Share |

Répondre au commentaire

On a été fourré par Donald Trump à deux reprises (012011/17) [Analyse]

Par Stéphane Juffa © Metula News Agency

 

Après consultation de Jean Tsadik, Perwer Emmal (Syrie), Michaël Béhé (Liban) et Fayçal Hache (Jordanie)

 

Dans son analyse de la situation de vendredi dernier, "Les Forces Démocratiques Syriennes ont traversé l’Euphrate", notre camarade et correspondant de guerre Perwer Emmal relatait les progrès enregistrés par les Forces Démocratiques Syriennes lors de l’offensive qu’elles venaient de lancer dans la vallée de l’Euphrate. En particulier, Emmal rapportait que les FDS s’étaient approchées à quelques centaines de mètres des villes d’al Asharah et d’al Salihiyah où elles pouvaient couper la fameuse Autoroute iranienne, ce qui représentait l’objectif stratégique "naturel" de l’opération de la "coalition américaine" Tempête de Jazeera. Or il s’est passé quelque chose de très grave.

 

Non seulement il y a eu contre-ordre, et les Peshmerga kurdes ont inexplicablement cessé leur progression vers ces villes de l’Etat Islamique, alors que la "coalition russe" ne se trouvait pas à proximité pour les gêner, mais les FDS ont fourni le temps et les conditions nécessaires aux Russes pour s’en emparer à leur place.

 

Comme on le voit sur la carte, ce sont précisément les agglomérations d’al Asharah et d’al Salihiyah, bien au-delà de leur ligne de front, que les Russes ont attaquées et conquises, en plus de celle de Kashma, où les FDS avaient commencé les manœuvres d’assaut.

 

Or ces coups de force russes déterminent clairement, et probablement de manière définitive, le sort de toute la bataille : le corps expéditionnaire de Poutine est parvenu à s’assurer du contrôle intégral de l’Autoroute iranienne sur toute sa section syrienne.

 

Ceci mis dans la perspective de l’affirmation de Sergeï Lavrov ce weekend, le ministre des Affaires Etrangères du Tsarévitch, affirmant que la présence des troupes de Téhéran en Syrie est "légitime", laisse présager le pire. A savoir que Khameneï, le guide suprême de la Révolution Khomeyniste, va recevoir de Moscou l’autorisation d’utiliser le corridor qu’il convoitait afin d’envoyer des Pasdaran en masse au Liban et sur les hauteurs du Golan. Il va également pouvoir augmenter considérablement la construction des ouvrages militaires en Syrie qu’il a déjà entreprise.

 

Lorsque l’on se rappelle, qu’il y a quelques semaines, Donald Trump, dans un discours-déclaration de guerre à l’Iran, avait ajouté les Pasdaran sur la liste des organisations terroristes, l’on se rend compte qu’il y a quelque chose qui ne joue pas du tout dans le domaine de la logique.

 

Les FDS, qui, en certains endroits, se sont retirées de positions qu’elles venaient d’occuper, vont continuer leur déploiement exclusivement sur la rive-nord de l’Euphrate. Vu sur une carte, cela donne une image esthétiquement aboutie – les FDS au Nord, les Russes, au Sud -, mais du point de vue stratégique, c’est une aberration. Après avoir conquis toutes les exploitations pétrolières au nord du fleuve, elles pourraient arrêter les frais et surtout cesser de mourir pour rien.

 

D’autant que les combats contre l’Etat Islamique sont acharnés, les militants islamiques se battant dos au mur avec l’énergie du désespoir. Et comme pour souligner l’importance pour le Kremlin des opérations d’hier, la prise des trois villes a coûté aux Russes et à leurs alliés un prix humain qu’ils n’avaient encore jamais payé lors de leur campagne de Syrie.

 

Ils ont eu des centaines de morts et de blessés dans leurs rangs ; seize miliciens du Hezbollah (chiffre officiel, Michaël Béhé parle d’une trentaine de tués dans l’organisation libanaise et du triple de blessés), ainsi que des dizaines de militaires iraniens, dont un général. Le nombre de commandos russes et de membres de l’armée d’Assad décédés n’a pas été communiqué mais il est assurément proportionnel à celui de leurs alliés.

