Droits des femmes au Maroc : de la sphère privée à la scène publique
Fatima Outaleb
Selon une étude récente réalisée par le Haut Commissariat au plan du Royaume du Maroc, l’institut national des statistiques, 68% des femmes marocaines ont subi des violences domestiques et 48% ont été victimes d’abus psychologiques.
C’est un chiffre choquant qui permet de mettre en évidence combien il y a encore à accomplir pour les droits des femmes. Mais la nouvelle encourageante est que, au cours des vingt dernières années, les diverses associations féminines du Maroc sont parvenues à faire basculer ce problème, jusqu’alors cantonné à la sphère privée, sur le devant de la scène publique et à en faire une question politique.
Les associations pour la promotion des droits des femmes ont commencé à apparaître au cours des années 90 afin de sensibiliser les gens aux problèmes alarmants de violences et de discriminations subies par les femmes et afin de faire évoluer la situation.
La loi de la famille, dont la première version date de 1957, permettait le mariage de très jeunes femmes et précisait que la charge de la preuve incombait aux victimes de violences domestiques si elles souhaitaient utiliser cet argument afin d’obtenir le divorce. La loi stipulait également qu’une femme souhaitant le divorce pouvait être forcée par le juge à retourner vivre auprès de son mari, même si celle-ci avait tenté de le quitter. De cette façon la violence à l’encontre des femmes marocaines était « légitimée ».
Changer cette réalité était alors devenu la priorité des mouvements féminins au Maroc. Afin d’accomplir quelques réformes, les groupes de défense des droits des femmes ont organisé des tables rondes, des pétitions et des ateliers afin d’analyser puis de modifier la législation.
L’une de ces campagnes, emmenée en 1992 par l’Union de l’action féminine (UAF), appelait à réformer en faveur des femmes le très conservateur code du statut personnel marocain (droit de la famille ou Moudawana) et cherchait à sensibiliser l’opinion publique sur l’augmentation du nombre d’incidents violents à l’égard des femmes, fait qui n’avait pas été explicitement reconnu par le gouvernement ni même par le grand public.
En 1993, la pétition de l’UAF a abouti à un amendement du code du statut personnel. L’un des changements principaux était que la femme avait acquis le droit de choisir son tuteur, un parent de sexe masculin en charge de signer le contrat de mariage au nom de la femme. Auparavant les femmes n’avaient pas voix au chapitre. Grâce à cette révision un mariage ne pouvait plus avoir lieu sans au minimum le consentement indirect de la femme.
Bien que ces actions n’aient introduit que des changements mineurs en ce qui concerne les droits des femmes dans le pays, elles ont au moins le mérite d’avoir porté ces problèmes sur le devant de la scène publique.
En 2002, le ministre des Affaires féminines, un poste crée en 1998, a mis en place une stratégie nationale, en partenariat avec des organisations féminines, afin de combattre les violences faites à l’encontre des femmes. Depuis lors, chaque année, en collaboration avec le ministère du développement, de la famille et de la solidarité, une campagne nationale est organisée pour promouvoir la mise en place de mesures et de mécanismes permettant la protection des femmes contre le harassement sexuel et la violence domestique.
Suite à ces actions, la problématique des violences faites aux femmes a reçu l’attention des leaders politiques et du public en général. Beaucoup de départements gouvernementaux ont depuis créé des unités pour la promotion de l’approche genre. En 2006, afin d’améliorer l’égalité des chances, le Maroc a adopté un « gender responsive budgeting » (GRB) (budgétisation sensible au genre : planification, programmation et budget mis en place par un gouvernement et qui contribuent à l’avancement de l’égalité des genres et au respects des droits des femmes) ce qui a permis d’aborder la promotion des droits des femmes avec des plans et des actions au niveau national.
En signant la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) de l’ONU en 1993, le gouvernement marocain a entrepris des mesures afin d’harmoniser ses lois nationales avec les dispositions du CEDAW. Entre 2002 et 2007, il a réformé le code du statut personnel encore plus en profondeur, ainsi que le code du travail, le code pénal et le code de la nationalité marocaine qui, après révision, permettait aux femmes de passer leur nationalité à leurs enfants.
De plus, la Constitution a été amendée en juin 2011 afin de régler la suprématie des lois internationales en matière de genres sur les lois nationales.
Sous la pression intense de la société civile, le Maroc s’est engagé à mettre en place une législation nationale afin de mettre fin à la violence faite aux femmes et afin de travailler à la mise en oeuvre des accords internationaux y relatifs.
L’année passée, une coalition baptisée le Printemps de la dignité, comprenant 22 organisations féminines, a soumis un mémorandum au ministre de la justice comprenant des suggestions d’amendements au code pénal. Le souci de cette coalition est que le code ne punit pas les violeurs. En fait, selon le code pénal, aussi bien le violeur que la victime peuvent être considérés coupables d’incitation à la prostitution, particulièrement si la victime est âgée de plus de 18 ans, quelques soient les circonstances, comme par exemple si la femme est victime de la traite humaine, ce qui devrait requérir des considérations spéciales et un traitement particulier.
Les groupes féminins sont parfaitement conscients que les réformes du code de la famille, du code pénal, du code du travail et du code de la nationalité marocaine n’auraient pu avoir lieu sans l’étroite collaboration de toutes les parties prenantes et sans une forte mobilisation des différentes organisations féminines. Et bien que quelques-uns cherchent à entraver les progrès de la démocratie et des droits des femmes, le Maroc s’est engagé sur la voie d’une avancée majeure. Un amendement récent au code pénal, qui légalise l’avortement sous certaines conditions, est un autre des symboles d’espoir pour les femmes marocaines.
Nous savons que le parcours vers la justice sociale est encore long et qu’il y a encore beaucoup à accomplir, mais si les organisations féminines continuent leurs actions avec la même conviction et le même engagement que ceux démontrés au cours des vingt dernières années, elles finiront par atteindre leur but et s’assureront ainsi que les générations futures seront à même de jouir de leurs droits, quelque soit leur sexe.
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*Fatima Outaleb est membre du conseil d’administration de l’Union de l’action féminine (UAF) au Maroc. Article rédigé pour le Service de presse de Common Ground (CGNews).