Ce récit n'est que fiction et toute ressemblance avec des personnages vivants ou morts n'est que pure coïncidence. L'auteur
Facebook Mon Amour
"Entre deux amis, il n'y en a qu'un qui soit l'ami de l'autre".
Personne ne me voit plus. Les voisins s’inquiètent. Aucun bruit n'émane de chez moi. Mon épicier, Abdelrahim, m'a dit l'autre jour, quand j'ai sorti les poubelles d'une semaine, - Sidi Ihyia? Yak labass? Est ce que ça va?
Je suis pâle, je manque de soleil. Chez moi ça sent le tabac froid, mes plantes souffrent, le chien que je sortais religieusement tous les matins pour une marche forcée d'une bonne heure, pisse un peu partout maintenant et me regarde d'un air méchant. Je le comprends, je l'ignore depuis un mois.
Je ne cuisine plus et me contente de salades, de boites de conserves et de «vache qui rit».
Le soir il n'est pas question de sortir.J'ai du pain sur la planche, moi !
J'ai pris deux bonnes avant hier, des vieilles ghledat pour nettoyer chez moi. D'habitude , je prend des jeunes femmes qui nettoient comme ça en passant, à la va vite, et d'une main. Mais là c'est une vraie porcherie, je ne lève plus un verre. Les draps et les serviettes n'ont pas été changés depuis septembre. Il y a urgence.
J'ai même aperçu un gros serak elzit (cafard).
Je suis accroc, mordu, amoureux, excité, obsédé par un événement nouveau dans ma vie: Facebook.
Facebook, Mon nouvel Amour.
J'ai longtemps résisté aux nouvelles technologies et au Cyberespace. Et, je n'ai pas honte de le dire, j'étais persuadé que c'était un (fad) et que cela n'allait pas durer, persuadé que tout allait crasher.
Mais mes nièces ont mis la pression: Mets-toi au diapason tonton !
Donc j'ai pris un ordinateur et me suis abonné à un Email Account. Un ordinateur que je n'ouvrais que pour jouer aux échecs, au solitaire...et basta !
Quand je me suis marié, il y a quelques années, ma femme m'a dit: nous allons mettre nos photos sur FB. Le mariage n'a duré qu'un hiver, j'ai enlevé les photos.
Mon compte FB et mon cœur ont hiberné depuis.
Et voilà qu'il y a un mois, pour faire plaisir a une amie bruxelloise, j'ai mis mon nez sur sa page Facebook. Depuis, j'y suis. J'ai plongé, mais grave: je suis en apnée depuis un mois.
Je poste, je share, je like, je re-poste, je partage, j'aime, je riposte.
Des photos... des histoires... des articles... des blagues.
Je fais des LOL à tout va. Des MDR, des hahahah !!! Je delete, j'efface.
Je change de profil et de mur plus souvent que de slips.
Je surveille la barre à droite qui me dit qui est en ligne,
j'envoie des messages privés.Je passe des heures avec une nouvelle amie, virtuelle évidemment, qui est intelligente, bienveillante et m'aide à comprendre le jeu.
J'ai plus d'amis en trois semaines que je n'en ai eu pendant toute une vie.
Les étrangers me sollicitent, je dis oui bien sûr. Moi même je vais en chercher.
Quelle belle invention ce Facebook. Une grande lucarne vers l’extérieur tout en restant chez soi. Je n'ai plus aucun besoin de bouger: j'ai des amis, des recettes de cuisine, les dernières nouvelles, des couchers de soleils, et ces petites vidéos de bébés, tout mignons, qui chantent et dansent déjà à l'âge de trois jours.
Pour ceux qui n'ont pas de vie sociale, FB vous en crée une sur le champ.
C'est idéal.
Il est 7 heures du matin. Je suis a Marrakech. Il fait beau dehors. Faudrait que je sorte mais non, j'ai du travail moi, allons-y ! J'ouvre le magasin.
Je poste mes photos et j'attends. Faut que je jongle avec les fuseaux horaires. Mes amis à L.A. sont encore réveillés, mais les belges dorment encore.
Paris s’éveille, comme dirait Dutronc, la West coast devrait réagir.... Houston ! We have a problem ! Rien ! Merde !
Le temps de prendre un café et de faire ma toilette et...
Badaboum ! Commentaires, likes, etc... C'est parti mon kiki. La journée commence bien.
J'adore.Tout comme dans la vie de tous les jours, on en voit de toutes sortes, et de toutes les couleurs. C'est comme au bistrot avec ses habitués. Il y a de tout:
les obsessifs, les compulsifs, les bipolaires, les dépressifs, les égoïstes qui s'en foutent royalement de ce que vous avez à dire du moment qu'ils vous racontent leur journée dans les plus petits détails.
Claudette Kahloun écoute la symphonie de Rachmaninov en zut mineur pendant qu'elle prend son bain de souffre aux myrtilles et à la vanille.
Raymond aime Venise, Madonna et les chaussures de chez Bàtà.
Freha aime le dicton "La vie est un long fleuve tranquille". Sauf qu'elle habite à Dimona dans le désert.
Il y a les bêcheurs, ceux-là viennent tous les jours, font le tour de la chose et repartent sans rien dire ni laisser de trace. Pfft
Les espions, eux, ont leur lumière allumée tout le temps mais ne postent jamais rien. On a l'impression qu'ils sont là juste pour surveiller.
