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Prix du pétrole : une bonne nouvelle mal accueillie(info # 010211/14)[Analyse économique]

 

Par Sébastien Castellion © MetulaNewsAgency

 

 

Vendredi dernier, alors que les Américains se ruaient sur les magasins pour profiter du jour de soldes le plus spectaculaire de l’année - le Black Friday ou « vendredi noir » qui fait suite à la fête traditionnelle de Thanksgiving -, des soldes bien plus spectaculaires étaient annoncés à l’échelle de l’économie mondiale.

 

Dans une réunion tenue la veille à Dubaï, l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) venait de décider de ne pas réduire son plafond de production. Cette décision allait à l’encontre des prévisions de la plupart des analystes, qui avaient annoncé que le cartel essaierait au moins de contrer la baisse récente des prix du pétrole : le principal indicateur (NYMEX) était déjà passé d’un maximum de 113 $ le baril en juin dernier à 73 $ avant l’annonce de la décision de l’OPEP.

 

Sitôt cette annonce connue, les prix ont accéléré leur effondrement ; ils tournaient autour de 66 $ à la dernière clôture des marchés.

 

Au lieu de se réjouir de la bouffée d’air ainsi apportée à l’économie, la plupart des commentateurs s’est immédiatement lamentée de la décision de l’OPEP. Le ton de certaines réactions qui attribuent de noirs desseins à l’Arabie Saoudite, pays le plus influent de l’OPEP, fait parfois penser aux théories du complot.

 

Le ministre iranien du pétrole, Bijan Zanganeh, a ainsi déclaré à l’agence iranienne Sanaque « la décision n’est pas bénéfique pour tous les membres de l’OPEP ». A un plus bas niveau, des sources iraniennes expliquent régulièrement à la presse que les puissances arabes cherchent à maintenir des prix bas pour faire souffrir l’économie iranienne, handicapée par les sanctions internationales.

 

En Russie (qui ne fait pas partie de l’OPEP), on croit volontiers à un complot occidental pour affaiblir une puissance dont l’économie reste extrêmement dépendante du pétrole et du gaz. La semaine dernière, le ministre des finances russe, Anton Siluanov, a annoncé que les revenus de la Russie avaient baissé de 130 à 140 milliards de dollars par an, dont 40 milliards dus aux sanctions occidentales et le reste à la baisse des prix du pétrole et du gaz. Comme cette annonce a été faite avant la décision de l’OPEP, la situation ne peut que se détériorer davantage.

 

En Occident, on préfère une explication qui est elle aussi un peu conspiratoriale, mais que les Saoudiens eux-mêmes expriment parfois explicitement. Quand les prix sont bas, un producteur à faible coût, comme l’Arabie ou les pays voisins, peut accepter de réduire ses profits si cela entraîne la faillite ou l’arrêt du développement de concurrents à prix d’exploitation élevés. En l’espèce, le concurrent visé est l’industrie américaine du pétrole de schiste, qui a considérablement augmenté sa production au cours des dernières années et réduit progressivement la dépendance du monde envers le pétrole du Golfe arabo-persique.

 

Il est probable en effet que la volonté de faire souffrir l’industrie du pétrole de schiste a joué un rôle dans la décision de l’OPEP. Les cours des entreprises les plus impliquées dans cette industrie, comme Halliburton et Schlumberger, sont partis à la baisse vendredi.

 

Et pourtant, plutôt que de voir dans la tactique des producteurs arabes un coup de maître diabolique, il serait plus exact de la comprendre comme une tentative désespérée de retarder une évolution inévitable, qui est en train de faire des Etats-Unis la première puissance pétrolière mondiale et de réduire fortement la dépendance du monde envers le pétrole arabe.

 

Certes, si la baisse des prix se poursuit, les investissements vont se ralentir dans le pétrole de schiste, dont les coûts de production sont encore beaucoup plus élevés que ceux du pétrole « classique » des pays du Golfe. Cependant, les coûts de production dans le schiste ne cessent de baisser. Ils sont actuellement compris entre 50 et 55 $ le baril selon les gisements, ce qui les rend encore (tout juste) rentables aux prix actuels du marché.

 

Et surtout, les sociétés du schiste ont les ressources nécessaires pour passer quelques mauvaises années. Les investissements et dépenses de recherche-développement déjà lancés vont permettre aux coûts de production de continuer à descendre. Même parmi les entreprises les plus touchées par la baisse des prix, beaucoup pourront éviter la faillite en vendant une part des droits acquis sur les immenses territoires américains et canadiens où se fait la production. Oui, il y aura des faillites ; mais c’est un phénomène normal quand le marché se retourne. Les faillites d’entreprises dans une industrie n’entraînent pas automatiquement la fin de cette industrie ; elles peuvent entraîner au contraire leur regroupement et leur renforcement pour l’avenir.

 

Plus fondamentalement encore, la réduction de l’influence mondiale des pays de l’OPEP est déjà un fait. Dès cette année, la production américaine sera à peu près équivalente à celle de l’Arabie Saoudite, chacun des deux pays produisant environ 13% du pétrole mondial. Et si on raisonne par bloc, l’ensemble « Etats-Unis, Canada et Mexique » produira environ 21% du pétrole mondial, soit autant que l’ensemble formé par l’Arabie Saoudite, le Koweït, le Qatar et les Emirats Arabes Unis. La décision des producteurs arabes de pousser les prix à la baisse peut ralentir leur affaiblissement relatif au profit de l’Amérique du Nord, mais ne peut pas mettre fin à ce mouvement.

 

De plus, en réduisant leurs propres recettes pétrolières, les producteurs arabes condamnent leurs économies à voir s’étioler ce qui est, à peu de choses près, leur seule et unique source de richesse. Or, simultanément, la baisse des prix du pétrole va bénéficier à presque tous les secteurs des économies beaucoup plus diversifiées d’Occident.

 

Pour ces économies, la baisse des prix du pétrole va fonctionner comme une gigantesque réduction d’impôts. Elle va conforter les marges des entreprises et augmenter les revenus disponibles des ménages, ce qui facilitera les investissements, l’épargne et la demande. Le monde produit environ 85 millions de barils par jour : une baisse de 45 $ depuis juin dernier signifie donc que l’économie mondiale gagnerait, sur un an, environ 1 400 milliards de dollars d’argent disponible, soit plus du double de l’effet de soutien à la croissance que l’administration Obama espère obtenir grâce au déficit public. De plus, contrairement au déficit, ces recettes supplémentaires pour l’économie sont permanentes et n’auront pas à être remboursées par les générations futures.

 

D’ores et déjà, la baisse des prix du pétrole enregistrée depuis le mois de juin est l’un des principaux facteurs qui expliquent le rebond de l’économie américaine. Au troisième trimestre, la croissance annualisée a atteint 3,9% alors que les prévisions initiales étaient de 3,5%. Les prévisions de croissance pour le quatrième trimestre sont, elles aussi, en train d’être revues à la hausse et pourraient dépasser 4% en rythme annuel.

 

La principale explication de ce regain de croissance est l’augmentation des investissements des entreprises, elle-même rendue possible par l’augmentation des profits. Les dernières révisions des statistiques économiques américaines incluent une estimation des profits des entreprises, pour 2014, supérieure à 10% de toute la richesse produite aux Etats-Unis. Un tel pourcentage aurait été absolument impossible sans la baisse des prix du pétrole.

 

Les bonnes nouvelles sont assez rares pour que nous évitions de nous plaindre quand elles se produisent. La baisse des prix du pétrole est, pour l’économie mondiale, la meilleure nouvelle des six derniers mois.

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