Le Caire ou l’accord des dupes (012208/18) [Analyse]
Par Sami el Soudi © Metula News Agency
Des deux côtés, Hamas tronc traditionnel et gouvernement israélien, on n’est pas très fier et partant, pas disert, concernant les négociations en cours au Caire visant à des changements fondamentaux dans la bande de Gaza. Pourtant, celles-ci se poursuivent grâce aux bons offices de l’Egypte, et des résultats sont d’ores et déjà visibles sur le terrain. Les discussions ne se sont pas même arrêtées, ne serait-ce qu’une seule journée, lors des deux affrontements du mois de juillet, ayant fait de nombreuses victimes des deux côtés de la barrière de sécurité.
Depuis lors, Israël a considérablement élargi la palette des marchandises, denrées et carburants qu’il autorise à pénétrer dans l’enclave palestinienne, il a presque doublé la zone côtière dans laquelle les pêcheurs de la Bande sont autorisés à lancer leurs filets, et ont rouvert le point de passage d’Erez, par lequel transitent les malades et blessés gazaouis pour se faire soigner dans les hôpitaux israéliens.
En face, si les tirs de roquettes ont totalement cessé, la Guerre écologique consistant à larguer des ballons et des cerfs-volants incendiaires sur la faune et la flore israéliennes se poursuivent avec autant d’intensité qu’auparavant.
Cela a même conduit l’Etat hébreu à refermer Erez.
A Jérusalem, on ne se glorifie pas d’être contraint d’accepter de traiter avec un mouvement terroriste islamique par excellence sur la base des accords de 2014, et même de 2012, alors que des milliers de Qassam ont été depuis lors tirés sur l’Etat hébreu, et surtout, en étant parfaitement conscient que les chances de voir les clauses du nouvel accord respectées par les milices gazaouies sont pratiquement nulles.
Parce qu’à Gaza, précisément, les factions du Hamas s’entre-déchirent, sachant que l’adhésion aux termes du nouveau traité, même si cela se limite à des provisions théoriques qui ne pourront être réalisées dans les faits, constitue, de facto, le renoncement au Djihad à mort contre Israël ainsi que l’acceptation de vivre à côté de lui et non à sa place.
L’opposition ne cesse d’augmenter entre Yahya Sinwar, le chef jusqu’au-boutiste du Hamas à Gaza, qui a succédé à Ismaïl Hanya fin 2017, et le n° 2 de l’organisation, Saleh al Arouri, qui mène la délégation de la milice aux pourparlers du Caire.
Sinwar a passé 22 ans dans les prisons israéliennes avant d’être relâché dans le cadre de l’échange du soldat kidnappé Gilad Shalit contre un millier de détenus palestiniens. Arouri, quant à lui, a été relaxé au bout de 15 ans de captivité, non pas dans le cadre de cet échange, mais un an auparavant, pour le rôle d’entremetteur qu’il avait joué durant les négociations en vue de l’échange.
Même si Saleh al Arouri est connu pour de nombreux assassinats collectifs de civils et pour être celui qui a créé les Brigades Ezzedine al Qassam, la branche armée du Hamas, ainsi que pour être le chef de cette organisation pour la Cisjordanie, il est considéré par les Israéliens et les Egyptiens tel un interlocuteur pragmatique, indépendant, et surtout crédible, en conflit permanent avec l’aile dure de la milice islamique. Il est la cheville ouvrière du deal en gestation, et ne s’oppose pas par principe aux propositions de paix de Donald Trump.
Pour marquer son opposition absolue aux démarches d’Arouri, Sinwar a symboliquement participé pour la première fois il y a dix jours, avec Ismaïl Hanya, Khaled Mashal et d’autres dirigeants du Hamas, aux émeutes le long de la barrière de séparation (en conservant une bonne marge de sécurité), au moment même où Arouri s’engageait au Caire à mettre un terme à ces "manifestations" et à cesser l’envoi d’objets enflammés en direction du Néguev.
L’importance des deux hommes au sein du mouvement est telle – Arouri est considéré par le Trésor U.S. comme l’un des plus importants responsables financiers de l’organisation – qu’il leur est pratiquement impossible de prendre le dessus l’un sur l’autre par des voies politiques. Ce qu’ils risquent est un assassinat par des sicaires au service d’autres factions, probablement avec l’aide de services étrangers. Les alertes dans ce sens fusent à raison de plusieurs par semaine dans la bande de Gaza.
