Ashkenaze - Sefarade, par Gaby E.Benatar
Analyse et Synthèse objectives d'une différence
Vouloir rester Séfarade de nos jours, que cela représente-t-il à nos yeux? Si nous considérons que la lutte pour la préservation de notre riche patrimoine doit être poursuivie et intensifiée, alors notre combat n'est pas terminé et représente l'étendue de tout un programme.
Personne ne pourra nier que le sujet à traiter est particulièrement ardu et difficile. Aussi nous sommes parfaitement conscients qu'en présentant ce dossier si important dans un cadre aussi restreint, nous prenons involontairement l'immense risque d'être traités de partiaux, sinon de partiels dans nos conclusions. Nous demandons, pour cela, l'extrême
indulgence de nos lecteurs.
Il faut savoir aussi que son développement dans le cadre de ces quelques feuilles n'est pas une chose facile, car cela demande de laborieuses recherches et une analyse méticuleuse et impartiale du problème.
C'est un sujet que nous feignons tous d'en ignorer la portée et l'importance, et pourtant nous savons très bien qu'il faut en parler car il est brûlant d'actualité, même si nombreux sont ceux qui désirent et travaillent pour que ce dossier reste dans l'ombre et à l'écart de toutes discussions.
Comme chacun sait, il existe au sein du peuple juif deux courants principaux regroupant les deux grandes familles que l'on nomme Ashkenaze et Séfarade. Jusqu'à tout récemment, on pouvait penser et croire qu'il en a toujours été ainsi, mais ce clivage ne date pas d'hier puisqu'il existe, en effet, depuis de nombreux siècles.
Il faut admettre qu'une différence existe bien malgré nous, quoiqu'on en dise et en pense et que celle-ci n'est pas prêt de disparaá?átre.
Les thèses communément admises et acquises depuis toujours, selon lesquelles tout ce qui n'est pas rattaché de près ou de loin au groupe Ashkenaze est automatiquement versé et englobé dans l'entité Séfarade, ne peuvent et ne doivent plus être admises aujourd'hui. Elles ne répondent plus aux exigences de l'actualité, surtout à la lumière des nouveaux et derniers développements dans le clivage des groupes ethniques constituant le peuple juif. Ces thèses souffrent de partialité et d'insuffisance. Elles méritent un examen un peu plus approfondi d'un sujet devenu un problème quotidien en Israël et aussi dans la Diaspora, sur lequel nos deux familles s'affrontent sournoisement plus ou moins ouvertement.
Notre propos, ici, n'est pas d'entamer une polémique sur le sujet, mais d'essayer de ramener le problème à sa juste proportion.
Etre Séfarade - Ashkenaze - Oriental ou autre Yéménite, ou Ethiopien, n'est pas une tare en soi, ni une honte de vouloir persévérer chaque groupe avec son propre particularisme et sa propre identité.
Nous faisons tous partie, et avec fierté, de l'ensemble de la Maison d'Israël, chacun avec sa différence.
Pour illustrer cette différence, certains chercheurs et historiens avancent la thèse suivant laquelle, par exemple, les Juifs d'Iran entre autres, sont très proches, culturellement et autres, de leurs frères Séfarades (des originaires et descendants des expulsés d'Espagne). A l'analyse, nous pouvons affirmer que cette thèse n'est pas plus valable ni exacte que celle voulant rapprocher, culturellement ou autre, un Juif du Yemen de son coreligionnaire polonais ou hongrois.
Nous estimons donc totalement absurde d'adhérer à cetteconclusion, car tout en effet les différencie : les coutumes, les rites, la culture, le mode de vie et les traditions, que cellesªci soient folkloriques, culinaires ou autres.
Pendant ce temps, que distinguons-nous?
Un groupe dont on voulait ignorer l'existence et qu'on voulait à tout prix, à tort d'ailleurs, englober dans la sphère Séfarade, en l'occurrence les Orientaux (Mizrahim), a émergé et est en train de s'affirmer distinctement. Il forme une entité cohérente et non négligeable.
Si l'on tient compte de la situation qui prévaut aujourd'hui dans l'ancien empire soviétique où de nombreuses communautés ayant vécu en marge du judaïsme mondial, établies dans ces régions reculées depuis de très nombreux siècles et que nous présumions inexistantes ou totalement absorbées, se sont révélées et sont venues en grossir le rang. Il nous appartient donc de les accepter telles qu'elles sont et les admettre avec leurs particularités et leurs différences. Il ne nous viendra jamais à l'esprit, à nous Séfarades, de vouloir les englober dans le monde Ashkenaze parce qu'ils ne font pas partie de la sphère Séfarade.
