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TEXTE DE LUC ROSENZWEIG

Arte, la  chaine des maîtres censeurs
 
La direction de la chaine culturelle franco-allemande passe à la trappe un documentaire sur l’antisémitisme en Europe. Motif : la haine antijuive arabo-musulmane est par trop mise en lumière
Luc Rosenzweig
 
On n’avait jamais vu cela  dans l’histoire d’Arte, qui va bientôt fêter son quart de siècle d’existence : le directeur des programmes d’Arte, Alain Le Diberder, décide de ne pas diffuser un documentaire de quatre-vingt dix minutes, produit et financé par la chaine. 
Il s’agit du film «  Un peuple élu et mis à part : l’antisémitisme  en Europe », écrit et réalisé par deux cinéastes allemands, Joachim Schroeder et Sophie Hafner. Ce projet était porté par le pôle allemand d’Arte, et plus précisément par la chaine publique Westdeutsche Rundfunk (WDR), membre de l’ARD, la première chaine allemande.

Il avait été validé en avril  2015 par la conférence des programmes d’Arte, composé à parité de représentants des pôles français et allemand de la chaine, auxquels s’ajoutent quelques membres venant des petites chaines européennes partenaires (Autriche, Belgique etc). Cette validation s’était heurtée d’emblée à l’opposition d’Arte France, qui avait subodoré que son contenu n’était pas en adéquation avec la ligne éditoriale de la chaine sur la question de l’antisémitisme. Pour la présidente, Véronique Cayla, le directeur des programmes Alain Le Diberder et leurs responsables de secteurs, la dénonciation de l’antisémitisme se limite à l’exploration répétitive de «  ce ventre fécond dont est sorti la bête immonde », le nazisme archéo et néo, l’extrême droite dans toutes ses déclinaisons régionales, du FN français au Jobbik hongrois en passant par les néerlandais de Gert Wilders.

 Le film de Joachim Schroeder et Sophie Hafner reçut pourtant l’aval, de justesse, de la conférence des programmes après que les auteurs ait accepté la suggestion de s’adjoindre comme co-auteur Ahmad Mansour, un psychologue d’origine arabe israélienne exerçant depuis dix ans en Allemagne. Ce dernier est une personnalité reconnue outre Rhin comme porte-parole d’un islam des Lumières, modéré et violemment hostile au jihadisme. Il joue dans le débat public allemand un rôle similaire à celui tenu naguère dans le débat français par le regretté Abdelwahab Meddeb. Le courant passe entre les cinéastes allemands et Mansour, mais ce dernier n’accepte qu’un rôle de conseiller de ce documentaire, son emploi du temps ne lui permettant pas de participer à de chronophages phases de tournage à l’étranger et à d’interminables séances de montages. Mais il suit régulièrement la progression de la réalisation du film, et répond à toutes les demandes de conseils venant des réalisateurs. Dans l’esprit des dirigeants d’Arte, Mansour devait jouer le rôle de « commissaire politique » du film,  veillant à ce que les auteurs restent bien dans les clous d’une vision de l’antisémitisme épargnant autant que faire se peut sa version arabo-islamique, et ce nouvel antisémitisme des banlieues européennes.

 Il n’en a rien été, et Schroeder et Hafner, soutenus par la responsable de la coopération avec Arte au sein de la WDR, Sabine Rollberg ont persévéré dans leur projet de démasquer cet antisémitisme qui se camoufle sous le masque de l’antisionisme. Le couperet tombe en février 2017, sous la forme d’un sèche lettre de refus de diffusion du documentaire ainsi motivée : «  Le film achevé ne correspond pas sur des points essentiels au projet accepté par la conférence des programmes. Par ailleurs on ne voit pas la trace de la collaboration d’Ahmad Mansour, qui devait garantir l’équilibre et l’impartialité du projet… » (Cet extrait est une traduction de la lettre adressée en allemand aux responsables du pôle allemand d’Arte, dont la direction, contactée par nos soins a refusé de nous transmettre sa version originale en français). Précisons qu’Alain Le Diberder ne parle pas un mot d’allemand, et que le film qu’il condamne n’a pas de version française…

Mis en cause, Ahmad Mansour réplique vertement aux assertions d’Alain Le Diberder dans un courrier adressé à Sabine Rollberg. Après avoir confirmé qu’il avait bien décliné la fonction de co-auteur pour des raisons personnelles, et que le contenu du film avait été établi avec son accord il poursuit. « Ce film est remarquable et arrive à point nommé. Certes, il révèle des réalités dérangeantes, les mêmes que je rencontre dans mon travail quotidien. Je suis surpris qu’une chaine publique de la réputation d’Arte puisse avoir tant de problèmes avec le réel. Dans mon activité professionnelle j’exige constamment que l’on prenne conscience politiquement de cette réalité pour alimenter un débat public dans la société et faire face à ces nouveaux défis. C’est pourquoi je trouve ce film important et nécessaire »