Reste qu’en réaction à l’initiative de Yahya Sinwar, le dimanche suivant, Israël recevait un étonnant message directement de la part d’Ezzedine al Qassam, intitulé : "Quand est-ce que nous ne combattons pas notre ennemi ?", précisant ensuite : "Hamas ne rompt jamais un engagement qu’il a signé, même si c’est avec un ennemi félon".
Ce message semblait à la fois destiné aux Hébreux et aux factions ennemies au sein de l’organisation djihadiste. Quant à la véracité de son contenu, qu’importe si les miliciens fidèles à Arouri n’ont pas tiré ni envoyé de ballons enflammés, si trois autres factions du Hamas l’ont fait ? C’est là l’un des plus graves problèmes de la trêve en voie de négociation au Caire. Ce, d’autant plus, que si Israël signe des engagements, il les tiendra…
C’est l’une des considérations qui poussent Naftali Bennett, le ministre israélien de l’Education, et Ayelet Shaked, la ministre de la Justice, tous deux du parti de la Maison Juive, à s’opposer à la poursuite des discussions du Caire au sein du cabinet israélien. La majorité du conseil, y compris Binyamin Netanyahu, donnant son feu vert pour la poursuite des tractations.
Ladite majorité avance qu’il existe un dispositif de protection dans l’accord en préparation, qui veut que les engagements des Hébreux sont sujets à la réalisation de ceux des Palestiniens, et que si les engagements de l’adversaire ne sont pas tenus, Jérusalem n’est pas contractuellement contrainte à exécuter les siens et qu’elle peut même revenir en arrière et annuler ceux qu’elle a déjà concédés. De sorte que si Israël met en œuvre l’ensemble de ses obligations, cela signifierait que Gaza en aurait fait autant, et que les objectifs souhaités par Israël auraient été réalisés.
Pour le Hamas, la question se pose autrement : il est en pleine décomposition. Non seulement les sponsors arabes ont cessé de lui envoyer de l’argent, mais l’Autorité Palestinienne ne paie plus les fonctionnaires en poste à Gaza, ou, comme le mois passé, envoie un tiers des fonds nécessaires à cet effet.
Cela entraîne le morcellement de l’organisation terroriste en une quinzaine de sous-factions dont les miliciens ne touchent plus de solde, sans espoir concret de voir la tendance s’inverser. C’est encore sans compter avec les initiatives du Djihad Islamique, du Front Populaire et de multiples autres groupuscules terroristes idéologiques qui n’en font qu’à leur tête, tous encouragés par l’incapacité du Hamas tronc central à imposer son autorité comme par le passé. Les deux agressions non provoquées de ces dernières semaines contre les agglomérations israéliennes du Néguev ne sont que de la poudre aux yeux, elles ont d’ailleurs clairement été générées par des factions rivales au tronc central. Elles provoquent une gêne certaine parmi la population du Néguev, mais n’ont aucune répercussion tactique et encore moins stratégique sur la relation de forces. De plus, elles engendrent des répliques dévastatrices de la part de Tsahal, qu’il n’est plus possible de colmater à cause du manque de moyens financiers.
L’envoi des ballons incendiaires n’est que l’expression de cette incapacité ; il crée certes des incendies et détruit des hectares de faune, de flore et de champs cultivés, mais à l’échelle d’une puissance de la taille d’Israël, il ne s’agit que de dégâts négligeables. S’il fallait une preuve à ce que j’avance, la dernière manifestation en faveur des habitants du pourtour de Gaza n’a réuni qu’un millier de personnes à Tel-Aviv, alors qu’au même endroit, les rassemblements contre la loi de l’Etat-Nation ou ceux contre la politique économique du gouvernement mobilisent entre 30 et 100 000 personnes.