D'ailleurs, il n'est pas du tout évident que nos frères Ashkenazes les admettent dans leur monde, au même titre qu'ils n'ont jamais admis les Séfarades. Ce clivage en deux groupes distincts semble avoir été formé en son temps par manque de connaissance de l'existence d'autres groupes ethniques différents.
Peut-être que si l'on avait imaginé à l'époque un éventail de familles plus larges, ceci nous aurait permis aujourd'hui d'être un peu plus précis dans nos affirmations.
Une première analyse sérieuse nous amène à constater que la situation n'a guère changé et ne s'est malheureusement pas améliorée dans les relations entre Ashkenazes et Séfarades. C'est toujours le statu quo et il serait donc, dès lors, inexact et absurde de vouloir continuer d'affirmer que le peuple juif est toujours composé de deux sphères principales.
En effet, beaucoup de nos frères des pays récemment libérés de l'Asie ex-soviétiques sont proches des Juifs d'Iran, d'Afghanistan, etc., tant par leurs coutumes, rites et autres traditions que par leur langage et c'est pourquoi nous persistons à défendre l'idée qu'il serait temps maintenant d'envisager d'ajouter une troisième composante aux deux déjà existantes et songer à lui rallonger une quatrième qui engloberait nos frères d'Afrique et d'Asie parce qu'eux aussi, à l'analyse, ne sont pas plus Séfarades qu'Ashkenazes.
Israël, peuple de tribus comme on sait, expérimente dans ladiversité de son exil la multitude des tâches que la Providence semble l'inviter à assumer. Il s'est, en outre, accoutumé à vivre et ce depuis toujours, avec la différence qui lui est propre, à condition que chacun des groupes respecte la différence de l'autre. Etant donné qu'aucun signe ne laisse apparaá?átre une amélioration imminente de la situation, nous ne pouvons que formuler l'espoir que la coexistence actuelle puisse se poursuivre et se dérouler dans la paix et la concorde.
D'où provient cette différence et qu'est ce qui a créé ce fossé?
Si, d'une part, nous acceptons la thèse suivant laquelle le monde Ashkenaze est né et a été formé au contact de la chrétienté, le monde Séfarade, lui, s'est constitué et développé à partir de "Sefarad" (Espagne) dans le berceau des cultures musulmane et chrétienne, bien que certaines thèses, soutenables par ailleurs a priori, affirment que les Juifs se soient implantés dans la Péninsule Ibérique dans le sillage des Légions Romaines d'invasion, donc bien avant les conquêtes successives, musulmane ou chrétienne.
D'autres prétendent que ces groupes de Juifs venaient dePalestine oud'Orient et se seraient éparpillés également dansl'est de lEurope. Cette thèse n'est confirmée d'aucune autresource et paraá?át être une affirmation sans base fondamentale.
Dans ce qu'il est convenu d'appeler les Temps Médiévaux les plus reculés, il existait déjà des différences qui ont tout de suite formé une distinction entre la sphère Séfarade et sa soeur Ashkenaze. Elles se sont accentuées par des conditions inhérentes à la politique et aussi aux exigences historiques et géophysiques de l'époque, à savoir : la coupure entre l'Europe musumalne, d'une part, et l'Europe chrétienne de l'autre.
En effet, jusqu'au XIe siècle, les relations entre ces deux "Europe" étaient pratiquement insignifiantes, très occasionnelles et fortuites.
Les différences qui séparent nos groupes sont, somme toute, minimes et secondaires quand on considère l'extraordinaire unité qui caractérise le peuple juif, fusse-t-il d'Occident, d'Orient, d'Asie ou d'Afrique, Ashkenaze ou Séfarade.
L'important est qu'après deux millénaires d'exil et de persécutions diverses, ce peuple soit à nouveau réuni sur sa terre, sous un même toit et sous une même bannière pour poursuivre la pérennité de notre destin.
Il est bon de rappeler que les Juifs implantés dans les pays de l'Europe de l'Est, sous la férule des rois et autres empereurs chrétiens, vivaient, le plus souvent, regroupés en communautés plus ou moins importantes, parfois même dominantes en sphère chrétienne.
Les autorités locales les forá?áaient à s'établir dans des quartiers qui leur étaient strictement réservés et que l'on connaissait sous le nom de "ghetto". Les Juifs n'avaient pour ainsi dire aucun contact avec le monde extérieur. Ces quartiers étaient en général ceinturés de hauts murs et scellés la nuit par d'énormes portes.