 

Et Donald Trump continue de parler de la nécessité supérieure de combattre l’Etat islamique, alors que ce dernier n’occupe plus que deux pour cent du territoire syrien et que sa présence se réduit chaque jour comme une peau de chagrin. En vérité, DAESH est foutu et il ne constitue plus une menace pour personne ; confronté à deux coalitions conduites par les deux plus grandes puissances militaires de la planète, qui ont engagé sur un mince couloir de 50km resserré autour de l’Euphrate leurs meilleurs avions et la crème de leurs troupes d’élite, cela ressemble à des manœuvres d’entraînement à balles réelles. On se demande d’ailleurs pourquoi poursuivre les bombardements aériens massifs sans discernement sur les zones peuplées. Cela fait penser à du sadisme. Et nous ne pouvons nous empêcher d’imaginer ce que seraient les réponses de Washington, de Moscou et du reste du monde si le Khe’l Avir se comportait de la sorte à Gaza lorsque le Hamas bombarde les villes du Néguev.

 

Il est aujourd’hui évident que Trump et Poutine se sont mis d’accord sur les zones d’occupation respectives jusqu’à la frontière iraquienne. Sauf que, stratégiquement parlant, la zone réservée aux Américains n’a presque plus d’importance.

 

Et nous sommes convaincus, à Métula, mais aussi Michaël Béhé à Beyrouth, Fayçal Hache à Amman et, bien sûr, Perwer Emmal sur le front de l’Euphrate, que les derniers détails de ce partage ont été réglés le 11 novembre dernier en marge du Sommet pour la Coopération Economique Asie-Pacifique, qui se réunissait au Vietnam.

 

Les deux hommes se sont rencontrés à trois reprises. Trump disait vouloir évoquer la situation en Corée du Nord, en Ukraine et en Syrie, mais, de l’aveu même de l’entourage du président, les deux hommes n’ont parlé que de l’influence russe sur les dernières élections présidentielles U.S. et de la Syrie.

 

Tout est là, nous en sommes convaincus. Les entretiens ont été tenus à l’emporte-pièce, dans la nervosité, sans que le président américain n’accepte de rencontrer le Tsarévitch dans un endroit éloigné de la conférence pour un long entretien. Ce qu’ils avaient à se dire ne le nécessitait pas. Il s’est agi d’un diktat de Poutine, qui sait quelque chose de très dérangeant pour Trump et qui lui fait du chantage.

 

Quelque chose de suffisamment important pour forcer le président-milliardaire à rester à l’écart de l’Autoroute iranienne et pour accepter la présence durable des Iraniens en Syrie, et notamment à cinq kilomètres de la frontière israélienne et 25 de notre rédaction.

 

C’est tout sur le fond. Cela ne signifie pas que le pensionnaire de la Maison Blanche soit soudain devenu anti-israélien ou qu’il ait été pris d’une remontée soudaine de sympathie pour les ayatollahs. Ca veut dire qu’il n’a pas le choix, que l’autre le tient par les ouïes.

 

Et la phrase de Lavrov sur la légitimité des Pasdaran dans le pays d’al Assad, prononcée à dessein quelques heures après l’entente écrite entre Moscou et Washington prévoyant que toutes les forces étrangères devaient quitter la Syrie, n’était rien d’autre qu’une démonstration de force et de cruauté destinée à l’homme le plus puissant de la Terre.

 

C’est évidemment aux Américains que les Israéliens auraient dû adresser leurs récriminations, puisqu’ils sont nos amis et qu’ils ont signé cet accord qui fragilise notre sécurité mais cela n’aurait pas été diplomate. Alors Jérusalem a critiqué Poutine, pour ne pas avoir tenu compte de nos requêtes en la matière et avoir souvent promis à Netanyahu qu’il le ferait. Mais qui croit encore aux promesses de Poutine ? Ces derniers jours, le Premier ministre a plusieurs fois tenté d’appeler Trump au téléphone pour aborder ces choses en privé. Mais lorsqu’il est en situation inconfortable, le président ne répond pas et on est redirigé sur ses secrétaires et sur les généraux qui n’ont rien à dire d’intéressant.

