Au Maroc, les islamistes érigent la vertu en style de gouvernement
Désireux de rompre avec les habitudes du passé, le nouveau gouvernement marocain, dirigé depuis janvier par l’islamiste Abdelilah Benkirane, cherche à projeter une image de vertu en temps de crise. Élu sur la base de ses promesses de rupture avec le bilan contesté du gouvernement précédent, le cabinet se veut en phase avec les difficultés quotidiennes de l’homme de la rue.
M. Benkirane avait donné le ton fin janvier lors de la présentation de son programme devant le Parlement, où les islamistes du Parti justice et développement (PJD) sont majoritaires après avoir remporté, dans le tumulte du printemps arabe, les législatives de novembre. « Celui qui veut gagner de l’argent doit aller plutôt dans le secteur privé, ou faire du commerce. On ne fait pas fortune en étant ministre ou en travaillant dans le secteur public », avait lancé M. Benkirane devant des députés et des ministres surpris par son franc-parler.
Les ministres islamistes sont allés récemment jusqu’à révéler publiquement dans la presse marocaine les biens qu’ils possèdent. Le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Lahbib Choubani, a ainsi indiqué posséder une voiture d’occasion achetée à son confrère Lahcen Daoudi, ministre islamiste de l’Enseignement supérieur. Pour sa part, celui-ci dit rouler dans un véhicule modeste (une Citroën C3) et vivre dans un appartement qu’il loue depuis des années à Rabat. De plus, aucun des ministres du PJD, y compris M. Benkirane, n’a accepté de bénéficier des logements de fonction par mesure d’économie. Arrivé récemment en retard à la prière du vendredi, M. Benkirane a pris tout simplement place au fond de la mosquée, sans se faire remarquer.
Ce nouveau style de gouvernement qui prône le changement, et qui s’est paré des vertus de l’austérité et de la transparence, semble faire mouche dans l’opinion, y compris dans les milieux de gauche.
Selon les analystes, ces images de vertu ne sont pas seulement une stratégie de communication de la part des ministres islamistes. « La question de la vertu et de la morale reste présente dans leurs fondements idéologiques et religieux basés sur la modestie et l’austérité », explique le politologue Mohammad Madani, qui enseigne à l’université Mohammad V de Rabat. Mais la suspicion demeure. « Populisme ou nouveau style de gouvernement? » s’est récemment interrogé le journal Le Temps à propos de « la modestie des ministres du PJD ».
Au-delà de cette volonté affichée d’austérité, le gouvernement doit faire face aux difficultés socio-économiques du royaume, aggravées par la crise en Europe, premier partenaire commercial et investisseur du royaume. Les défis sont énormes : chômage des jeunes, contestation sociale et atteintes aux libertés individuelles, explosion du déficit budgétaire, sécheresse qui menace les récoltes de l’année.
La tentative d’immolation par le feu qui a conduit, le 24 janvier, au décès d’un jeune diplômé a replacé le problème du chômage en tête des priorités du gouvernement. Près de 27 % de diplômés de l’université sont sans travail, et quelque 350 000 demandeurs d’emploi arrivent chaque année sur le marché du travail, selon les chiffres officiels. En outre, des villes pauvres comme Taza (Nord-Est) et Beni Mellal (centre) connaissent des manifestations violentes contre la cherté de la vie. La police n’hésite pas à réprimer et la justice à condamner à des peines de prison. Résultat, une partie de la presse marocaine commence à s’inquiéter sur la question des libertés individuelles que M. Benkirane s’était engagé à respecter.