Le développement des Juifs dans le "ghetto", comme chacun sait, était rendu particulièrement difficile du fait de leur isolement et la seule ressource intellectuelle qui leur restait était tout naturellement l'étude intensive des disciplines spécifiquement juives, telles les études bibliques et théologiques et ce qui s'y rattachait.
Ceci a permis l'émergence de nombreux savants et sages talmudiques et d'innombrables rabbins érudits. Pendant ce temps, que voyons-nous dans les communautés Séfarades de la péninsule ibérique et du pourtour méditerranéen?
Tout en étant vrai que les Juifs, vivant sous la domination des princes arabes et des rois chrétiens, étaient soumis à une existence de citoyen de dernier degré, il n'en reste pas moins qu'ils bénéficiaient en revanche d'une plus large liberté et pouvaient se déplacer, dans une certaine mesure, avec beaucoup plus de facilités que leurs frères de l'Europe de l'Est. Bien qu'ils habitaient également des quartiers communautaires qu'on appelait "quartiers juifs", ceux-ci ne portaient pas la marque d'un "ghetto" étant donné qu'ils n'étaient pas ceinturés de hauts murs ni de portes à fermer la nuit (sauf à de rares exceptions près).
Se sentant plus libres de leurs mouvements que leurs coreligionnaires de l'Est, les Séfarades ont eu l'avantage et la possibilité de développer plus intensivement et simultanément toutes les disciplines pratiquées à l'époque, qu'elles soient profanes ou religieuses. Le développement intellectuel de cette partie du peuple avait permis à de nombreux de leurs dirigeants d'occuper de très hautes et importantes fonctions au sein de la Haute Direction du Pays. C'est ainsi que nous voyons surgir des, médecins, des physiciens, des astrologues, des financiers, des conseillers auprès des cours royales et princières, sans compter bon nombre de savants illustres, de rabbins érudits, de savants talmudiques et cabbalistes, de théologiens, etc.
Du fait du manque de liberté dont les Ashkenazes avaient été privés, ceux-ci, comme nous l'avons souligné plus haut, ont étudié et pratiqué intensivement les sciences talmudiques jusqu'à une époque tardive d'émancipation qui leur a permis de quitter les "ghetto" et rayonner à travers le monde.
Du côté Séfarade, ce rayonnement s'était déjà épanoui avec l'Age d'Or et s'est éteint avec l'Edit d'Expulsion d'Espagne. Nous avons essayé, dans ce petit paragraphe, de donner une réponse pratique à la question de savoir d'où peut provenir cette différence. Il existe d'autres explications qu'il serait trop long de développer dans ce cadre restreint. Bornons-nous à dire que c'est dans le domaine de l'éducation aux enfants qu'il reste beaucoup à faire.
Il est de notoriété publique, et cela est regrettable que dans le monde Ashkenaze de cette fin du XXe siècle, certains de nos frères, et non des moindres, dénient encore aux Séfarades de ses prétendre Juifs parce que ne parlant pas Yidish.
Ces préjugés d'un autre monde sont encore vivaces au sein d'une partie de nos coreligionnaires Ashkenazes et tant qu'une éducation en bonne et due forme n'aura pas été entreprise, le fossé n'ira qu'en s'agrandissant. Les différences peuvent donc se justifier par ces explications.
Notre seconde analyse nous démontre que, sans une sérieuse éducation de la masse, cette différence n'ira qu'en s'accentuant. Il incombe donc aux élites de la communauté soeur de se pencher sur cet aspect du problème et de placer le sujet dans son réel contexte.
Pour terminer notre tour d'horizon, nous aimerions nous pencher sur la question de savoir dans quelle sphère doit-on englober :
- le judaïsme éthiopien;
- le judaïsme yéménite;
- le judaïsme des Bene-Israël (Indes);
- la judaïté des sectes de plus en plus nombreuses à ouloir embrasser la Loi de Moïse (Black Hebrew - sectes noires d'Amérique du Nord, sectes indiennes d'Amérique Centrale et d'ailleurs).
Sachons seulement qu'à notre époque, tout ce judaïsme est étrangement englobé dans le monde Séfarade, ce qui, décemment, est inadmissible. Nous ne répéterons jamais assez que cette thèse est absurde et étrange et ne correspond pas à la réalité des faits.
Pour résumer l'ensemble, il ne serait pas souhaitable d'avancern des dates précises quant à l'époque de la formation de cette différence, de ce clivage, malgré que certains prétendent que cela dure depuis la Haute Antiquité.
La question reste, en tous les cas, posée.
Indiquons, pour conclure, que certaines grandes questions restent sans réponses, momentanément. Nous voulons parler des différences dans le rituel, la prononciation de l'hébreu dans la liturgie et quelques points importants de la Halakha.