Emmanuel Macron et les années 1930 (info # 011611/18) [Analyse]
Par Raphaël Delpard © Metula News Agency
Désormais, il ne sera plus utile de perdre notre temps à rectifier les déclarations fracassantes du président français lorsqu’il évoque une page d’Histoire, à l’instar de ses remarques sur Philippe Pétain. Cet adolescent vindicatif et prétentieux, enfermé dans le corps d’un adulte, veut nous faire entendre que les peuples qui entendent se libérer du joug d’une Union Européenne méprisante et destructrice, sont le "Mal", et que lui - du fait de son association avec la même Union Européenne -, appartient au camp du "Bien". Faisons un dernier effort, et rappelons à sa vision orthopédique que les années 1930 ont vu l’effondrement du camp du Bien face à celui du Mal. Que le camp du Bien en France s’est décomposé dès 1932. Il avait pris de l’avance.
Par ailleurs, il suffit, pour justifier ce qui vient d’être écrit, de se rappeler l’évènement constitué par l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler. En France, pas un intellectuel progressiste ne jugea utile de se poser les questions légitimes sur cet homme. D’où venait-il ? Comment s’y était-il pris pour occuper la fonction de chancelier ? Quelles étaient ses intentions ?
Pas un seul dirigeant de gauche ou affiché comme tel - SFIO ou Néo-socialistes, ou encore le Parti Radical, dirigé conjointement par Pierre Mendès-France et Jean-Pierre Cot - n’a lu Mein Kampf, la profession de foi ou le programme - terme laissé à l’appréciation de chacun - qui serait mis en pratique une fois Hitler arrivé en haut du podium. Un ouvrage rédigé en 1923, tandis qu’Hitler se trouvait en prison après son coup d’Etat manqué du 8 novembre de la même année.
La rupture entre la classe politique et le pays profond est dramatique. L’atmosphère est explosive.
Emmanuel Macron ne voit-il pas le rapprochement entre la situation actuelle de la France et celle du même pays dans les années 1930 ? Terminons ce passage par la phrase sublime de Léon Blum, qui dira à propos du nouveau chancelier : "Je mettrai volontiers ma main dans celle de Monsieur Hitler, mais certainement pas dans celle de Mussolini".
Le maître-mot des années 1930, en dehors de l’effondrement déjà évoqué, est la cécité face aux évènements.
L’abandon des dirigeants du monde devant le problème de survie des Juifs allemands et autrichiens. Le refus général de leur venir en aide lors de la conférence d’Evian, au mois de juillet 1938. Le rassemblement voulu par Roosevelt, après des mois de palabres inutiles, se révélera une des plus monstrueuses machinations. Vingt-neuf nations laisseront les nazis faire ce qu’ils voudront des six cent cinquante mille Juifs installés en Allemagne depuis l’an 132 de notre ère.
Avons-nous vu le camp du Bien, si cher à Emmanuel Macron, réagir à l’édiction des lois raciales en 1935 ? Quatre lignes y furent consacrées à la dernière page des journaux de l’époque, y compris dans celles du journal communiste "L’Humanité".
Avons-nous vu le monde progressiste hurler de colère lorsqu’eut lieu la Nuit de Cristal ? Non. Le monde est resté fidèle au truisme habituel : dès qu’il s’agit des Juifs, regarder ailleurs, pour ne pas avoir à prendre position.
La Nuit de Cristal eut lieu les 8 et 9 novembre 1938. L’événement s’inscrit au registre de la honte des nations européennes, au premier rang desquelles se trouve évidemment l’Allemagne.
Les 8 et 9 novembre 1938, pendant deux jours, les SA se répandirent dans les rues des villes allemandes et autrichiennes, brisant, injuriant, tuant tout ce qui était juif ou qui y ressemblât. La raison de ce débordement de violence ? L’assassinat d’Ernst vom Rath, secrétaire à l’ambassade du Reich à Paris, proche du chancelier, abattu le 7 novembre de plusieurs coups de revolver.
Herschel Grynszpan, le meurtrier, est natif d’Hanovre, issu d’une famille modeste vivant des revenus d’un atelier de tailleur. Nous sommes loin de l’image caricaturale des Juifs riches. Trois semaines après l’annexion de l’Autriche, le gouvernement polonais édicte une loi retirant la nationalité polonaise à tout sujet établi à l’étranger depuis plus de cinq ans. Or, les parents du jeune homme tombent sous le coup de cette loi : ils font partie de ces Juifs polonais qui ont quitté leur pays et tenté leur chance en Allemagne dans les années 1920. Ce qui fait que, le 31 mars 1938, les Grynszpan ne sont plus polonais, pas plus qu’ils ne sont allemands. L’Allemagne nazie décide de les expulser. A Hanovre, ils sont quinze mille dans cette situation.
