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L'humour juif

 Par Tristan Savin 

 

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur... De Woody Allen à Goscinny, en passant par Philip Roth et les Marx Brothers, l'humour juif teinté de désespérance et d'autodérision est universel.

«L'humour juif existe-t-il?» N'y a-t-il pas seulement deux sortes d'humour: drôle ou pas drôle? Il existe pourtant une tradition humoristique propre à la culture juive. L'expression «humour juif», récente, désigne généralement l'autodérision. Mécanisme de défense, l'humour juif est l'invention d'une communauté face aux tragédies de son histoire. C'est aussi une formidable réponse à l'antisémitisme. Loin des blagues belges, ce rire est à prendre au sérieux. 

Une chose est sûre: il ne suffit pas d'être juif pour faire de l'humour juif. Proust, par exemple, ne répond pas aux critères. Contrairement à Cervantès, issu d'une famille de Juifs espagnols convertis. La maladresse de son Don Quichotte, le grotesque des situations correspondent mieux à la définition de cet humour si singulier. Judith Stora-Sandor a étudié son évolution et distingue deux phases: l'une, préparatoire, est «l'ironie dirigée contre soi-même ou sa communauté». L'humour juif moderne, dû au développement de la culture yiddish, est «plus douloureux, sorte d'incertitude existentielle teintée d'indulgence et de bienveillance». On le sait, les persécutions ne datent pas de la Shoah. A la fin du XIXe siècle, trois millions de Juifs, la plupart originaires d'Europe, s'installent aux Etats-Unis. Franz Kafka a raconté les tribulations de l'un d'eux, Karl Rossmann, dans L'Amérique (ou Le disparu) et Georges Perec a consacré un récit peu connu à la zone de transit d'Ellis Island. Désormais, l'humour juif est associé à Manhattan. Le qualifier de «new-yorkais» est presque un pléonasme. Woody Allen, que l'on connaît comme cinéaste et que l'on a récemment découvert comme écrivain, en est le «maître» étalon. Influencé par Kafka, il met sa faiblesse en avant. Les titres de ses livres parlent pour lui: L'erreur est humaine, Destins tordus... Le plus fameux, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe, prend son sens à la fin de la phrase: sans jamais oser le demander. Allen peut se permettre d'écrire Dieu, Shakespeare et moi, la comparaison sert à moquer sa propre mégalomanie. Et il se dévalue avec complaisance dans ses maximes. Un exemple? «L'amour est profond. Alors que le sexe ne mesure que quelques centimètres.» Comment ne pas penser aux Mémoires d'un amant lamentable de Groucho Marx? Nés à New York, les Marx Brothers ont fait rire le monde entier, jusqu'aux émules d'Alfred Jarry: en 1953, le Collège de Pataphysique les éleva au rang de Satrapes. Mais l'humour juif s'illustre surtout dans la littérature américaine grâce à Saul Bellow, Cholem Aleichem et, bien sûr, Philip Roth. Dans l'inénarrable Portnoy et son complexe, les victimes désignées sont la mère juive castratrice et l'adolescent onaniste, complexé avec les femmes. La tradition a perduré avec Jerome Charyn, natif du Bronx. Dans Le marin blanc du président, son héros s'enfuit pantalon à la main après avoir séduit une fille... Puis Charyn a renouvelé le genre avec un roman aussi loufoque que son titre: Cul bleu. 

 

 

En France, les maîtres incontestés de l'humour juif sont Tristan Bernard et René Goscinny. Avant de devenir scénariste d'Astérix et de Lucky Luke, Goscinny vivait à New York et dévorait les textes des humoristes Robert Benchley, James Thurber et O. Henry. Quant à Georges Perec, il appréciait les gags ravageurs de Marcel Gotlib. Pour le dessinateur des Dingodossiers, «il y a une certaine façon d'appréhender la vie - mais c'est aussi la définition de l'humour - de manière juive». Selon lui, l'universalité de son comparse Goscinny est due à sa capacité de parler de ce qui est arrivé à tout le monde: «C'est proche de Woody Allen, qui touche en évoquant un sujet sous forme de proverbe car il y a quelque chose derrière. Quand il dit: "Non seulement Dieu n'existe pas, mais essayez de trouver un plombier le 15 août...", c'est tellement absurde qu'il faut rire au lieu de réfléchir!» Mais Gotlib se demande: «L'autodérision n'est-elle pas la base de tout humour? Celui qui ne se moque pas de lui-même, ça devient de l'esprit.» Voilà peut-être la meilleure définition de l'humour juif: à l'inverse du simple mot d'esprit, il n'est pas prétentieux. 

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