Colère au Maroc, un air de Tunisie
Vendre un espadon hors la saison de pêche, c’est un crime au Maroc ? Non, juste un délit, passible de contravention.
Tentant de récupérer son poisson que la police voulait détruire, Mouhcine Fikri a pourtant payé le prix fort. À Al-Hoceima, petite ville du Rif, on a retrouvé son corps broyé dans la benne à ordures. Même en période d’Halloween, une horreur pareille ne passe pas. Une photo de la victime, tête à peine extirpée du mécanisme de compactage, circule sur les réseaux sociaux. Jette-t-on ainsi les hommes à la poubelle? L’image prend soudain valeur de métaphore et semble libérer une colère nationale trop longtemps contenue. Le peuple gronde. Au fil des manifs, ses slogans se durcissent : « Assassins ! », « Halte à l’arbitraire !», « Ici, on broie des gens »… Des protestataires, suprême outrage, s’aventurent à critiquer le palais royal. À la veille d’accueillir la COP 22, l’État marocain pouvait rêver d’un meilleur climat.
Mohammed VI adresse vite ses condoléances à la famille du défunt et promet une enquête sérieuse. Ce qui va sans dire, mais encore mieux en le disant. Sa Majesté se souvient peut-être que la mort d’un autre marchand ambulant sema jadis le chaos chez ses voisins. Celui-ci s’appelait Mohamed Bouazizi. Abonné à la misère, soumis au harcèlement de flics corrompus, il s’immola par le feu sur le marché de Sidi Bouzid. La date du drame s’inscrit aujourd’hui dans l’Histoire : le 17 décembre 2010. Ce jour-là, un petit fait d’hiver annonçait l’arrivée inéluctable du Printemps arabe. La révolution venait de commencer en Tunisie, et Ben Ali ne tardera pas à dégager…
Par par Gilles DEBERNARDI