Florissant, le high-tech israélien est critiqué
Du côté de la « nation start-up », tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Rachats à la pelle de jeunes pousses israéliennes et levées de fonds géantes esquissent déjà les contours d’une nouvelle année record en 2015. Mercredi, Apple a confirmé avoir acquis pour plus de 20 millions de dollars (19 millions d’euros) LinX, spécialiste des capteurs pour mobiles. Lors d’un voyage dans l’Etat hébreu en février, le patron du groupe américain, Tim Cook, annonçait vouloir intensifier ses relations avec l’écosystème local.
Pour mettre la main sur des pépites israéliennes, les compagnies étrangères ouvrent grands les cordons de la Bourse. En janvier, Amazon et Dropbox ont payé respectivement 370 millions et 150 millions de dollars pour mettre la main sur deux jeunes sociétés de cloud computing (l’informatique en nuage), Annapurna Labs et CloudOn.
« Les entreprises israéliennes ont su se positionner sur des secteurs suscitant l’intérêt au plan mondial, affirme Marianna Shapira, du centre de recherche IVC (Israeli Venture Capital). On peut prédire que 2015 va égaler, voire dépasser les résultats exceptionnels de 2014. » En 2014, les sociétés du secteur ont levé un montant record de 3,4 milliards de dollars de capitaux frais, 46 % de plus qu’en 2013. Quant aux cessions et introductions en Bourse, elles ont progressé de 5 %, totalisant 6,9 milliards de dollars.
Un club de privilégiés aux salaires mirobolants
Pourtant, la scène high-tech ne s’attire pas que des applaudissements. Un autre débat ne cesse de rebondir sur le faible rôle économique et social joué par ce secteur pour l’ensemble de la nation. Un rapport publié mercredi 15 avril par le chef scientifique du ministère de l’économie nourrit la controverse. « La capacité de la haute technologie israélienne à servir de moteur de croissance pour le reste de l’économie est un point d’interrogation », est-il écrit. Ainsi, la part du secteur dans les exportations du pays recule légèrement depuis trois ans pour s’établir à 42,7 % en 2014.
La presse israélienne est prompte à décrire un écosystème fonctionnant comme un club de privilégiés aux salaires mirobolants. Le milieu high-tech fait travailler moins de 9 % de la population active, un chiffre qui stagne, voire décline depuis plusieurs années. Dans le même temps, indique le rapport, les succès du secteur seraient menacés par une « pénurie de main-d’œuvre », avec un nombre insuffisant d’ingénieurs et de programmeurs qualifiés formés chaque année.
Le rapport du ministère de l’économie souligne l’importance de développer davantage de « grandes entreprises » technologiques. L’Etat hébreu est marqué par une culture de l’« exit » qui voit les entrepreneurs revendre rapidement leurs start-up sans attendre leur arrivée à maturité commerciale. Résultat, les jeunes pousses sont souvent cédées à des groupes étrangers avant d’avoir engrangé leurs premiers bénéfices. Et ce sont les acheteurs qui captent finalement les dividendes de la créativité israélienne. « La croissance de “grands vaisseaux locaux”, c’est-à-dire d’entreprises plus mûres, est indispensable, insiste le rapport. Celles-ci emploient un éventail plus large et plus divers de salariés, elles contribuent au développement de nouveaux savoirs en Israël et il est plus difficile de répliquer leurs activités à l’étranger. »
Selon un indice publié fin 2014 par DowJones Venture Source, le délai entre la première levée de fonds et le rachat d’une start-up est bien plus court en Israël qu’en Europe : de 3,9 ans en moyenne contre 6,6 ans en France et 9 ans en Suède. Les détracteurs de cette pratique critiquent le manque de responsabilité sociale de créateurs d’entreprise cherchant d’abord à empocher leurs gains.
« Des indices montrent que tout cela est en train de changer, tempère MmeShapira. Les investisseurs sont plus patients, les entrepreneurs plus nombreux à choisir de faire grossir leur société plutôt que de rechercher le profit immédiat. » En témoigne la hausse des introductions en Bourse en 2014 : 19 jeunes pousses ont levé 2,1 milliards de dollars, presque six fois plus qu’en 2013. Un procédé qui témoignerait d’une volonté de rester indépendant.
LE MONDE ECONOMIE Par Marie de Vergès (Jérusalem, correspondance)