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Juifs et Chrétiens – Un long chemin, par Gilles-William Goldnadel

 

Si l’on veut tenter de comprendre l’état des relations judéo-chrétiennes, il convient d’avoir à l’esprit deux mots hébraïques prononcés aujourd’hui ad nauseam : Shoah et Tsahal. Avant la Grande Catastrophe, les relations entre les enfants de l’église et ceux de la synagogue avaient au moins le mérite de la simplicité. Sur fond d’accusation de déicide et de suprématie sociétale du catholicisme, elles se caractérisaient par le déséquilibre et un mépris souverain, pour reprendre le concept de Jules Isaac.

 

Mais après le génocide, ou tout au moins sa médiatisation extrême dans le tournant des années 60, tout change. Dieu a fini d’agoniser et les églises se vident. C’est à ce moment, qu’un nouveau culte postchrétien s’installe qui met en scène le martyrologe juif,  vécu comme une nouvelle Crucifixion. Il faut dire, que le  décharné en pyjama rayé ressemble, à s’y méprendre, au Nazaréen supplicié : il souffre sans combattre, il ne possède rien, il n’est d’aucun pays, il ne sourit pas, il n’accuse ni ne condamne. Il est juif.

 

Il est, enfin, le digne fils, autrefois si ingrat, de son père le plus illustre.

 

Cette nouvelle religion profane et victimaire va révolutionner le monde occidental, bien au-delà du cercle des chrétiens traditionnels, en déclinant successivement une série de victimes et de bourreaux idéaux.

 

C’est dans cet espace temporel réchauffé, qui ne fera pas long feu, que juifs et chrétiens vont se concilier, autour notamment de Vatican II, qui mettra fin au grief solennel et récurrent du Juif Perfide.

 

En dépit de vicissitudes qui ne vont pas tarder, l’ère du mépris n’est pas revenue et la dispute entre l’ancienne et la nouvelle Alliance a perdu de son aigreur.

 

L’un des symboles les plus émouvants s’est incarné dans la personne d’Aaron Lustiger, juif et chrétien, longtemps perçu par les premiers comme un renégat, puis enterré chrétiennement au son d’un Kaddish rien moins qu’inconvenant.

 

Un seul détail, mais d’importance, aura troublé l’idylle naissante : le  Juif en pyjama, adoré, était mort. Un autre, bien vivant celui-là, mais bientôt abhorré, n’entendait plus expier en silence et  allait, au rebours, rendre coup pour coup. Pire encore, il allait se réapproprier violemment le lieu même où le Nazaréen avait souffert et d’où ses adorateurs avaient dû déguerpir.

 

C’est sans doute au cœur de ces dépits, que de nouveaux malentendus, de nouvelles incompréhensions, de nouveaux ressentiments se sont construits.

 

Le livre noir

 

La vieille querelle autour de la responsabilité d’un Pie XII trop diplomate, et celle, plus récente, sur la promotion d’un cardinal Williamson incrédule jusqu’au déni, montrent que ce passé-là ne veut toujours pas passer.

 

Il n’empêche, l’aigreur a ses limites et rien ne sera plus comme avant Vatican II.

 

Car  juifs et  chrétiens ont changé. L’église n’est plus ce pouvoir impérial qui semblait pouvoir dominer l’Occident pour l’éternité. Les juifs, à travers Israël, même les plus antisionistes d’entre eux, n’ont plus le même regard sur eux-mêmes, précisément parce qu’ils savent que leur image s’est modifiée. Ce qui transforme et rééquilibre les rapports entre les deux groupes.

 

Surtout,  l’intolérance  a grandement déserté  l’église et la synagogue. La radicalité aujourd’hui s’incarne – en dépit de la même réticence à vouloir le constater qui, autrefois, protégeait le communisme en majesté – dans un certain islam politique, dogmatique et conquérant.

 

Ce n’est pas un hasard si les concepts de dhimmitude juive et chrétienne en Orient peuvent être aujourd’hui évoqués sans grande crainte d’excommunication intellectuelle.

 

Ce n’est pas un hasard, si, à présent et enfin, les massacres de chrétiens en terre islamique – qui n’ont jamais cessé, mais qui étaient jusque là occultés – peuvent être dénoncés, malgré un épouvantail  islamophobe qui commence à perdre un peu de sa paille.

 

Ce n’est pas un hasard, si, en Europe, l’exigence d’une réciprocité, chère au cardinal Ratzinger, commence à être invoquée, comme par une Norvège qui  ne veut construire désormais de mosquées que lorsque l’Arabie Saoudite bâtira  des églises…

 

Certes, le chemin est encore long, où juifs, chrétiens et musulmans modérés uniront sans crainte et sans complexe leurs forces contre la radicalité, et on a vu le Saint-Père en rabattre un peu depuis Ratisbonne. Le fiasco du dernier synode de Rome, où l’église d’Orient a repris le chemin de Damas montre qu’il sera sinueux et cahoteux.

 

Raison de plus pour ne plus avoir peur, aurait pu dire Jean-Paul II.

 

Article publié dans le numéro double de L’Express du 22 décembre 2010 au 4 janvier 2011, en page 146.

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