Israël: «Tolérance zéro» pour l'extrémisme juif
JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE
La Presse
Israël prend le taureau par les cornes. Après des années d'une relative passivité, le gouvernement Nétanyahou a adopté dimanche une série de mesures contre les extrémistes juifs, en promettant une politique de «tolérance zéro» pour ceux qui se rendront coupables de crimes haineux.
Cette décision ferme survient après deux attentats perpétrés la semaine dernière par des extrémistes juifs. Jeudi, un ultraorthodoxe a poignardé six personnes lors du défilé de la Fierté gaie à Jérusalem, tuant une jeune Israélienne de 16 ans, qui a succombé dimanche à ses blessures.
Le lendemain, un bébé de 18 mois est mort brûlé vif, après que de présumés colons israéliens eurent incendié la maison d'une famille palestinienne en Cisjordanie.
Les deux événements n'ont pas manqué de choquer la population israélienne, qui a convergé par milliers dans les rues de Jérusalem au cours de la fin de semaine, afin de protester contre la frange la plus radicale des groupes ultrareligieux.
De son côté, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a vigoureusement dénoncé ces actes «terroristes», soulignant que son gouvernement était «farouchement déterminés à combattre toute manifestation de haine et de fanatisme, de quelque côté qu'elle soit».
«Nous sommes unis contre les criminels parmi notre peuple», a ajouté M. Nétanyahou
Les nouvelles mesures adoptées par Israël incluent notamment la «détention administrative», qui permet de détenir une personne pour une durée illimitée, sans accusation.
Cette procédure préventive, jusqu'ici habituellement réservée aux Palestiniens, donnerait aux enquêteurs le temps nécessaire pour percer le système de protection des groupes radicaux visés.
Changement de ton attendu
Ce durcissement de ton peut surprendre, considérant la tolérance dont le gouvernement israélien a longtemps fait preuve à l'endroit des extrémistes juifs. Selon l'ONG israélienne Yesh Din, 85% des plaintes de Palestiniens contre les colons juifs pour «crimes idéologiques» seraient classées sans suite.
Mais dans les faits, cette intervention était attendue, affirme l'historien et analyste politique israélien Simon Epstein.
«Ça fait déjà plusieurs années que ces groupes se manifestent en profanant des lieux de culte musulmans ou chrétiens, explique M. Epstein. Sauf qu'il n'y avait pas encore de morts et les gens disaient que c'était de la petite criminalité. On mettait cela sur le compte de la jeunesse et de l'effervescence. Maintenant, on réalise que ces gens sont aussi des assassins et qu'il faut intervenir avant que la situation devienne catastrophique.»
Bref, dit-il, il y a une prise de conscience. «Et cette prise de conscience vient du fait que les membres du gouvernement, y compris ceux qui veulent annexer les territoires, comprennent que c'est allé trop loin.»
Reste à voir, ajoute M. Epstein, si cette volonté politique sera appliquée avec autant de facilité qu'elle a été énoncée. Car si l'armée, la police et les services de sécurité semblent appuyer ces mesures, il est probable que celles-ci se heurteront au système judiciaire et aux protestations de certains intellectuels israéliens.
«Il est possible qu'il y ait des blocages à ce niveau au nom de la liberté d'expression et des libertés fondamentales», résume l'expert. «Alors attendons de voir. L'épreuve sera dans les faits.»
«L'épreuve» aura lieu plus tôt que tard, puisque déjà, un jeune extrémiste juif a été arrêté hier à Safed (nord d'Israël), possiblement en lien avec l'attentat de vendredi.
Selon les agences, Meïr Ettinger, 20 ans, aurait été appréhendé «pour des crimes nationalistes» et à cause «de ses activités au sein d'une organisation juive extrémiste». Soupçonné d'avoir causé l'incendie d'une église chrétienne le 18 juin, il doit se présenter au tribunal mardi pour la prolongation de sa garde à vue.
Meïr Ettinger est le petit-fils de Meïr Kahane, un rabbin fondateur du mouvement raciste anti-arabe Kach, assassiné en 1990 à New York.
Israël détient aussi le principal suspect de l'épisode de violence de la Fierté gaie.
Un effet paradoxal?
Les nouvelles mesures contre l'extrémisme juif ralentiront-elles la colonisation dans les territoires palestiniens? Tout le contraire, estime Simon Epstein. «Si elle est appliquée, cette tolérance zéro aura un effet sur les franges les plus violentes de la colonisation, mais pas sur la colonisation elle-même. Il est même possible que Nétanyahou, s'il réprime l'ultradroite par des arrestations, crée, pour compenser, de nouvelles constructions dans les implantations. Donc, ça peut avoir un effet paradoxal...»