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Comment les Juifs d’Orient ont subi leur propre Nakba

Joël Kotek - Viviane Teitelbaum

 

 

Tout comme les Palestiniens autrefois installés dans l’actuel Israël, les Juifs ont eux aussi subi un exil forcé en Orient, rappellent Joël Kotek et Viviane Teitelbaum, respectivement président et secrétaire générale de l’Institut Jonathas.

Contrairement à la doxa, il paraît important de souligner en quoi le sionisme doit être interprété comme l’un des plus importants mouvements émancipateurs et décoloniaux du 20e siècle. Oui, décolonial! Le sionisme n’est autre que le mouvement de libération nationale du peuple juif. Ce n’est pas sans raison que l’historien franco-israélien Denis Charbit, lui-même originaire d’Algérie, qualifie le sionisme, dans son ouvrage Israël et ses paradoxes, de «projet de réhabilitation des droits d’un peuple opprimé». Comment comprendre autrement que Léon Blum, Albert Camus, Albert Einstein, Martin Luther King, Maurice Ravel ou encore Émile Vandervelde aient été de fervents soutiens de la cause sioniste? Pourquoi? Parce que le sionisme a tout simplement affranchi les Juifs de plusieurs siècles de servitude et de marginalisation, tant en Occident qu’en Orient. Précisément.

On oublie trop souvent que, s’il ne reste plus de Juifs dans le monde arabe (tout au plus 6 500 aujourd’hui), ils étaient encore près de 850 000 en 1945! Comment expliquer l’évaporation de 99 % de ces Juifs orientaux sinon par leur volonté de se libérer de la dhimmitude, ce système de subordination légale qui plaçait les Juifs, mais aussi les chrétiens, dans un statut de parias. Juifs et chrétiens étaient soumis à des taxes spécifiques (la jizya), à des interdictions professionnelles et à des formes d’humiliation institutionnalisées.

L’écrivain franco-tunisien Albert Memmi, l’un des chantres du mouvement décolonial arabe, décrit bien la condition de la minorité juive dans les pays arabes: «Le dhimmi est un homme vaincu, un esclave à qui on ne laisse même pas la consolation de se souvenir de sa dignité perdue». Par cette citation, Memmi soulignait la profondeur de l’assujettissement auquel les Juifs étaient soumis et comment leur existence dépendait de la bonne volonté fluctuante des autorités musulmanes. Les Juifs étaient certes tolérés, mais à condition de demeurer dans une position d’infériorité permanente.

C’est bien au sein du monde musulman, et non chrétien, que fut institué à Bagdad, au VIIIe siècle, l’obligation d’un signe distinctif pour les Juifs, en l’occurrence une ceinture jaune (bleue pour les chrétiens). Ce rappel nous permet de souligner un certain nombre d’évidences bien oubliées aujourd’hui: 1) le judaïsme est essentiellement une religion orientale ; 2) des communautés juives étaient installées au Proche et Moyen-Orient et même au-delà jusqu’en Afghanistan depuis des millénaires, formant une partie intégrante du tissu social et économique ; 3) les Juifs vécurent dans ces terres aujourd’hui majoritairement musulmanes bien avant la naissance de l’islam ; 4) ils y connurent, ici et là, des moments de prospérité, comme en Andalousie. 5) Au-delà de ces moments heureux, ces périodes se sont souvent terminées en catastrophe.

L’exemple de l’Andalousie, précisément, est édifiant. S’ils contribuèrent à l’âge d’or culturel sous les Omeyyades de Cordoue, les Juifs de l’Espagne musulmane furent, eux aussi, rattrapés par l’histoire. Au XIIe siècle, sous la férule de la dynastie berbère des Almohades, ils n’eurent d’autre choix qu’entre la conversion forcée, la mort ou l’exil, et ce, trois siècles avant l’expulsion de leurs coreligionnaires d’Espagne chrétienne. Moïse Maïmonide, le plus grand philosophe juif de l’ère médiévale, ne dut sa survie qu’à une fausse conversion à l’islam, avant de fuir vers des cieux plus cléments.

Comme l’écrit Georges Bensoussan dans Juifs en pays arabes: «L’histoire des Juifs en terre d’islam ne se résume pas à un âge d’or mythifié. Si certains moments ont été marqués par une cohabitation pacifique, d’autres ont été jalonnés de violences, d’humiliations et d’exclusions» et ce, y compris, et davantage encore, une fois l’indépendance acquise. Tous les États nés de la décolonisation se pensèrent exclusivement en termes ethniques (arabe) et religieux (islam sunnite), à l’exception notable du Liban, ne laissant aucune place aux Juifs et autres minorités non arabes ou sunnites: chiites, Kurdes, chrétiens, Yézidis, etc. Plus que jamais étrangers dans des États incapables de penser la diversité et le pluralisme (citoyenneté), les Juifs n’eurent d’autre choix que l’exil quand ils ne furent pas chassés (Egypte). Pourquoi? Parce que le retour à la dhimmitude, version ethno-nationaliste, s’annonçait inéluctable pour les Juifs d’Orient.

De nombreux Juifs utilisent le mot palestinien «Nakba» pour évoquer leur départ sans retour, laissant derrière eux des biens, des maisons, des synagogues et un patrimoine culturel millénaire. La grande synagogue d’Oran, en Algérie, est aujourd’hui une mosquée. Tous ces Juifs furent en effet dépossédés de leurs avoirs sans aucune forme de compensation ou de réparation. La spoliation constitue une injustice historique qui, jusqu’à présent, n’a pas été reconnue à sa juste mesure par la communauté internationale.

Logiquement, la plupart des Juifs d’Orient choisiront de s’installer en Israël, dans cet Etat des Juifs, où ils constituent désormais près de 50% de la population totale. Qu’on le veuille ou non, le retour vers Sion fut pour ces Juifs d’Orient, comme par la suite soviétiques, une véritable libération, une indéniable révolution en leur offrant un cadre de souveraineté inespéré. Soulignons à ce propos, et à toutes fins utiles, que ces Juifs originaires d’Egypte, d’Irak ou encore du Yémen n’auront pas de plan B en cas de démantèlement de l’Etat d’Israël.

 

Titre original: «La Nakba des Juifs et des chrétiens d’Orient»

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