LE MELLAH ET LES FÊTES JUIVES, par Therese Zrihen-Dvir
EXTRAIT DU LIVRE
IL ÉTAIT UNE FOIS… MARRAKECH LA JUIVE
Les fêtes juives débutaient avec la fin de la longue saison d’été. Rosh Hashanah, le Nouvel An juif, d’abord, Yom Kippour, le Grand Pardon, ensuite, suivi par Sukkoth, la fête des Tabernacles, avec ses cabanes en roseaux ou en tissus fleurissant partout sous les cieux, à côté des maisons ou dans les cours intérieures. La population du Mellah entrait dans une phase d’activité éreintante, peignant les maisons et achetant force victuailles et vêtements neufs. Les synagogues revêtaient une ambiance solennelle. Les candélabres en cuivre étaient astiqués et les chandeliers en cristal rénovés. Dans l’Arche Sainte, les rouleaux de la Torah, majestueusement enchâssés et parés de velours brodé d’or, de petites couronnes et de clochettes, attestaient du dévouement et de l’enthousiasme manifeste de la population juive pour son culte et ses racines.
En dépit de l’odieuse pauvreté, la vie religieuse se perpétuait et les rites quotidiens étaient scrupuleusement observés. Le vendredi après-midi, avant l'allumage des bougies, les émissaires du rabbin traversaient les rues du Mellah en soufflant dans leurs chofars[1] pour annoncer l’entrée du Shabbat. Les hommes, habillés de leurs plus élégants atours, invariablement accompagnés de leurs fils, se hâtaient en direction de la synagogue avoisinante, tandis que femmes et filles s'affairaient à préparer la table du vendredi soir.
Les portes des maisons, laissées intentionnellement ouvertes, semblaient inviter les routards à prendre part au repas du vendredi soir. La communauté entière suivait à la lettre les rites du Shabbat, préservant ainsi une note de sainteté.
Les prières de pénitence, ou Slihot[2], étaient prononcées dans les synagogues du Mellah, de la fête du Nouvel An jusqu’au Yom Kippour. Elles avaient lieu pendant la nuit. Les émissaires du rabbin, dont la tâche était de réveiller les résidents masculins pour les exhorter à prendre part à ces séances de prières spéciales, lançaient des appels vibrants au milieu de la nuit, dans les rues désertes du quartier.
Au premier soir du Nouvel An, la famille juive se réunissait autour d’une grande table croulant sous un énorme banquet de fêtes. Les mésententes étaient oubliées, la joie s’emparait de tous, hommes et femmes, vêtus pour l’occasion de leurs parures les plus élégantes. Les enfants, excités et impatients, faisaient retentir la maison de leurs rires sonores. La magie du Nouvel An insufflait de nouveaux espoirs et ressoudait les liens sociaux. Telle une ruche d’abeilles affairées, les femmes, selon la tradition, cuisinaient, activaient le four, nettoyaient et préparaient les tables qu’elles garnissaient de services neufs et de chandeliers ruisselants.
Divers rites assez curieux occupaient chaque famille du quartier pendant les quelques jours qui séparaient le Nouvel An de Yom Kippour. Les Kapparot, ou Expiation, d’abord, coutume bizarre et primitive consistant à faire tourner trois fois sur la tête d'un individu un coq ou une poule, selon le sexe de l'intéressé, de le bénir, puis de l’égorger par le rabbin/shohet. Il était d’usage pour les familles riches de faire don des Kapparot aux pauvres. Cette coutume est aujourd’hui remplacée par des dons d’argent distribués aux nécessiteux par les synagogues.
La fête de Souccot commémore l’épisode de la traversée du désert par le peuple juif après la fuite de l’Égypte sous la direction de Moïse. Elle est célébrée par la construction d’habitations temporaires, appelées cabanes, et faites de roseaux et de branches de palmier. Elles sont généralement décorées de fleurs et de tapis muraux. Ces cabanes ne protègent guère les occupants des intempéries ! Le chef de famille achète des branches de myrte rituelles, un jeune saule, des branches de palmier et un citron – choisis scrupuleusement – qu'il dépose dans un coin de la cabane. Le dernier jour de la fête de Souccot, le peuple juif s’assemble pour la cérémonie religieuse à la synagogue, qui glorifie la Sainte Bible, Simha Torah. Les juifs dansent joyeusement en formant des cercles et en tournant sept fois (Hakafot) autour du sanctuaire, portant les saints rouleaux de la Bible dans leurs bras. À leurs côtés, leurs enfants ondoyaient le plus haut possible, par-dessus leurs têtes, d’élégantes bougies décorées abusivement.
Impatiente de recevoir les paquets de bonbons que le rabbin distribuait aux enfants, Marie accompagnait invariablement son grand-père à ces réjouissances. Cette année-là, pépé ne s’empara pas des rouleaux de la Bible comme à l’accoutumée, mais serra Marie dans ses bras en se mêlant aux joyeux fêtards.
« Pourquoi ne prends-tu pas les rouleaux de Bible ? » lui demanda-t-elle.
« Avec toi dans mes bras, c’est tout comme danser avec la Bible », lui répondit-il.
Marie étreignit le cou de son grand-père chéri, manifestant avec ardeur l’intense affection qui les soudait l’un à l’autre. Avait-il eu quelque mauvais pressentiment ? Quoi qu'il en soit, pépé garda l’enfant au plus près de lui pendant toute la soirée, ses vieux yeux étincelant de tendresse.
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[1] Cornes de bélier
[2] Prières de pardon