Le secret d’une écriture...
Par Lakhdar Omar
L'Amazigh, reliquat remarquable des premiers âges par ses attaches inéluctables avec les plus vieilles civilisations, renferme, suivant l'expression d’Auguste Bernard, les alluvions égyptiennes, phéniciennes, éthiopiennes… C’estl’une des plus anciennes langues de l’humanité qui soit encore bien vivante. Elle est le langage de ce vieux peuple amazigh qui s’est cantonné dans ses montagnes, en conservant sa langue, ses coutumes millénaires et son folklore.
Dans sa forme moderne, Il est encore parlé dans les oasis égyptiennes de Siouah et d’Augilia, à Sokna dans le Djebel Nefouza, à Djerba, dans l’Aurès, en Petite Kabylie, aux environs de Lalla Marnia, dans de nombreuses tribus au Maroc, en particulier chez les Chleuhs du Souss, dans certaines villes sahariennes comme Ghadamès, Glot, Ouargla, au MZab, dans quelques oasis de la Saoura et, enfin, chez les Touaregs.Les habitants de toutes ces contrées citées par l’ethnologue Henri Lhote, sont les descendants de ce peuple amazigh qui, dès l’époque de la formation des premières sociétés humaines, occupa la partie du Nord de l’Afrique qui s’étend de la Mer Rouge aux îles Atlantiques et du Niger à la Méditerranée.
Les caractères de l’écriture amazighe, utilisés aujourd'hui par les Touaregs, ou encore, tels que nous les retrouvons dans les plus anciennes inscriptions numidiques, sont nommés le Tifinagh qui dérive du Libyque. La signification analytique du mot Tifinagh d'après Louis Rinn (1) est ce qu’a envoyé ou a révélé le Dieu Enn créateur. Ces caractères que la légende voudrait leur attribuer une origine divine, étaient au début au nombre de dix seulement. Cette dénomination, montre chez les Amazigh ainsi que chez les peuples anciens, que les caractères de l'écriture furent d'abord en usage chez les prêtres qui les présentèrent comme les effets d'une révélation surnaturelle.
Après s'être servi des signes géométriques à éléments rectilignes pendant un temps assez long pour que le souvenir de leur invention ait pu disparaître, les premiers prêtres targui perfectionnèrent le système en usage par l'adjonction de signes complémentaires destinés à préciser et à déterminer la valeur des mots en Tifinagh: c'est la naissance du système dit Tiddebakin. En effet, chacun de ces signes, porte le nom de Tiddebaka, mot dont la traduction analytique est indice d'action et d'extension. A côté des valeurs usuelles et pratiques, ces caractères ont une valeur hiéroglyphique, une valeur idéologique et une valeur phonétique. Aujourd’hui, il existe même un débat à propos des graphiques en tifinagh découverts sur de nombreuses pétroglyphes à Peterborough, dans la province canadienne de l’Antario.
Il y a seulement quelques siècles que l’Amazigh a cessé d'être la langue usuelle à Marrakech ; on sait par les auteurs anciens, qu'on n'y parlait guère encore que l'Amazigh au XVIIème siècle. Depuis, il n'a cessé de régresser. Ainsi, les Imazighen ont perdu le souvenir de leur origine, l'écriture de leur langue et jusqu'au sens des rites dont quelques-uns ont survécu grâce à l'inaccessibilité des montagnes et à la force des traditions. Heureusement de bonne heure, des berbérologues émérites, se sont attaqués aux problèmes ardus de l'étymologie pour expliquer les noms des objets ou des lieux et par leur capacité d'ethnologue de révéler à partir du folklore la survivance des vieux rites.
L'alphabet Tifinagh utilisé pour la transcription de l’Amazigh est un alphabet relique qu’on peut comparer à ces vieux tableaux de maître italien dont les siècles avaient oxydés le vernis au point de les couvrir d'une partie ténébreuse, mais que des réactifs appropriés pourraient faire disparaître pour ramener dans leur fraîcheur et pour le ravissement de nos yeux, les coloris originels.
C’est un système de transcription simple répondant à toutes ses variétés articulatoires adaptées à la phonologie et à la phonétique qui lui sont propres, avec toute sa richesse vocalique. En principe, une langue ne peut être écrite et lue correctement que par sa propre écriture. Toute adaptation d'une autre forme d'écriture à une langue lui serait fatale à la longue. L'exemple le plus éloquent c'est celui de l'Egyptien ancien. Au temps d’Alexandre Le Grand, les habitants de l'Egypte avaient commencé à écrire leur langue avec les caractères grecs, langue des aristocrates de l'époque; le résultat : les fameux hiéroglyphes restèrent indéchiffrables pendant vingt-quatre siècles et toute une culture partie en fumée. Grâce à la découverte de la stèle de la Rosette en 1799, ce type d'écriture avait pu être ressuscité par le génial Champollion.
L’acharnement maladif de certains partis politiques marocains arabisants ou islamisants pour éradiquer le système de transcription de l’Amazigh par le caractère Tifinagh et son remplacement par celui du caractère arabe ne peut que contribuer à enterrer un patrimoine culturel de l’humanité.
(1)- RINN (Louis), Les origines berbères