Dans la nuit du 28 au 29 octobre, les Juifs polonais sont raccompagnés manu militari jusqu’à la frontière polonaise qui ne s’ouvre pas puisqu’ils ne sont plus polonais.
Le 3 novembre 1938, à Paris où il réside et fait des études, Herschel reçoit une lettre de sa sœur. Berta l’informe que sa famille est expulsée vers le camp de rassemblement polonais de Zbaszyn.
Imaginer sa famille expulsée d’Allemagne comme des va-nu-pieds, entassée dans un camp, sans l’ombre d’une promesse d’avenir, provoqua le geste du jeune homme.
Hitler, qui n’arrive pas vraiment à intéresser les Allemands au bannissement des Juifs, met à profit le meurtre de vom Rath. Les funérailles du conseiller d’ambassade sont l’occasion d’une cérémonie grandiose, à laquelle le chancelier invite les Allemands à se serrer les coudes devant le danger sioniste. Les Juifs sont le mal. Il faudra donc l’extirper, peu importe le moyen employé pour y parvenir.
De son côté, à Paris, le jeune Herschel relit la déposition qu’il a faite, elle tient en quelques lignes :
"J’ai tiré cinq coups de revolver sur un homme seul, qui se trouvait dans un bureau, pour venger mes parents qui sont malheureux en Allemagne".
Incarcéré à la prison de Bourges, Herschel Grynszpan est livré à l’autorité allemande, le 18 juillet 1940, par le gouvernement de Vichy.
Grynszpan est ensuite interné au camp de Sachsenhausen où il bénéficie d’un régime de faveur. En effet, Goebbels le garde en réserve, comptant s’en servir au moment opportun, et engager un procès utile à la propagande nazie. Le procès n’aura jamais lieu. Herschel trouve une parade qui ébranle l’Allemagne tout entière. Il affirme avoir eu des relations sexuelles avec vom Rath, lesquelles justifient son geste.
"Grynszpan", écrit Goebbels dans son journal, "a trouvé l’argument insolent selon lequel il aurait eu des rapports homosexuels avec le conseiller vom Rath. Il s’agit naturellement d’un mensonge éhonté. Mais c’est bien trouvé et si la chose était rapportée dans un procès public, elle deviendrait sûrement l’argument principal de la propagande adverse".
Le procès est donc ajourné sine die.
Les crimes des 8 et 9 novembre 1938 se poursuivirent jusqu’au 11, les meutes de SA, crachant la haine du Juif à plein nasaux, fondirent sur les rues des villes et des villages, à la recherche du Juif à abattre. Ces journées mémorables, marquant une fois de plus la honte d’un pays prétendu civilisé, entrent dans l’Histoire sous la désignation de la Nuit de Cristal, en raison des tonnes de verre brisé jonchant les trottoirs, résultat des vitrines saccagées des magasins appartenant à des Juifs.
Les témoins qui se sont trouvés au cœur de la tourmente n’oublient pas, des années après l’événement, les hordes de nazis parcourant les rues, et frappant les Juifs rencontrés sur leur chemin.
Le bilan est terrible : quatre-vingt-onze personnes sont assassinées, vingt-neuf grands magasins totalement détruits par des incendies volontaires allumés par les SA, cent soixante-et-onze appartements sont dévalisés et leurs occupants battus à mort, cent soixante-dix-sept synagogues incendiées, plusieurs centaines de lieux de culte détruits, sept mille cinq cents magasins pillés.
Trente-cinq mille Juifs sont arrêtés et internés dans les camps de concentration de Buchenwald, Dachau et Sachsenhausen, dans l’attente de leur expulsion du pays.
Le 12 novembre 1938, le gouvernement du Reich impose aux Juifs le paiement d’une amende expiatoire de plusieurs milliards de marks.
Les réactions dans le monde faisant suite aux journées du débordement de la haine antijuive sont quasi inexistantes. En France, Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, juge prudent de fermer les frontières du pays, craignant une arrivée massive de réfugiés, et aussi pour protéger les accords entre Georges Bonnet et von Ribbentrop, qui portent pour le principal sur la politique d’apaisement entre l’Allemagne et la France.
Monsieur Macron, voulez-vous que nous reparlions calmement des années 1930 ?