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J’aurais voulu être tunisienne!

Par Nouzha GUESSOUS | Edition N°:5088 

 

 

Chercheuse et consultante en bioéthique et droits humains, Nouzha Guessous est ancienne professeure de biologie médicale à la Faculté de médecine de Casablanca. Essayiste et chroniqueuse, Dr. Guessous a été présidente du Comité international de bioéthique de l’Unesco. Elle a aussi participé à la Commission consultative royale chargée de la réforme de la Moudawana (Ph. NG)

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Les annonces du président de la république tunisienne Béji Caid Essebsi, le 13 août courant à l’occasion de la journée nationale de la femme sont tombées comme une belle éclaircie dans le ciel politique et social morose actuel ; au Maroc comme ailleurs dans le monde musulman. Il s’agit de la révision des règles de l’héritage en vue de l’instauration de l’égalité des femmes et des hommes; et de celle de la loi interdisant le mariage des tunisiennes avec les non musulmans.

Cela survient quelques jours après l’adoption à l’unanimité le 26 juillet dernier de la loi organique relative à la lutte contre la violence faite aux femmes saluée par tous.  Si cela se réalise, Essebsi s’inscrirait tout comme Feu Bourguiba; dans l’histoire des chefs d’états musulmans éclairés qui se sont caractérisés par une conscience politique aigue des changements de leurs sociétés et de leurs besoins. Il perpétuerait l’image de la Tunisie, peuple et institutions,  comme laboratoire historique de la mise en œuvre de l’égalité femmes-hommes dans les pays de culture musulmane.

Dans son discours, Essebsi a précisé que ces réformes seront entreprises en vertu des préceptes de l’Islam (justice, égalité et liberté de conscience) et des articles 21 et 4 de la nouvelle constitution(1).  Ainsi, la Tunisie s’apprêterait à franchir un des «derniers» grands pas  de la modernisation et sécularisation de son  droit de la famille; celui des règles de succession qui sont pour le moins l’objet de controverses. Il est important de signaler à ce sujet que le Code de statut personnel de 1956 avait aboli l’héritage par taâsib en cas d’absence d’héritier mâle; léguant la totalité du patrimoine à la fille ou aux filles du de-Cujus.

Revoir la règle de deux parts d’héritage pour le garçon contre une part pour la fille, ne pourrait se concevoir et se faire sans une lecture non dogmatique, rationnelle et contextualisée des héritages culturels et religieux. Et au vu de la sensibilité de la question, cela nécessitera de prendre le risque de la contestation, de donner la parole et dialoguer avec toutes les parties. Et c’est par le vote des élus représentatifs de la population que les controverses seront tranchées démocratiquement.

Clairement, le processus de sécularisation semble bel et bien en cours chez nos voisins tunisiens. Pour preuve, la déclaration du ministre tunisien des affaires religieuses par laquelle il reconnait que «son ministère n’est pas habilité à émettre des fatwas ni à se prononcer sur des problématiques de ce genre». Il a même ajouté que «c’est le président de la république qui a le pouvoir constitutionnel de faire les propositions qu’il considère comme valides(2)». De son côté, le Conseil Tunisien des fatwas (Dar Al-Iftae Attounoussia) confirme cette évolution dans un communiqué publié; en soulignant que par ses propositions, «le président Essebsi s’adresse aux tunisiens  à partir de la raison et du cœur».

Citant le Coran(3), le communiqué ajoute que «les réformes du corpus de l’héritage,  et celle de la loi sur le mariage des musulmanes avec les non musulmans émanent de l’esprit de l’Islam et des conventions internationales, en vue de renforcer la place de la tunisienne et son égalité en droits et obligations»(4). Ces chantiers pour le moins conflictuels, sont donc lancés au nom des deux référentiels religieux et universel; sans laisser de place à l’approche sécuritaire classique qui, sous prétexte de vouloir «éviter la Fitna» voudrait interdire tout débat sur ce sujet supposé tranché.

La loi otage des dogmes religieux et culturels

Si pour le moment de nombreuses voix tunisiennes saluent cette décision, les contestations commencent à l’intérieur comme à l’extérieur de la Tunisie, en particulier d’Al Azhar, qui, sans surprise,  campe sur ses lectures dogmatiques du texte du Coran.

