Bob Dylan vs Marine Le Pen : chronique d’une récupération politique
LAURENT DAVID SAMAMA
Dîtes Dylan, prononcez Zimmerman, et vous renverrez immédiatement à la rêverie, aux grands espaces et à la Beat Generation plusieurs générations de fans de musique, jeunes et vieux, français et américains, puissants et va-nus-pieds tous lecteurs de Kerouac et de Ginsberg. Aujourd’hui, c’est certain, Bob Dylan fait l’unanimité. Il est devenu un symbole, une légende, une institution.
La preuve ? Dès qu’il en a la possibilité, le pouvoir s’accapare le chanteur à la voix nasillarde. C’est ainsi que Barack Obama a récemment décoré de la médaille de la Liberté le folk-singer américain d’ascendance juive. Les images qui demeurent de cet évènement restent dans les mémoires. Un Président noir qui décore à Washington D.C. le symbole de la contre-culture, vous auriez dit cela aux hobos des early sixties, ils ne vous auraient pas cru (et pourtant ils avaient de l’imagination…).
En France, déjà, en 1990, Jack Lang avait promu Bob Dylan Chevalier des Arts et des Lettres. Une récompense logique tant Dylan a apporté à la musique… Et à la politique. En 2009, il y eu cet épisode intéressant à plusieurs égards, une rencontre au cours de laquelle un fan de premier ordre s’était précipité dans les coulisses à l’issue d’un concert du Zim au Palais des Congrès. Nicolas Sarkozy, alors Président de la République Française, admiratif comme un gosse devant son idole. La rencontre est racontée par la version US de Rolling Stone. On y voit le Président de l’époque accompagné de sa nouvelle femme, en jean, pressé et anxieux à l’idée de rencontrer Dylan. Les observateurs sont déstabilisés. « Si la Droite se met à aimer Dylan… ». Soudain tout vole alors en éclats… Etonnement, confusion et belle surprise. En incarnant à la fois les slogans « Ensemble tout devient possible » et « le changement c’est maintenant », l’auteur de Tangled Up In Blue réconcilie les hommes et leurs tendances.
Toutes les tendances ? Eh bien non. Tel un stupide Asterix entré en guerre contre toutes les tendances extérieures, Marine Le Pen s’est décidée à casser la belle unanimité autour de Dylan. Dimanche, sur France 3, la Présidente du Front National a déploré que la Légion d’Honneur soit“distribuée à n’importe qui n’importe comment”. “J’aime beaucoup Bob Dylan, mais il ne faut quand même pas exagérer, at-elle ajouté. La cuisinière du président, la coiffeuse de Carla, les chanteurs qu’aime bien madame Filippetti, ça n’est pas ça la Légion d’honneur. C’est scandaleux pour ceux qui l’ont vraiment mérité”. En disant cela, MLP ressemble à s’y méprendre à une Jean-Marie en jupons, déniant à un chanteur zoufri prônant l’ouverture d’esprit et la découverte du monde, le droit de recevoir la haute distinction républicaine.
Au Front National, la technique du contre-pied est un grand classique. Sitôt qu’il décèle les signes d’un unanimisme républicain qu’il a en horreur, l’état-major du parti à la flamme BBR ressort des tiroirs le sempiternel couplet des valeurs de l’élite cosmopolite (Dylan, l’américain, le juif chétif, ses racines est-européennes, son message audible à l’international) opposées à celles du bon peuple de France. Si l’avis de la présidente du FN sur Bob Dylan importe peu, cet énième épisode de rejet culturel n’est pourtant pas anecdotique. Il permet à Marine Le Pen de délivrer à sa base rétrograde et autarcique un signal positif en n’entraînant que des dégâts mineurs dans l’opinion publique (mineurs puisque ne faisant que l’objet de brèves). Une opération gagnante si l’on se place du coté de l’électorat FN.
Heureusement, Aurélie Filipetti tient bon. Malgré le goût de Dylan pour la marie-jeanne et son pacifisme à l’époque de la guerre du Viêt-Nam, la chancellerie devrait finir par reconnaître au songwriter quelques mérites… “Je pense que ça va s’arranger. En tous cas ce serait un bon signe pour la France, et pour tous ceux qui adorent le rock and roll et la musique en général, qu’on rende hommage à Bob Dylan”. Amen !