Anne Sinclair: avec Pierre, elle a retrouvé la sérénité
A la conquête du pouvoir, elle préfère celle du savoir
par Maryvonne Ollivry
Une renaissance. Auprès de l'intellectuel Pierre Nora, la journaliste donne une nouvelle direction à sa vie. Récit d'une sortie de l'enfer.
Soudain, on l'a retrouvée. Celle d'avant. Celle dont les yeux faisaient chavirer les certitudes des plus arrogants. Celle qui dégageait une telle aura que chaque spectatrice rêvait d'être à sa place. Celle de 7 sur 7, l'émission qui fit sa gloire entre 1981 et 1997. On l'a retrouvée, ce mercredi 26 juin, soit près de seize ans plus tard, sur le plateau du «Grand Journal» de Michel Denisot. Superbe. Vraiment. Habitée par un je-ne-sais-quoi qui, vu les circonstances, donnait envie de dire «chapeau bas».
Nietzsche n'avait pas tout prévu. Le philosophe avait énoncé dans son essai Le crépuscule des idoles que tout ce qui ne tue pas rend plus fort. Mais plus beau? Plus lumineux? Hasard des événements, lors de cette même émission, il y a eu un extrait d'une audition au Sénat quelques heures plus tôt: un homme y était entendu pour parler du rôle des banques dans l'évasion fiscale. Cerné, bouffi, dégageant quelque chose de gris, en un mot, un vieux monsieur. Sur le plateau, la femme solaire regardait sans regarder cet homme d'un an son cadet. Il s'agissait pourtant de Dominique Strauss-Kahn, son ex-mari, dont elle s'est séparée il y a un an. Allait-elle réagir? Livrer un état d'âme à la curiosité de l'animateur?
«Chacun mène sa vie!», a-t-elle coupé court avec un grand sourire. Fermez le ban. Fermez les parenthèses. Sur un épisode douloureux, salissant, qui, finalement, ne lui ressemblait pas. C'est cela: à soixante-quatre ans, la belle Anne paraît se ressembler enfin. Elle fut l'héroïne d'un mauvais feuilleton, la partenaire d'un jeu vulgaire, dégradant. Jusqu'au bout, elle a honoré son engagement, fendant la foule des paparazzis, après le scandale planétaire du Sofitel new-yorkais, aux côtés de celui qu'elle s'était choisi en 1991 pour le meilleur et pour le pire. Il lui a fallu un an pour juger que trop, c'était trop. Quelques mois aussi, le temps qu'un regard plus bienveillant, plus généreux se pose sur elle, pour redevenir cette femme lumineuse. Amoureuse.
Il n'était qu'une rumeur. Un bel homme d'âge mûr apparu sur une photo floue d'un magazine à l'automne dernier. On les disait intimes. Il aurait pu démentir, parler d'extrapolation. Pierre Nora, puisque c'est de cet immense intellectuel, membre de l'Académie française, qu'il s'agit, aurait pu invoquer sa vieille amitié avec Anne Sinclair, qu’il a connue élève à Sciences Po Paris. Or interrogé il y a quelques semaines sur LCI sur sa soudaine notoriété «people», il ne céda à aucun haussement d'épaules, mais un magnanime «je m'en tire à bon compte. Ç'aurait pu être pire comme remue-ménage médiatique.» Alors que la journaliste lui rappelait l'un de ses regrets passés – «C'est fou comme j'ai peu vécu» – et lui demandait : «Vous vous autorisez enfin à vivre?», il eut ces mots de jeune octogénaire bien décidé de ne plus rater le coche: «Ecoutez, il faut bien s'y mettre, même un peu tard!»
Pierre Nora et Anne Sinclair. Anne Sinclair et Pierre Nora. Dix-sept ans les séparent et pourtant leur couple parle d'évidence. Mêmes origines familiales, même milieu culturel, même sensibilité. Tous deux sont issus de la grande bourgeoisie intellectuelle juive, imprégnée de l'histoire de la Shoah, mais pas religieuse. Le père de Pierre, Gaston Nora, était un grand chirurgien, son frère, Simon, un énarque, héraut de la Résistance, haut fonctionnaire décédé en 2006. Lui-même, qui a échappé de peu à une rafle à treize ans, est agrégé d'histoire, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Il fut surtout l'éditeur de tout ce qui compte du point de vue intellectuel en France: de Raymond Aron à Georges Dumézil, de Georges Duby à Michel Foucault, de Jacques Lacan à Emmanuel Le Roy Ladurie.
Chantre de la nouvelle histoire, «marginal central», comme il aime à se définir, Pierre Nora a créé la brillante revue Le Débat, côtoyé Stéphane Hessel, tutoyé Régis Debray, entre autres, autant de penseurs qui ont régulièrement partagé sa table chez lui dans le VIe arrondissement parisien, place de Furstenberg, quartier privilégié, mais pas bling-bling, du monde de l'édition. Pas de Dodo la Saumure parmi ses commensaux, pas de petites frappes et de femmes paumées, exploitées.
Depuis son enfance, dans un milieu libéral et ouvert, il a évolué dans l'aristocratie des idées. Chez lui, des René Char, des Mendès France, des Merleau-Ponty venaient échanger. Ses copains, qui deviendront des flambeaux du siècle, s'appelaient Jean-François Revel ou encore François Furet, qui fut même son beau-frère. Son ex-épouse, décédée en 2011, Françoise Cachin, en plus d'avoir été conservatrice de musées prestigieux, initiatrice du Musée d'Orsay, était la petite-fille du peintre Paul Signac. Les mêmes «couleurs» en quelque sorte qu'Anne Sinclair, petite-fille du grand marchand d'art Paul Rosenberg, dont la grand-mère fut modèle pour Picasso, et qui vient de raconter leur histoire familiale dans 21 rue La Boétie, édité chez Grasset par un certain… Olivier Nora, neveu de Pierre. La boucle est bouclée. Ces deux-là se sont enfin trouvés.
Et pour une fois, sans que les médias ne soient invités à la contemplation de leur hyménée. Fini tout cela. «Elle choisit un homme qui a du recul, de la réflexion sur les faits de l'Histoire, de l'intériorité, qui s'efface devant les idées, analyse Jean-Paul Mialet, psychiatre (Auteur de Sex æquo, le quiproquo des sexes, Albin Michel), alors que DSK utilisait les médias, leur immédiateté pour se mettre en avant, pour servir son ego.» Comme si après ces années de couverture médiatique – au service de leurs carrières respectives et, au passage, de son ambition de possible première dame –, Anne avait envie d'autre chose. Comme si aujourd'hui, à la conquête du pouvoir elle préférait celle du savoir. Comme si après avoir été cabossée, méprisée, le temps était venu pour elle de se respecter, de s'aimer. Pour pouvoir l'être, aimée, enfin, d'un homme dont c'est la philosophie. «Reste qu'en choisissant Pierre Nora, poursuit le psychiatre, Anne Sinclair montre qu'elle a toujours besoin de vivre avec un homme surdimensionné, une éminence grise, une intelligence qui fascine toutes les femmes. Elle a besoin de quelque chose d'exaltant, un amour superlatif.» Il faut cela, parfois, du très beau, du très fort, pour pouvoir tourner la page sur le pire.
Gala