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Vive le roi ! par Bernard-Henri Lévy

 

Tandis que nous nous empêtrons dans le piège du burkini, l’offensive mondiale contre le djihadisme vient de connaître une accélération décisive.

Nous sommes le 21 août.

Le roi du Maroc prononce, à Tanger, son discours annuel de commémoration de la Révolution du roi et du peuple.

Et voilà qu’après des considérations générales sur les méfaits du « sous-développement », sur le « destin » de « l’Afrique » ou, plus inattendu, sur la contribution de « la résistance marocaine » à « la révolution algérienne », il se livre à une attaque en règle contre l’islamisme radical et la série noire des meurtres commis récemment en son nom – à commencer par celui, le 26 juillet, d’un père catholique « dans l’enceinte de son église »…

C’est la moindre des choses ?
Oui et non.
Car je ne vois pas, d’abord, un autre chef d’Etat qui ait, dans cette partie du monde, prononcé des mots aussi forts. Mais, surtout, ce chef d’Etat-ci n’est pas un chef d’Etat comme un autre et son statut très spécial dans le monde arabe sunnite, ses titres de « monarque chérifien » et de « Commandeur des croyants », sa qualité, enfin, de « descendant du Prophète », donnent à la moindre de ses déclarations une portée qu’elle n’aurait dans la bouche d’aucun autre.
Il ne se contente pas, ce jour-là, de déclarer la guerre aux djihadistes.
Il la leur annonce, cette guerre, sur terre et dans les cieux. Il les met hors la loi, non seulement des hommes, mais de Dieu.
Il va les chercher sur le terrain de leur croyance et du sens qu’ils voudraient donner à tel ou tel verset du Coran ; et, s’appuyant sur d’autres versets, ou sur d’autres commentaires des mêmes versets, ou sur la souveraine autorité, simplement, de sa propre interprétation et lecture, il dit leur imposture.

On peut toujours, naturellement, refuser d’entrer dans cette querelle.

On peut, comme la quasi-totalité des chefs d’Etat musulmans et non musulmans, répéter jusqu’à satiété qu’il n’y a « aucun lien » entre l’islamisme et l’islam.

Mohammed VI fait l’inverse.
Il reconnaît le lien et le tranche.
Il prend acte du levier que donne à ces bandits le droit qu’ils s’octroient de parler au nom de Dieu et, pour casser le levier, décrie et désavoue ce droit.

Bref, il entre dans les voies du dispositif théologico-politique qui confère au nouveau terrorisme son ascendant et son efficacité – et, renversant ce théologico-politique, le jouant contre lui-même et le prenant à son propre piège, il assèche la source de la légitimité dont se prévalaient les fous de Dieu ; il les isole au sein d’une communauté de croyants dont ils ne sont plus que des excroissances lamentables ; et il rompt, ce faisant, l’emprise terrifiante et sacrée qu’ils exerçaient sur les âmes faibles.

Ainsi quand, au début de son règne, il lançait sa grande réforme en vue de l’égalité des sexes : affrontement des casuistiques et des exégèses ; consultation d’organisations de femmes mais aussi de savants en religion ; et, deux ans plus tard, adoption d’un Code de la famille conforme aux préceptes de la foi non moins qu’aux réquisitions des droits de l’homme.

C’est également de cette façon qu’a commencé, dans l’Occident chrétien, l’émancipation des Lumières : théologie contre théologie ; le Dieu du droit naturel contre celui des tourmenteurs des corps ; et, à l’arrivée, chez un Locke comme chez un Bodin, reconnaissance, en chaque sujet, d’une part de transcendance conçue comme la plus sûre garantie de son inviolabilité et de ses droits.

Depuis le temps que l’on répète qu’il n’y a, en islam, ni contrainte ni point de vue privilégié…

Eh bien, parfois, si.

Vous avez le choix, dit Mohammed VI à ses sujets en même temps qu’à tous les sunnites qui reconnaissent son « discernement ».

Un émir autoproclamé à Mossoul – ou le descendant d’Ali.

Un vague califat, sans mémoire ni sagesse, maintenu par le fer et le feu – ou une dynastie chérifienne qui a traversé les âges et, notamment, le règne ottoman sans jamais renoncer à soi.

Mais attention !

Au nom de la Commanderie des croyants dont il est le lieutenant, il ajoute alors ceci : si vous choisissez tout de même le premier, si vous vous ralliez au drapeau noir des prétendus califes qui « font du Coran et de la sunna une lecture conforme à leurs intérêts » et qui « excommunient indûment les gens », c’est vous qui vous « excommuniez » ; vous qui sombrez dans la «mécréance»; et vous qui, loin, comme vous le promettent les charlatans, d’accéder au paradis et à ses vierges, prendrez « votre place en enfer ».

Tel est le sens de ce discours de Tanger.

Tel est le grand et beau geste accompli par le petit-fils du sultan qui, en 1942, fit honte à l’Etat français en se solidarisant avec les juifs du protectorat.

Puissent ses alliés d’aujourd’hui prendre la mesure de l’événement.

Puissent-ils peser à sa juste valeur le risque personnel qu’il a pris en s’opposant ainsi, frontalement, à la secte des amis du crime.

Et Dieu fasse qu’ils ne lui ménagent ni le soutien moral ni le renfort économique et politique dont il aura, dans la bataille qui s’annonce, grand besoin.

Le Maroc est en première ligne – il faut tenir la ligne avec lui.

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