 

Pour Israël et les peuples de région, cette double soumission est très lourde de conséquences. Les plus mal lotis étant les chrétiens, les sunnites et les Druzes libanais, dont le désir d’indépendance a du plomb dans l’aile, Khamenei n’ayant strictement plus aucune raison de desserrer son étreinte autour du cou du pays aux cèdres. Et on voit mal ce que le retour au bercail de Saad Hariri pourrait changer dans l’équation. D’ailleurs, si j’étais à sa place, j’opterais pour un asile doré entouré de moyens de protection exceptionnels.

 

Pour Jérusalem, cela change la donne stratégique en profondeur : jusqu’aux événements de ces derniers jours, les experts de Tsahal devaient envisager une guerre asymétrique face au Hezbollah au Liban. Dorénavant, cela se complique par la perspective d’une implantation massive de militaires iraniens dans tout l’ouest syrien, et par le risque d’une confrontation traditionnelle sur le Golan. Et en attendant icelle, par une multiplication des incidents sur cette frontière.

 

Avant, l’Etat hébreu devait considérer l’éventualité d’un conflit à distance à caractère offensif, lié au programme nucléaire perse. Or, à ce jeu, en considération de la supériorité technologique israélienne absolue en matière de missile à longue portée, et avec l’atout représenté par le Khetz, la menace était contrôlable et contrôlée.

 

Après, il faut aussi se préparer à une guerre défensive, face à des forces proches et nombreuses, dotées certes d’armes désuètes mais capables, lorsqu’utilisées en masses, d’occasionner des dégâts importants.

 

On a bien entendu les responsables hébreux répéter qu’ils n’accepteront pas d’implantation de ce genre de l’Iran en Syrie, mais c’est une contre-menace délicate à gérer. Jusqu’à quel point l’imprévisible et expansionniste M. Poutine nous laissera frapper les Iraniens sans tenter de s’interposer ? Jusqu’à quelle profondeur du territoire syrien ? Quelle sera son attitude en cas d’embrasement avec le Liban ? Tant de questions dont il est impossible d’évaluer les réponses qui tiennent dans le cerveau compliqué d’un seul homme. Autant d’inconnues, que les analystes stratégiques détestent avoir à insérer dans leurs équations.

 

Déjà, depuis quelques jours, les gouvernementaux syriens et leurs alliés construisent une position fortifiée sur le Golan entre le bourg druze de Hader et notre frontière, à quelques centaines de mètres de nos positions. S’il ne se sentait pas revigoré par les retraits de Trump, jamais Bashar al Assad n’aurait osé ce genre de provocation. D’autant plus que la construction a lieu dans la Zone de Séparation des Forces de 1974, où son armée n’a pas le droit de se trouver.

 

Hier et avant-hier, nous avons envoyé un obus de Merkava sur le fortin en cours d’édification, en prenant soin de le manquer pour ne pas blesser les maçons. C’étaient des avertissements pour indiquer au dictateur que les prochaines salves ne manqueront pas leur cible et que l’ouvrage ne pourra être terminé.

 

J’ai envoyé ce lundi une équipe sur place pour se rendre compte de la situation et prendre des photos, mais Tsahal verrouille hermétiquement le secteur. Mes camarades m’ont indiqué avoir vu de notre côté bien plus de chars et de canons qu’à l’accoutumée. Mais n’est-ce pas le signe de l’ouverture d’une nouvelle époque ?   

Répondre

Le contenu de ce champ sera maintenu privé et ne sera pas affiché publiquement.
CAPTCHA
Cette question permet de s'assurer que vous êtes un utilisateur humain et non un logiciel automatisé de pollupostage (spam).
Image CAPTCHA
Saisir les caractères affichés dans l'image.

Contenu Correspondant