Rivka Tshikotay est la fille cadette de Rav Ovadia Yossef. Dans une récente interview au site Mnews, elle livre un portrait suprenant du père et de l’homme qui se cachait derrière la figure religieuse et politique qu’était le Rav Ovadia Yossef זצ »ל. Merci à David Dahan pour la traduction.
Rivka, comment vous définiriez vous ?
Je suis, religieuse-sioniste, séfarade et fière de l’être.
Vous avez pourtant grandi et été élevée dans un environnement orthodoxe ?
Ce n’est pas exact, chez mes parents, il y avait toujours une atmosphère sioniste qui régnait, et j’ai moi-même hérité de cela. Mes enfants vont à l’armée, le premier fait son service dans les “mamran” et le second veut intégrer l’unité des “douvdevan” (unité d’élite).
Déjà, depuis l’âge de cinq ans, je savais que je voulais être celle que je suis – une fille avec du caractère, qui sait ce qu’elle veut.
Et votre père acceptait votre manière de voir les choses ?
Evidemment ! Mon père était un homme très ouvert, moderne et libéral. Les gens connaissent principalement le rav, l’homme de Torah. Mais il était un père d’exception, chaleureux, aimant, s’occupant toujours de moi.
En quoi l’expression « libéral » lui correspondait-elle ?
Elle s’exprimait dans de nombreux domaines de la vie quotidienne.
Par exemple, lors du kiddouch du vendredi soir, lorsque Papa buvait du verre de kiddouch, il nous le passait selon l’ordre dans lequel nous étions assis, filles et garçons. Les garçons ne buvaient pas avant les filles. Il disait toujours : « il n’y a pas de différence entre un fils et une fille ».
C’est surprenant, non ?
Pour nous, ses enfants, ce n’est vraiment pas surprenant. Nous, ses filles, avons toujours été ses préférées.
Après le décès de notre mère, il nous a réunie et nous dit : « Á partir d’aujourdh’ui, je suis le père et la mère. Je ne suis pas bon pour les conversation téléphoniques comme l’était votre mère, c’est pour cela que nous nous réunirons à la maison une fois par semaine pour étudier la Torah ». Et nous nous réunîmes pendant les années suivant le décès tous les lundi soir chez notre père, nous nous asseyons autour de la table pour écouter un cours pouvant durer jusqu’à minuit. Mais , nous ses filles étions toujours assises au premier plan, près de lui, et nos frères, en second plan, plus loin.
Notre père était ainsi. Dans les maisons orthodoxes, cela ne se produit jamais.
Jusqu’à quand avez-vous poursuivi ces cours ?
Jusqu’à il y a deux mois environ. Lors de l’anniversaire de la mort de notre mère, au mois de Juillet, il nous a donné le dernier cours et nous a dit : « les enfants, vous devez être unis, vous devez toujours être ensemble ». Cela était sa volonté, nous nous sommes donc conduits ainsi.
Le Rav était sioniste ?
Et comment ! Saviez vous qu’il récitait le Hallel le jour de Yom Haatsmaout et priait pour la paix d’Israël ?
Lorsque nous habitions à ‘Horon, papa et maman venaient chez nous à chaque yom Haatsmaoutpour le fêter. Maman profitait de ce jour la pour regarder des films nostalgiques à la TV.
Qu’aimait-il manger ?
Il aimait les grillades, la viande de mouton (agneau), le foie de bœuf…
Que lui prépariez vous ?
Depuis que maman est décédée, soit environ 20 ans, mes sœurs et moi nous nous relayions pour lui apporter des plats cuisinés. Pour ma part je lui préparais des plats typiques comme par exemple, du foie façon irakienne ou un tajine de poulet revenu au riz.
Mon tour était le lundi, et j’appréciait particulièrement ce moment.
Une semaine avant qu’il soit hospitalisé, je lui ai apporté le dernier plat que je lui avait cuisiné. C’était de la viande d’agneau avec du quinoa. Après ce repas, il m’a enlacée, et m’a remerciée. Je ne me doutais pas que c’était le dernier repas que je lui avait préparé.
Quel est le souvenir le plus intense que vous avez de la maison de votre père ?