Les milices terroristes en sont réduites, pour faire parler d’elles, à sacrifier sciemment des dizaines de combattants et quelques civils ingénus en les envoyant se faire tuer contre l’imprenable barrière de sécurité. Comment qualifier autrement que par un sacrifice humain le fait d’encourager des personnes à perdre la vie en reproduisant des actes inutiles qui ont déjà fait des centaines de morts ? Et cela continue, en dépit des efforts au Caire, puisque le haut responsable du Hamas Khalil Alhaya a encore conjuré jeudi dernier les "masses" à prendre part le lendemain à ce qu’il appelle une "lutte populaire".
Sur ce point aussi, il convient de relativiser le succès des islamistes : lors du vendredi le plus sanglant, ils n’étaient parvenus à mobiliser que 40 000 personnes, miliciens et civils confondus, pour être offerts à l’appétit de Moloch. Sur une population de 1.4 million de Gazaouis, cela ne représente que moins de 3% de la population. Les autres souffrent en silence, s’occupent de survivre, et une multitude prie pour l’éradication du Hamas, même au prix d’une nouvelle guerre avec Israël.
On le constate aisément, les négociations dans la capitale égyptienne ne constituent qu’un très hypothétique pari sur l’avenir. On n’y discute pas uniquement d’une simple trêve ou "houdna" dans son acception islamique, mais d’un changement complet d’orientation.
Suite à des fuites vérifiées, l’on sait que pas moins de six sujets sont à l’ordre du jour : un cessez-le-feu absolu, évidemment, y compris les roquettes et les cerfs-volants, et c’est la condition préliminaire pour accéder à la suite ; l’ouverture des points de passage et l’extension des zones de pêche – ces deux mesures ont déjà été esquissées, largement à l’initiative du ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, qui croit surtout que l’amplification de la misère économique de la Bande n’est pas à l’avantage d’Israël, mais qui conçoit également que pour favoriser les interlocuteurs "modérés" au Caire, il convient de montrer à la population que la voie pacifique paie - ; l’afflux d’une aide humanitaire, médicale et pour la reconstruction, financée par l’Arabie Saoudite et les Emirats du Golfe ; l’échange de captifs, y compris les restes de soldats israéliens et des civils hébreux vivants, égarés dans l’enclave palestinienne ; et la création d’un port maritime et d’un aéroport, ainsi que d’une ligne maritime directe entre Chypre et Gaza-city, soumise au contrôle israélien.
Egalement sur la table de négociations, la construction d’une cité-Etat de type Singapour, dotée d’une nouvelle base économique qui fournirait du travail à deux tiers de Gazaouis et à un tiers d’Egyptiens. Avec, en prime, une usine d’électricité à construire dans le Sinaï égyptien.
Le grand absent des négociations est l’Autorité Palestinienne, à qui les Egyptiens, les Israéliens, les Etats arabes et les Américains voudraient confier le rôle de responsable des points de passage et de réorganisation des services publics à l’intérieur de la bande côtière.
Mais à Ramallah, Mahmoud Abbas et les barons de l’OLP ont bien compris que ce qui est discuté sur les bords du Nil, la cité-Etat, c’est en fait le plan de Donald Trump pour la résolution globale du conflit. Lors, il n’y est pas question de lien terrestre ni politique avec la Cisjordanie et un éventuel Etat palestinien à venir.
Cela pousse Abbas à faire le forcing sur les capitales arabes afin qu’elles rejettent le Plan Trump et exigent que Gaza fasse partie de l’Etat palestinien. On lui répond à Amman, à Riyad et même au Caire par des déclarations et des promesses, mais, en parallèle, on pousse pour que les négociations en cours aboutissent.
Franchement, leur réalisation tiendrait du miracle. Parce qu’il va être quasiment impossible de recueillir l’adhésion des factions islamiques de Gaza et de l’Autorité Palestinienne. Parce qu’elles vont faire tout ce qui est en leur pouvoir pour torpiller l’accord. Et parce que l’objectif de Binyamin Netanyahu de conserver un Hamas stérilisé et rendu raisonnable à la tête de la cité-Etat, afin d’empêcher la réunion entre le Hamas et l’Autorité semble totalement irréalisable.
La vérité est que pour sortir du statu quo, il est indispensable d’éradiquer militairement toutes les factions islamiques de la Bande afin de l’assainir et d’en sauver la population prise en otage. Mais pour le moment, on préfère palabrer au Caire avec des dirigeants qui ne représentent pas grand-chose pendant que la chienlit prend rapidement racine.