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Rêves de femmes : une enfance au harem – Fatima Mernissi

 

Denis Billamboz

 

Fatima raconte sa vie de fillette dans un harem de Fès au contour des années quarante et cinquante, là où les femmes de la famille élargie étaient cloîtrées dans une vaste demeure construite autour d’une cour. Elle précise bien que cette histoire n’est pas celle de sa famille de riches fellahs qui était bien trop monotone pour en faire une histoire mais Il semble cependant bien que, si les personnages sont fictifs, le harem est lui bien réel avec son rituel, ses règles et ses traditions.

Elle raconte la vie quotidienne de cette communauté, tout ce que ces femmes inventaient pour essayer de dissiper l’ennui qui est la principale activité de cette forme de sororité composée de l’épouse du père, des femmes des fils, d’anciennes esclaves presque recluses, de cousines plus ou moins éloignées et esseulées après un divorce ou une répudiation, des filles pubères et des enfants. Un témoignage qui traduit bien la monotonie qui devait régner dans cette communauté de femmes et d’enfants avec pour corollaire toutes les mesquineries générées par la promiscuité et l’inactivité. Elle décrit aussi le harem des neuf épouses du grand-père dans une ferme des environs de Fès pour bien montrer qu’il existe plusieurs formes de harem : les harems des viles clos et les harems des campagnes plus ouverts mais la véritable clôture réside dans les têtes et dans le respect des coutumes et des traditions qui condamne la femme à l’enfermement physique et mental.

Dans ce lieu clos, l’enfant apprend très vite la notion de frontière, de limite, qui est le fondement même du harem et qu’elle compare à la frontière inventée par les Français et les Espagnols pour délimiter les territoires qu’ils se sont appropriés. L’enfant se souvient des exactions des Français dans le Medina de Fès.

Le regard de cette gamine d’une dizaine d’années sur le monde clos dans lequel elle est recluse, essaie de pénétrer le monde des adultes à l’intérieur de la clôture mais aussi à l’extérieur où elle ne va presque jamais mais où elle essaie de se projeter. Elle comprend que les Français et les Espagnols ont établi une certaine forme de domination et qu’une résistance commence à poindre à travers le mouvement nationaliste marocain. Et, parallèlement à cette lutte nationale, une timide émancipation des femmes s’ébauche avec l’adoption de la monogamie, sans aller toutefois jusqu’à l’abandon du voile islamique et à la fermeture des harems.

Il est étonnant de constater, au moment où le voile islamique fait débat dans de nombreux pays, que déjà à cette époque, une partie des femmes luttaient pour obtenir le droit à la liberté et à l’instruction dans des écoles publiques et non dans des écoles coraniques où elles n’étaient qu’endoctrinées. Ce livre qui a été écrit il y a un peu moins de vingt ans, nous laisse le goût de l’amertume que ces femmes doivent ressentir aujourd’hui tant elles espéraient un autre monde pour leurs filles qui se retrouvent, aujourd’hui encore, souvent sous le voile de leur harem individuel quand ce n’est pas dans des situations encore plus archaïques que celles décrites dans ce livre.

La lutte semble avoir été vaine, la volonté d’émancipation est toujours aussi contestée, la fin d’un système, la fin d’une époque n’a pas apportée l’évolution attendue. Presque vingt ans après l’écriture de ce livre, on dirait que la machine du temps a fait marche arrière et qu’elle a ramené les femmes derrière la clôture, ne leur laissant que la possibilité de s’évader dans le théâtre où elles mettaient en scène des histoires, surtout des histoires d’amour, tirées des « Mille et une nuits » ou des exploits des grandes féministes du Moyen-Orient, pour rêver de la liberté qu’elles n’auront sans doute jamais. « Les Allemands obligent les juifs à porter quelque chose de jaune chaque fois qu’ils mettent le nez dehors, tout comme les musulmans exigent que les femmes portent un voile, pour pouvoir immédiatement les repérer. »

Et Chama pourra encore longtemps crier son poème avant que le statut de ces femmes change réellement :

« Zaman (le temps) est la blessure des Arabes.

Ils se sentent bien dans le passé.

Le passé, c’est le retour à la tente de nos ancêtres disparus.

Taqlidi est le territoire des morts.

L’avenir est terreur et péché.

L’innovation est Bid’a criminelle ! »

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