Ce film, je l’ai visionné. Eût-il été présenté aux journalistes dans le cadre d’une promotion  classique des programmes de la chaine, je n’aurais pas manqué d’en souligner les défauts formels, communs, d’ailleurs, à l’ensemble de la production documentariste germanique : un pédagogisme un peu lourd, redondance entre l’image et le commentaire etc.
 Mais là n’est pas la question. Il est victime d’une censure purement idéologique, car il met en lumière de manière crue les liens entre la propagande islamiste, singulièrement celle diffusée par les diverses factions palestiniennes (Fatah et Hamas) et l’antisémitisme le plus traditionnel, accusant les juifs de tous les maux de la terre.

 Contrairement aux assertions d’Alain Le Diberder, (dont nous publions le point de vue ci-dessous), le retour, en France et en Allemagne de l’antisémitisme fasciste est bien présent dans le film, avec ses cohortes de crânes rasés et de blousons de cuirs éructant des «  Mort aux juifs ! » dans les rues de Berlin et de Paris…

Mais ce qui gêne Arte aux entournures, c’est la démonstration implacable qu’il existe une continuité entre le discours propagandiste d’un Mahmoud Abbas déclarant, devant le Parlement européen que «  les Israéliens empoisonnent les sources de Cisjordanie pour faire fuir les paysans arabes de leurs terres » 

Ce « fake news » digne d’un Donald Trump,  cette vieille  fable antisémite  est reprise telle quelle dans  des ONG allemandes, notamment, au sein de la puissante église protestante, qui finance de nombreux projets dans les territoires palestiniens, une aide souvent détournée pour alimenter les groupes terroristes et les officines de diffamation d’Israël par des mensonges dignes de Goebbels. Au péché de pro-israélisme, le film de Schroeder et Hafner ajoute, aux yeux des pontes d’Arte, celui d’antiprotestantisme primaire, rédhibitoire alors que l’Allemagne célèbre cette année le 500ème anniversaire de la Réforme initiée par Martin Luther, ce philosémite bien connu…Ce film a dit la vérité, au moins une part de celle-ci trop longtemps occultée, il doit donc être exécuté. Autre manque de bon goût, il  donne à voir, et entendre, comment François Pupponi, maire (PS) de Sarcelles se désole de voir le pacte républicain français battu en brèche par les islamistes radicaux et antisémites à l’œuvre sur sa commune…

Cette lamentable affaire pourrait n’être qu’une péripétie, qu’un dérapage isolé au sein d’une institution médiatique publique, comme il ne peut manquer de s’en produire dans un monde soumis aux tensions et pressions à l’œuvre dans les sphères du pouvoir et dans la société.

Hélas, cette mise au pas idéologique, cette uniformisation d’Arte dans un discours formaté à l’aune du tiers-mondisme, de la repentance de l’homme blanc, de l’adoption sans réserve du narratif palestinien dans le traitement du conflit proche-oriental, du déni du réel vécu dans les « territoires perdus de la République »,  est devenu la règle depuis le départ de Jérôme Clément et de ses principaux collaborateurs de la direction d’Arte. En témoigne l’exclusion des programmes de Daniel Leconte, producteur  depuis deux décennies de documentaires pour des soirées « Thema », qui abordait, sans complexes ni inhibitions, ce type de sujets dérangeants. La nouvelle présidente d’Arte, Véronique Cayla, voulait explicitement la peau de Leconte dès son arrivée à la tête d’Arte. Et elle l’a eu. Dans le milieu des auteurs et producteurs de documentaires, il est maintenant acté qu’il y a des sujets impossibles à faire passer sur Arte. Seule,  la dureté du marché, et le peu de cases documentaires sur les chaines de télé, les retient, pour l’instant de dénoncer publiquement cet état de fait.

Sabine Rollberg, elle aussi, jette l’éponge. Elle a demandé sa mise en retraite anticipée de la WDR, qui interviendra cet automne. Cette parfaite francophone, participante à l’aventure d’Arte dès sa création en 1992, est fatiguée de se battre, telle la chèvre de monsieur Seguin, contre le pôle allemand d’Arte, qui considère cette chaine comme une vache à lait pour financer des programmes conçus pour le seul public allemand (Arte Allemagne étant maintenue dans le statut d’une chaine ultra-confidentielle), et une direction française qui a du pluralisme dans la culture et l’information un conception plus proche de celle d’un Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan  que de celle d’une grande démocratie occidentale. 

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