté de mesures statistiques fiables, avec un chiffre qui a été presque multiplié par quatre en passant de 436 en 2022 à 1676.

Le 16 juillet, Barbara Lefebvre, journaliste et essayiste, a pour sa part critiqué le clip qui, a-t-elle dit, n’a pas mis ne l’accent sur la proportion importante de personnes d’origine musulmane qui commettent des crimes antisémites (Le BNVCA, un groupe de veille juif, a expliqué que les extrémistes issus de cette catégorie de la population française sont responsables de presque tous les incidents antisémites violents.)

« Aujourd’hui, en France, il faut vraiment avoir vécu dans une grotte pour ne pas comprendre depuis six mois qui sont les agresseurs des Juifs : […] les défenseurs du Hamas, les soutiens d’extrême-gauche, les islamo-gauchistes », a déclaré Lefebvre devant les caméras de la chaîne i24 news, notant que tous étaient « les grands absents » de la campagne de la LICRA. Absente également, toute mention d’Israël ou des activistes pro-palestiniens qui descendent dans les rues et sur les campus de tout le pays et qui ont souvent été l’occasion de manifestations d’antisémitisme.

Veronique Chemla, journaliste et blogueuse juive française, déclare que c’est le souci du politiquement correct qui est à l’origine de cet évitement. La LICRA avait sapé sa crédibilité auprès des Juifs de droite et au-delà lorsqu’elle avait porté plainte, en 2017, contre l’historien juif George Bensoussan qui avait estimé que les musulmans arabes étaient, de par leur culture, préconditionnés à haïr les Juifs. Il avait été acquitté.

« Ce clip n’explique pas pourquoi cette famille a peur, pourquoi les Juifs sont agressés », dit Chemla au Times of Israel. « Ce film n’offre aucune action constructive, il est construit en boucle. » Elle critique aussi une description des membres de la communauté juive « en tant que victimes passives; ils ne sont pas présentés comme des personnes qui savent riposter et qui savent se battre ».

Certaines personnalités issues de la gauche radicale ont aussi fustigé la campagne. Kamil Abderrahman, journaliste français anti-Israël d’origine musulmane, a estimé que la présence de l’ami d’origine africaine dans la séquence – son nom de famille est Sissoko – voulait transmettre le message que les Juifs ne seraient pas racistes. « Les musulmans sont régulièrement dénigrés à la télévision aux heures de grande écoute », a-t-il écrit sur X, « mais la priorité de la LICRA est de mettre l’accent sur l’antisémitisme en tentant de nous faire croire que nous ne souffrons pas du racisme en plaçant Sissoko sur le CV des Cohen ».

Stasi, la président de la LICRA, a répondu à certaines de ces critiques au cours d’un entretien accordé à i24 News. Le film, a-t-il dit, « n’est pas parfait. Il ne fera pas consensus. Il ne décrit pas toutes les situations qui sont rencontrées par tous les Juifs de France ».

Michel Zerbib, directeur de l’information au sein de la station de radio Radio J, a regretté lui que les Juifs aient été représentés mais pas ceux qui les haïssent. La vaste majorité des incidents antisémites sont commis par des musulmans, a écrit Zerbib sur X. « C’est une réalité que nous ne sommes pas censés reconnaître et la LICRA évite avec grâce de le dire clairement ».

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