Oh, il yen a tellement ! Mais un des plus marquants, c’est lorsque j’étais au séminaire « beit yaakov », où j’étudiais. Nous étions seulement 3 filles séfarades dans la classe, et on nous disait que nous devions toutes prier selon le rite ashkénaze. Je n’étais pas d’accord et j’ai demandé la permission de prier avec le livre de mon père. Cela a créé une vive polémique et pendant un bout de temps, j’étais forcée de sortir et de me tenir seule à l’extérieur de la classe pour pouvoir prier, alors que toutes les filles priaient à l’intérieur. Je pleurais et je priais.
Ressentais-tu de la ségrégation envers les séfarades ?
Bien entendu, c’était flagrant. Et c’est ainsi jusqu’à aujourd’hui, bien qu’un tiers des filles soient séfarades. C’est insupportable.
Le séminaire Beth yaakov est ashkénaze harédi, c’est peut être une partie intégrante de l’endroit ?
J’étais consciente de cela et c’est pour cela que je souhaitais être différente.
Par exemple, j’adorais porter des habits de couleur rouge, et je voulais mettre une jupe rouge. et pourtant, il était interdit de porter des habits de couleur dans un séminaire harédi.
Cela me touchait beaucoup, mon père l’a senti et m’a dit: « ce n’est pas grave Rivka, tu porteras des habits de couleur, l’après midi, en rentrant à la maison après le séminaire ». Mon père était comme ça.
Ce n’était pas dans son état d’esprit de s’opposer frontalement aux responsables religieux ashkénazes, il était pourtant le Grand Rabbin, le Richon Letsyon, il avait la force, le statut et la capacité, mais il ne voulait pas leur déclarer la guerre.
Aviez vous déjà des idées bien trempées étant enfant ?
Oui, énormément. J’écoutais de la musique, une chose interdite dans les milieux orthodoxes. Et chez, nous, à la maison, même Papa écoutait de la musique car il voulait savoir ce que j’écoutais, et de ce fait, il connaissait beaucoup de chansons.
Quelles chansons ?
Quand nous entamions le repas de chabbat, après les prières, nous chantions des chansons israéliennes. Papa aimait beaucoup les chansons le Yoram Gaon, il connaissait, les paroles par cœur et chantait avec nous. Je me souviens qu’il aimait particulièrement la chanson de Moshé Montéfiore. C’était un véritable bonheur à la maison.
Et malgré cela, tes frères sont devenus harédim (ultra-orthodoxes) ?
Oui. moi j’étais différente des autres, et ce jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, les mariages de leurs enfants étaient séparés, pas chez nous.
Et cela n’a pas dérangé ton père?
Pas du tout, je vous dis qu’il était libéral ! J’ai une cousine qui mettait des mini-jupes dans sa jeunesse, Son père, l’a reniée et renvoyée de la maison. Mais mon père, l’a réconfortée et lui parlait avec des mots de compassion. Il a écrit spécialement pour elle un responsum (décision halakhique) où il tranchait qu’il était mieux de porter des pantalons plutôt que des mini-jupes, afin qu’elle porte des pantalons.
ET comment expliquait il ce responsum ?
Il disait qu’au moins les pantalons cachaient la peau. Il a même eu le courage de lui autoriser à porter des pantalons. c’était une personne qui sortait vraiment de l’ordinaire.
Qu’aimait il d’autre ?
Il aimait beaucoup la peinture et l’art. On ne le sait en général pas, mais Papa était un dessinateur talentueux. C’est peut être la raison pour laquelle j’ai moi même étudié l’art lorsque j’étais à l’institut Vitsburger a Ramat Gan. c’est peut être dans mes gènes.
Parlez moi du papa peintre…
Il aimait autant la musique que la peinture. Il commença a peindre quand il fut intronisé juge au Beit Din du grand rabinnat. Il statuait sur des cas longs et prenants. Il me disait: les couplent se querellent tous pour les mêmes choses. Alors, pour penser à autre chose, pendant qu’il était en jugement, il commençait à dessiner ceux qui étaient jugés. J’ai vu ces peintures, elles étaient magnifiques.
Existent-elles encore ?
Non, dommage que nous n’avons pas gardé ses peintures en souvenir. Une fois, il a dessiné un homme qu’il jugeait pour un divorce. Cet homme s’obstinait à ne pas vouloir donner le Guet a sa femme.