Rappelons-nous le tollé soulevé par le rapport du CNDH de 2016 qui a appelé  à la révision des règles de l’héritage au Maroc. Suite à quoi, le Conseil Supérieur des Oulémas du Maroc s’est dépêché de décréter que c’était irrecevable car «tout est clair dans le Coran et qu’il ne peut y avoir d’Ijtihad dans ce sens». Le ministre des Affaires Islamiques, a quant à lui tenté  de minimiser  la pertinence de la question lors d’une Causerie religieuse du Ramadan 2016, mettant au devant les rares cas où les femmes héritent autant ou plus que les hommes(5). Depuis, de nombreux séminaires ont eu lieu et des ouvrages collectifs sont parus à ce sujet qui reste néanmoins hermétiquement clos sur le plan législatif.

Ce qui se passe en Tunisie fera date et  jurisprudence dans le monde musulman. Il s’agit d’une démarche qui se veut  conciliatrice de la foi et de la raison pour le bien-être de chacun et de tous. N’est ce pas le sens de la citation de l’Imam Ibn al-Qaim: «la loi divine se trouve là où se réalise la Maslaha?»(6). Et n’est ce pas là une des batailles menées - et hélas perdue- par Ibn Rochd, quand il affirmait que si la religion s’oppose à la raison c’est qu’elle est mal comprise?

Certes la partie est loin d’être facile. Mais, les résistances idéologiques héritées de siècles d’instrumentalisation dogmatique et politique de l’Islam finiront bien par céder devant le poids, la constance et la multiplication des problèmes posés par les réalités mouvantes des sociétés musulmanes. Il faut y croire; et surtout accepter d’en débattre. Calmement. Raisonnablement. Respectueusement. Ethiquement Pour conclure, j’affirme que toute marocaine et fière de l’être que je suis, OUI, aujourd’hui, j’aurais voulu être tunisienne(7)!

Quid du face-à-face des lois et des mœurs?

Eternelle question sociologique, juridique et politique: l’évolution des lois doit–elle attendre l’évolution des mœurs et des mentalités? Ou bien doit-elle la précéder, l’orienter en fonction du projet de société souhaité collectivement et décidé démocratiquement? En d’autres termes, est- ce la société qui fait le législateur ou le législateur qui fait la société?
A chaque tentative de revisiter le code successoral en vigueur au Maroc,  après avoir clamé haut et fort que le texte coranique ne pourrait faire l’objet d’aucun Ijtihad; c’est la 1re approche qui est avancée, en dernier recours.
Mais alors, osons le tout pour le tout. C‘est au nom du principe de justice qui est fondateur de l’Islam que le Coran a proclamé le droit des femmes à hériter; au même titre que les hommes; dans une société où elles-mêmes faisaient partie du patrimoine héritable. Cela a forcément provoqué des contestations qui, selon des exégètes et historiens musulmans notoires; pourraient relativiser la règle ultérieurement révélée de deux parts pour le garçon et une part pour la fille. Pourquoi ne pourrions-nous pas repartir des principes divins de justice et d’égalité de tous, pour reposer la question des règles de l’héritage dans leur ensemble à la lumière des évolutions du fonctionnement de nos sociétés? N’est ce pas là aussi notre devoir en tant que musulmans contemporains?

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(1) Voir article publié sur Direct info le 13 août courant, intitulé «Egalité hommes-femmes dans l’héritage: Béji Caid Essebsi recommande d’amender la loi »http://directinfo.webmanagercenter.com/2017/08/13/beji-caid-essebsi-reco...
(2) http://www.akherkhabaronline.com/ar du 13 août 2017
(3) Al Baqara (La vache) 1- 242: «elles [les femmes] ont des droits équivalents à leurs obligations, conformément aux règles de bienséance»
(4) https://arabic.rt.com/middle_east/893933
(5) Nouzha Guessous, « Des droits spirituels aux droits humains : quelles lectures ? », L’Economiste, Edition N°:4796 du 16/06/2016, http://www.leconomiste.com/article/998992-des-droits-spirituels-aux-droi...
(6) «Aynama kanat al-maslaha, fathamma char3 Allah»; «Maslaha» signifiant littéralement «l’intérêt» et peut s’apparenter aux concepts contemporains d’intérêt public ou de bien commun
(7) Empruntant le titre du merveilleux roman de Alaa El Aswany «J’aurais voulu être égyptien» (Actes Sud, 2006)

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