«L'Égypte connait un vrai massacre»
Écrivain engagé, l'auteur de L'Immeuble Yacoubian prédisait que la révolution allait devoir entrer dans une deuxième phase pour en finir avec le régime Moubarak. Aujourd'hui, face à l'absence de réformes et à la violence des affrontements, Alaa El-Aswany, dont le nom est régulièrement évoqué pour le poste de ministre de la Culture estime que le Conseil suprême des forces armées (Scaf) a perdu toute crédibilité et ne doit plus jouer de rôle politique.
Les promesses du maréchal Tantaoui n'ont pas satisfait la rue. Comment jugez-vous la situation?
C'est un vrai massacre. Même si ce sont des policiers qui tirent, le Scaf est totalement responsable des crimes commis contre les Égyptiens. Ils utilisent des gaz interdits, ils tirent en visant les yeux. Nous avons de nombreuses preuves de leurs exactions.
Comment en est-on arrivé là?
Le Scaf a préparé ce moment pendant neuf mois en rendant la vie des gens impossible à cause des difficultés économiques et en cherchant à détruire l'image des révolutionnaires grâce aux médias officiels. Il ne lui restait plus qu'à nous provoquer. C'est ce qu'il a fait samedi en attaquant un sit-in des familles des victimes de la révolution. Il n'avait pas prévu que des centaines de milliers, sans doute des millions, d'Égyptiens allaient manifester pour défendre la révolution.
Le maréchal Tantaoui a répété que les élections débuteraient lundi. Une issue politique est-elle encore possible?
Si le Scaf nomme quelqu'un comme Mohammed el-Baradei (Prix Nobel de la paix) au poste de premier ministre, on lui fera confiance pour choisir des ministres fidèles aux idéaux de la révolution et tenir l'armée à l'écart des affaires publiques jusqu'à la fin de la transition. Mais s'il ne le fait pas rapidement, nous n'aurons plus le choix: nous devrons annoncer la formation d'un gouvernement révolutionnaire parallèle. Je pense qu'un cabinet avec el-Baradei comme premier ministre et Abdel Moneim Aboul Fotouh comme vice-premier ministre (candidat dissident des Frères musulmans à la présidentielle, considéré comme réformateur, NDLR) serait rassurant pour les Égyptiens.
Et acceptable pour le Scaf?
Ce n'est plus le problème. On a essayé de convaincre le Scaf de mener le changement. En vain. Il ne faut pas répéter cette erreur. Il faut rester dans la rue tant qu'un gouvernement crédible n'aura pas été formé ou le faire sans demander son avis au Scaf.
Les Frères musulmans ont manifesté contre le Scaf mais ont choisi de négocier avec lui…
Les Frères musulmans sont fidèles à leur histoire. Depuis leur création, ils ont toujours respecté le même cycle: ils commencent par soutenir un mouvement démocratique, puis ils se rangent du côté du régime pour défendre leurs intérêts. Leurs dirigeants ont toujours été opportunistes. Depuis le 11 février, ils n'ont absolument pas cherché à défendre les acquis de la révolution, seulement à prendre le pouvoir. Il n'est pas surprenant qu'ils soient prêts à toutes les compromissions pour que les législatives aient lieu maintenant. Ils ne sont plus crédibles, même chez leurs militants.
Vous semblez confiant.
J'ai toujours été optimiste! Le peuple égyptien a déjà montré qu'il avait une conscience politique bien plus forte que tous les experts réunis. Les jeunes, en particulier, ont instantanément senti que le Scaf n'hésiterait pas à écraser les forces révolutionnaires pour s'en débarrasser. Ils ont parfaitement compris que, des deux côtés, c'est une question de survie.
La dernière bataille?
Pour renverser le régime Moubarak, certainement. Pour mener la révolution à son terme, en revanche, il y en aura d'autres!