La police le cherchait, quand ils surent que Papa l’avait dessiné, ils ont pris le portrait qu’avait peint Papa et s’en sont servis comme portait robot pour diffuser le signalement de l’homme. Quelques temps après il a été arrêté.
A l’opposé des bons aspects de sa personnalité, il s’est aussi conduit de nombreuses fois, avec un manque de bienséance, en injuriant et maudissant dans ses interventions…
Savez-vous combien de choses le Rav a dit dans sa vie ? C’était un homme publique, il y avait toujours un micro activé devant lui. Les injures sont un épiphénomène dans sa vie en comparaison à toutes les choses magnifiques qu’il a pu dire. Les injures sont à prendre au second degré, avec humour. Papa était un véritable humoriste. Chaque samedi soir, à la fin de chabbat après son cours, il blaguait avec les fidèles.
Ce sont ces choses la qui sont intéressantes, ces choses sincères, ses paroles de torah, pas ses discours, car ce n’est pas intéressant.
On raconte sur lui qu’il n’aimait pas Bennet et qu’il critiquait les porteurs de Kippot tricotées (signe d’appartenance au mouvement nationaliste sioniste religieux ).
L’atteinte au monde des Yechivot le touchait particulièrement, mais au fond de lui, il appréciait beaucoup les « kippot tricotées ». Quand le Rav Chalom cohen (ndlr : certains disent de lui qu’il sera l’héritier spirituel du Rav Ovadia ) a comparé les nationalistes religieux à amalek, mon père s’est révolté contre cela.
Quelles étaient les choses qui le peinaient ?
Il était particulièrement peiné par le fait que l’héritage du monde Séfarade et notre culture soient tombés dans les mains des orthodoxes ashkénazes durant de longues années. Il a ainsi crée le parti politique Shass, non pas parce qu’il voulait un rôle politique, mais, parce qu’il voulait réellement « faire revenir la couronne à son origine» c’est-à-dire, faire revenir l’orgueil de la culture séfarade !
Pourtant, le parti s’est transformé en un phénomène politique. D’ailleurs, une guerre d’héritage (à la tête du parti) est déclarée, qu’en pensez-vous ?
J’ai beaucoup de mépris pour cela. Ça me chagrine que tout ce soit transformé en politique, mais je suis plus forte que ca.
Les sept jours, à Jérusalem on été organisés par des acteurs politiques, nous, ses filles, n’avons pas participé à la hazkara, ils nous ont dit, qu’il n’était pas convenable que des filles participent à une Hazkara, que ce n’était pas notre place. Ainsi, nous nous sommes réunies, entre filles dans un appartement et avons assisté à la Hazkara de la-bas…
Où voyez-vous la grandeur de votre père ?
Dans différents sujets, mais, plus particulièrement dans son courage halakhique.
Par exemple, le cas des Agounot (femmes dont le mari est porté disparu et ne peuvent donc pas se remarier, n’ayant pas eu de Guet) lors de la guerre de Kippour.
Papa était le premier, depuis le ‘Hatam Sofer, à libérer des Agounot.
Il a ensuite été intronisé comme Grand Rabbin, et il était le responsable des tribunaux rabbiniques. Afin de ne pas dévoiler l’identité de ces veuves, il faisait entrer leur véhicule, chez nous à Jérusalem, la nuit. Les femmes venaient alors pour des réflexions qui duraient des heures. Et ensuite, il écrivait les comptes rendus des décisions prises pendant des heures. Au matin, il écrivait encore et encore. C’est ainsi, qu’il libéra des dizaines et dizaines de femmes au cours des années.
D’où provenez ce courage ?
Je pense que c’est sa foi en Dieu qui l’animait. Il disait toujours à ma mère : « toute ma vie je me consacre à dire ce qui est autorisé de faire et c’est cela l’important, car dire ce qui est interdit de faire, tout le monde le peut ».
Votre mère, La rabanite Margalite, l’a suivi tout son chemin.
C’était une femme impressionnante qui renforçait le foyer. Elle a consacrée sa vie à le suivre, elle faisait tout pour qu’il puisse étudier et être un modèle spirituel.
Elle s’occupait de toutes les choses matérielles, tout était minuté à la maison comme une montre.
