Les Juifs d'Iran – Jean-Pierre Allali
Depuis la tragédie du 7-Octobre 2023 avec le pogrom perpétré par le Hamas accompagné d’ignobles prises d’otage, Israël a été amené à livrer des combats sur tous les fronts : Gaza, Liban, Yémen, Judée-Samarie, Iran. Tous les observateurs et analystes s’accordent à penser que c’est l’Iran des mollahs et des ayatollahs qui, avec une volonté affichée de rayer Israël de la carte du monde, est derrière toutes les attaques de l’État juif. L’histoire du peuple juif, on ne le sait pas toujours, a croisé celle de l’Iran au cours des siècles, pour le meilleur et pour le pire. Pleins feux sur les Juifs d’Iran.
Lorsque les Juifs du monde entier célèbrent Pourim, ils se souviennent que c’est en Perse, c’est-à-dire en Iran, que se passe la merveilleuse histoire du sauvetage du peuple juif par la reine Esther. On pense généralement que la reine Esther et son cousin – certains disent son oncle – Mardochée sont enterrés quelque part en Iran, probablement à Hamadan. Tout comme les prophètes Daniel et Ezra. C’est le roi perse Cyrus II le Grand qui, en conquérant Babylone en 538 avant J.-C., permit aux Juifs qui le désiraient de retourner en Terre Sainte pour rebâtir le Temple détruit de Jérusalem. Ceux des Juifs qui préférèrent alors demeurer en Perse constituèrent la matrice de ce qui allait devenir la communauté juive iranienne.
La communauté juive d’Iran est donc l’une des plus anciennes du monde, implantée là depuis quelque 2 700 ans. Au fil des ans et en fonction des dynasties au pouvoir, elle a connu des fortunes diverses, passant de la plus entière liberté à des situations plus délicates pour aboutir, de nos jours, au pays des ayatollahs, à une véritable tourmente.
C’est en 642, lorsque la Perse, dont la religion était jusqu’ici le zoroastrisme, est conquise par les Arabes, que les ennuis commencent pour les Juifs d’Iran. L’islam remplace le culte de Zoroastre et le statut de la dhimma est imposé aux Juifs.
Une légère embellie se dessine avec la conquête du pays par les Mongols, plus tolérants à l’égard des minorités, au XIIIe siècle. Le khan Argun favorise les Juifs et nomme l’un d’eux au poste de vizir. Il est hélas assassiné en 1291. Dès lors, pillages, exactions et destructions de synagogues se multiplient.
Plus tard, vers 1550, sous la dynastie des Safavides, le chiisme devient religion d’État et les discriminations contre les Juifs considérés comme impurs se succèdent.
Le 8 octobre 1656 marque une date noire pour les Juifs. Une veille de chabbat, ils sont chassés de la capitale, Ispahan, et 100 000 d’entre eux sont forcés de se convertir à l’islam. Il faudra attendre le règne de Nadir Shah (1736-1747), qui abolira le chiisme comme religion d’État pour voir apparaître une lueur d’espoir dans une communauté juive en voie d’extinction.
Autre épisode tragique de conversion forcée. Il y a un siècle et demi, en 1839, tous les Juifs de la ville de Meched furent forcés d’adopter l’islam. Il s’y trouve toujours une communauté de « marranes » appelés les « Jedid al Islam ».
Sous l’empire perse, les Juifs occupèrent en Iran des postes importants y compris dans le domaine militaire.
En 1909, les Juifs obtiennent, à travers la nouvelle constitution, l’égalité complète avec les autres citoyens. Mais c’est avec la chute de la dynastie des Qadjars en 1925 et l’avènement des Pahlavi, que les Juifs d’Iran connaîtront leur ère d’or. La fin des Pahlavi et du dernier shah, Mohamed Reza, en 1980, renversé par les partisans de l’ayatollah Khomeïni marquera le début de la lente dégradation du judaïsme millénaire de Perse.
L’un des premiers actes politiques de la République islamique sera d’ailleurs la rupture des relations diplomatiques avec Israël.
En 1978, il y avait près de 100 000 Juifs en Iran. Plus de 60 000 d’entre eux ont quitté le pays en l’espace de trente ans. Beaucoup ont rejoint Israël et les États-Unis et, pour certains, la France.
Dès le lendemain de la « Révolution Islamique » en 1979, nombreux ont été les Juifs à être arrêtés, emprisonnés et souvent, hélas, exécutés.
En 1999, une sombre affaire d’espionnage au profit d’Israël a conduit à l’arrestation de treize membres de la communauté juive de Chiraz, entraînant une campagne internationale de protestation.
Paradoxalement, et malgré la véritable phobie d’Israël et du monde juif qui s’est emparée de l’Iran à l’époque de Mahmoud Ahmadinejad, la communauté juive la plus importante du monde musulman se trouvait en Iran : 35 000 âmes réparties entre Téhéran (20 000), Chiraz (6 000) Ispahan (4 000), Kermanchah (2 000) et Abadan (500). La constitution adoptée en 1979 reconnaît le judaïsme comme minorité religieuse au même titre que les chrétiens et les Zoroastriens. Leur culte est officiellement libre et les institutions aidées financièrement par l’État. La communauté juive dispose de lieux de culte dont les synagogues Abri Shami et Yussef Abad de Téhéran ou la synagogue de Mollah Nissan dans l’ancien ghetto juif de Jahanbaré, d’écoles dont les professeurs doivent obligatoirement être musulmans, de bibliothèques et d’hôpitaux. Mieux, les Juifs, bien qu’il leur soit interdit d’être juges, avocats, hauts fonctionnaires ou militaires, sont néanmoins représentés au Parlement, le Majlis, par un député. Après Manoucher Eliassi, médecin et Moris Motamed, ingénieur topographe, qui, en 2005, avait vigoureusement protesté contre des émissions télévisées qui raillaient les Juifs, c’est ensuite Siamak Morsadegh qui a représenté les Juifs. Ce chirurgien d’une soixantaine d’années ne s’est pas privé de critiquer Israël où vivent aujourd’hui, soulignons-le, 250 000 Juifs d’origine persane, et le sionisme. En 2019, il a appelé à la libération de Jérusalem de l’occupation sioniste. Son successeur, Homayoum Saméakh, a continué dans la même veine, protestant vivement, en 2022, contre l’attitude américaine à l’égard de l’Iran. Même attitude du côté du rabbinat. En 2020, le Grand rabbin d’Iran, Yéhuda Garami, n’hésitait pas à nier tout lien entre le judaïsme et le sionisme.
Entre peur et résignation avec, pour certains, l’espoir d’un avenir meilleur, les Juifs d’Iran vivent incontestablement en 2024 dans l’angoisse.
Jean-Pierre Allali