Attendez, là ! Je ne critique pas ! Je suis aussi dans le même bateau, je fais exactement ce que ces gens font et même plus. Donc, si il y a un malade dans cette histoire, c'est bien moi, faut pas se leurrer.
Comme je ne suis pas Chomer Shabat, le vendredi soir je me sauve. (mon coté coupable ?.) Je vois des bougies et des candélabres partout.
Shabat shalom Simha! Shabat shalom Freha ! A gut shabbos Hershel,! Shabat shalom Françoise et Christophe, ! On se voit pour la daf chez Marie-Ange comme dab' ? J’amène la Boukha !
Mes deux favoris sont mon amie Belge et un ami Marocain. Les deux postent une seule fois par jour, de préférence le matin, avec un petit message d'inspiration adorable et positif, à vous couper le souffle, et une photo toute aussi belle, qui va très bien avec. On sent qu'il y a de la recherche et je pourrais me contenter juste de ça.
J'adore ce que j’appelle les Fantômes... Ils arrivent, postent trois trucs, deux photos, dix j'aime, t'invitent à une page et, avant que tu t'en aperçoives, la lumière s'est éteinte. Bye ! Bye !
Il y a aussi les pros de l'immobilier, ou d'agences quelconques, qui ne sont là que pour promouvoir leur business, le reste ils s'en foutent royalement. Ceux-là ne renvoient jamais l’ascenseur. En tout cas, pas à mon étage; en plus, j'habite au rez-de-chaussée.
J'efface automatiquement tout ce qui est politique de nature ou ce qui peut faire polémique. Je ne suis pas là pour ça.
Ce que j'aime bien, par contre, ce sont les messages privés ! Je m'y donne à cœur joie: j'ai trois ou quatre fenêtres ouvertes à la fois et ça va vite, je passe d'une conversation à l'autre sans une pause. Faut pas se tromper, sinon je risque de dire à la dame que je l'aime depuis qu'elle est née, à ma nièce qu'elle aille se faire foutre, et à mon copain à L.A., qu'une tasse de café ne nous engage à rien.
Je fais aussi partie d'un petit groupe d'anciens Casablancais de mon âge. On est plus de 500 et on s'éclate tous les soirs en nous racontant toutes sortes de choses en Arabe, en Hébreu, en Anglais, en Chleu. Je n'ai jamais autant ri de ma vie . C'est devenu ma petite famille. Quand je suis tombé malade dernièrement, j'ai reçu des dizaines de voeux, des remèdes de grand-mères, des conseils. J'imagine que si je meurs, alors là, ça va être ma fête!
D'ailleurs, si je passe l'arme à gauche, mes nouveaux amis sur FB le sauront bien avant mon voisin de palier. L'info circule à la vitesse de la lumière.
Je n'ai refusé d'être ami qu'avec une seule personne ( un malentendu ), mal m'en a pris: Elle m'a passé un bon savon en précisant que même si j'étais un "Privilégié" comme elle, ce qu'elle ne supportait pas, c'était ce travers qu'ont les "riches" de devenir Parano. Elle était Offusquée, i Shedaye !... Parano, peut-être, sûrement, mais RICHE !!!! J'en suis resté baba !! Si seulement cette bourgeoise connaissait ma situation, elle m'enverrait illico et sans tarder, un mandat en urgence humanitaire, au lieu de délirer. Enfin, j'y peux rien si j'ai une tête de banquier.
Si on sait naviguer dans ce labyrinthe qu'est FB, il y a des gens et des choses extraordinaires à découvrir. Tellement de sujets intéressants, émouvants, vrais, qui demandent réflexion. Des étrangers deviennent vos amis en un clic, des gens vous bordent et vous disent bonne nuit, se rappellent de votre anniversaire.
J'ai repris contact avec des amis d'enfance, des relations qui m'étaient sorties de la mémoire, des cousins, cousines, petits enfants. Neveux et nièces. Même des gens avec qui j’étais un peu fâché m'envoient des petits «j'aime» discrets...et je fais pareil.
Pour les jeunes, il y a danger car rien ne peut remplacer un vraie relation "En Live" et ce serait une erreur de passer trop de temps sur FB car la vie est, avant tout, une expérience à vivre, et non pas à tapoter sur un clavier, auquel cas ils risquent, à coup sûr, de passer à coté…de leur Vie.
En deux mots, je suis tombé amoureux de Facebook.
Bravo Zuckerberg.
Tu sais maintenant ou j'habite, l'âge que j'ai, ce que j'aime, et ce que je n'aime pas, le nom de ma sœur et la marque de mes lunettes, etc... Tu partages toi aussi, sans aucun doute en MP, nos infos. Avec qui ? On ne le sait pas vraiment mais on s'en doute.
La technologie existe et quelque part quelqu'un s'en sert à des fins néfastes. Garanti !
Autre chose, avec FB, un jour ou l'autre, nous nous quitterons comme tous les amants pressés. Moi, pour d'autres aventures, toi peut-être saisi d'une syncope virtuelle de laquelle tu ne te remettras pas, emportant avec toi mes amis et mes souvenirs.
Mais pour l'instant, je t'aime encore.
Je n'ai besoin de rien. Quelques olives, du zit Argan, une bonne, ou deux, mon ordinateur et Facebook, mon nouvel amour.
Je vous quitte car je dois poster sur FB... il faut que mes amis sachent que je viens de finir un article sur Facebook. Pas «sur» FB mais au sujet de .. zut ! Enfin ..ce que je..... Ooh ! Là ça se complique un peu... J'efface !
Victor Assouline