Quand elle est décédée, Papa a vraiment pleuré toute les larmes de son corps. Celui qui n’a pas vu papa lorsqu’il était en deuil de maman, n’a jamais vu un endeuillé.
Vous souvenez-vous de l’enterrement de votre mère ?
Evidemment, je me souviens de la douleur et de la tristesse énorme. Maman avait eu une attaque cérébrale, elle est restée alitée pendant 3 mois. Lors de son décès, se sont les gens de Shass, qui ont organisé son enterrement. Ils n’avaient pas prévu d’endroit pour que nous, les filles, puissions veiller le corps, et les responsables nous avaient également dit : « Ce n’est pas convenable que les filles soient présentes lors de la levée du corps ». Finalement nous y sommes quand même allées, et après l’enterrement, les gens du parti nous dirent : « Vous avez occuper les places des Rabbins »…
Pouvez vous revenir sur ce matin douloureux ou le Rav est décédé ?
Chaque minute est gravée dans ma mémoire. Tout a commencé à 6h45 le matin, quand ma sœur m’a appelé et m’a dit qu’a la télévision ils avaient annoncé une dégradation de son état de santé et que c’était ces dernières heures.
Nous nous sommes donc rendus de suite à Jérusalem, à l’hopital Hadassa. Quand nous y sommes arrivés, nous avons vu une foule de monde. Je suis sortie de la voiture et tous les photographes se sont retournés vers moi. J’ai demandé à mon mari Yaakov de me suivre, je voulais que les photographes m’abandonnent alors j’ai commencé à courir en me dirigeant vers l’ascenseur mais les photographes me couraient après, ils ne me lâchaient pas.
Quand nous sommes arrivés en haut, il y avait dans la salle d’attente a coté de la chambre du Rav beaucoup de monde. Mes frères m’ont appelé : « Viens vite les médecins attendent », je suis rentrée dans la chambre et je l’ai observé. A l’extérieur, les gens lisaient les tehilim et rentraient un par un dans la chambre. Il était endormi avec ses notes sur lui, et nous lui serrions la main.
Nous prions en silence, comme Papa nous l’avait appris : ne pas déranger une âme qui monte au ciel.
Et alors que c’est-il passé ?
Nous sommes sortis de la chambre, et les petits-enfants sont arrivés et sont entrés dans pour le voir. A ce moment là, il était clair pour nous que son état s’était largement dégradé. Soudain, les médecins sont sortis de la chambre et nous ont dit : « Entrez vite » et nous avons compris que c’était véritablement la fin, car pendant sa convalescence, on nous permettait d’entrer un par un, et là, ils nous avaient tous fait entrer. Il était allongé, plongé dans un long silence. Nous nous sommes mis debout autour de son lit, je le contemplais, et nous prions tous en silence, nous avons dit « Shema israel » une seule fois et à haute voix. Nous avons pleuré et prié en silence sans drame.
Pourquoi ?
Cela fait aussi parti de son enseignement. Lorsque maman est décédée, papa nous a dit devant son lit : « ne dites pas Shema Israel de nombreuses fois, car à chaque fois que l’on dit le shema isael, l’âme revient dans le corps alors qu’elle a besoin de sortir et de monter au ciel et cela la trouble ». Nous nous sommes souvenus de cela, et avons dit shéma israel une fois. Puis avons prié en silence.
Vous aviez compris que c’était la fin, que vous seriez séparée de votre père ?
Oui, nous lui serrions la main, nous étions tous autour de lui, je regardais les appareils, et doucement, doucement, nous voyions que son pouls diminuait. Jusqu’à ce que le bruit se fasse continu, et la nous avons compris que c’était fini. Il y avait un silence, et nous pleurions tous discrètement pour ne pas faire souffrir Papa. Les médecins sont alors entrés en silence et ont récupéré les notes qu’il écrivait. Il était allongé en silence, il était beau, sans une ride, il était notre père à tous.
Il a souffert pendant ses derniers jours ?
Beaucoup. Il avait des douleurs atroces, on lui a donné des traitements pour diminuer la douleur mais ca ne l’a pas aidé. Avant qu’ils l’endorment, il nous avait dit de prier pour lui, nous avons alors demandé à mon frère, le Rav Ytshak, de lui faire une prière particulière, et il ne s’est pas arrêté de prier