Les musulmans interdits d'entrée en Pologne
par Daniel Pipes
VARSOVIE. En décembre dernier, lors de sa désignation au poste de Premier ministre de la Pologne, Mateusz Morawiecki a fait une déclaration retentissante. Il a affirmé que lui et son gouvernement voulaient « transformer [l'Union européenne] en vue de la rechristianiser ».
Frappé par cette conception grandiose du destin de la Pologne et particulièrement intéressé par la quasi-interdiction d'entrée des migrants musulmans (Morawiecki a également déclaré : « Nous n'accepterons pas de migrants du Moyen-Orient et d'Afrique en Pologne »), je me suis rendu à Varsovie où je viens de passer une semaine pour chercher à comprendre pourquoi le pays se démarque aussi nettement de l'Europe occidentale et avec quelles répercussions.
J'y ai découvert l'existence d'un débat très vif à propos du parti civilisationiste polonais (habituellement et improprement qualifié d'extrême droite) appelé Droit et Justice (PiS). Plus précisément, les Polonais se divisent sur la question de savoir si le PiS a suscité les sentiments antimusulmans ou s'il a seulement tenté d'y répondre ?
Les opposants au PiS reprochent à ce dernier (comme c'est le cas pour d'autres partis civilisationistes) de nourrir des craintes imaginaires et des sentiments trompeurs à l'égard du pouvoir politique. Hormis le siège de Vienne de 1683, ils soulignent les liens historiques positifs qu'entretiennent les Polonais avec les musulmans en insistant sur les sept siècles de relations exemplaires avec l'infime minorité musulmane turcophone vivant en Pologne, les Tatars Lipka, sur la conception romantique de l'origine iranienne (« Sarmate ») de la noblesse polonaise, sur le refus par l'Empire ottoman de reconnaître la partition de la Pologne et, au début des années 2000, sur l'accueil chaleureux réservé aux migrants tchétchènes arrivant en Pologne par le PiS lui-même.
Du point de vue des opposants, le PiS et certains médias orientés ont agité le spectre de la violence et de tensions diverses concernant les musulmans en Europe occidentale. Ils ont semé la peur chez un nombre de Polonais suffisamment important pour que le PiS parvienne à former le premier gouvernement homogène de l'ère post-communiste. Les critiques soutiennent que par son discours démagogique le PiS porte dangereusement atteinte aux fondements de la démocratie polonaise et mine l'Union européenne.
Du point de vue des partisans du PiS, le bilan est tout autre. Selon eux, un flux constant de nouvelles en provenance d'Europe occidentale concernant la violence djihadiste, le taharrush, les réseaux pédophiles, les crimes d'honneur, les mutilations génitales féminines, l'activité criminelle, la fraude sociale et les tensions d'ordre culturel ont poussé la base à exiger du parti l'adoption d'un programme anti-immigration et anti-islamisation. Le tsunami de plus d'un million de musulmans se déversant sur l'Europe à l'instigation d'Angela Merkel en 2015-2016 a provoqué chez 75% des Polonais un rejet de l'immigration musulmane. Ce qui fait dire aux partisans du PiS que, même si le principal rival du PiS accédait au pouvoir, l'interdiction d'entrée des musulmans dans le pays serait maintenue.
De ces deux interprétations, je trouve que la seconde est de loin la plus convaincante. Le PiS n'est pas plus responsable des craintes face à l'immigration et à l'islamisation que ne le sont les autres partis civilisationistes comme le Parti de la Liberté en Autriche ou la Ligue en Italie. Ils répondent tous à un malaise grandissant émanant principalement des couches les plus modestes de la population et représentent les Européens qui craignent pour leur civilisation.
Ceci dit, il y a beaucoup à redire sur le PiS. En matière d'aides sociales le parti fait preuve d'une générosité que le gouvernement ne peut se permettre et soutient l'idée d'une « économie de marché dépendante » empruntée à l'économiste et théoricien anticapitaliste Thomas Piketty. Tel un retour surprenant au passé communiste, le PiS veut rendre l'État plus fort en permettant à ce dernier, par exemple, de prendre le contrôle du pouvoir judiciaire. Adepte des théories du complot (notamment concernant la catastrophe aérienne survenue à Smolensk en avril 2010), le parti a par ailleurs fait adopter une loi stupide condamnant à la prison quiconque ferait référence aux « camps de la mort polonais ». Pire encore, il s'est mis à parler de « fomenteurs juifs » de l'Holocauste (La semaine dernière, le parti a toutefois, sous la pression internationale, fait marche arrière à propos des menaces d'emprisonnement).
Tout en tenant compte de ces problèmes, je soutiens que le parti devrait être éduqué et contrôlé mais pas diabolisé. De cette manière, il apprendrait de ses erreurs tout en protégeant le pays de la menace existentielle potentielle que constitue la soif de pouvoir intrinsèque à l'islam.
Si les Polonais ont réagi si différemment des Européens occidentaux face à la migration musulmane c'est notamment en raison du caractère homogène du pays et de son histoire chaotique (le pays a disparu de la carte pendant plus d'un siècle). Mais ce qui a été décisif selon moi, c'est l'arrivée tardive des Polonais dans cette affaire. Voyant les erreurs énormes commises par leurs voisins européens, ils ont décidé de ne pas les commettre à leur tour.
À terme l'exclusion des migrants musulmans aura pour la Pologne certaines répercussions. Le pays va éviter la crise qui menace l'Europe occidentale, où tout en essayant de contrôler leurs frontières et d'expulser des migrants illégaux des pays, comme l'Italie, voient apparaître les tensions, les révoltes et la violence. En restant à l'écart de cette crise, la Pologne (et ses voisins de l'ancien Bloc de l'Est) pourra au contraire accueillir les expatriés d'Europe occidentale.
Même si ces expatriés se tournent principalement vers l'Australie, le Canada et les États-Unis, la Pologne – étant donné sa proximité, sa sécurité individuelle et son faible coût de la vie – pourrait bientôt devenir une destination attractive particulièrement pour les retraités mais aussi pour les Juifs pris pour cibles en Europe occidentale et de plus en plus en sécurité en Pologne.
En conséquence, si ce n'est pas demain que l'UE sera rechristianisée, ce n'est pas demain non plus que la Pologne sera islamisée.