Maroc: un Islam du “juste milieu” et l’Appel d’Al Quods
Christine von Garnier
En tant que Commandeur des croyants, le roi Mohammed VI se veut le défenseur d’un « islam du juste milieu ». Le royaume marocain montre des signes d’ouverture aux autres religions, même si ses minorités restent discriminées. Selon l’agence de presse officielle (MAP), le souverain a réitéré sa détermination à œuvrer avec le pape François pour « la consécration des valeurs religieuses et spirituelles nobles partagées par l’humanité, des valeurs qui prônent la paix, la tolérance et la coexistence et qui rejettent toutes les formes d’ignorance, de haine et d’extrémisme ». Et ce ne sont pas que des mots.
En effet, François, lui aussi fervent partisan du dialogue interreligieux, a pu s’en rendre compte lors de sa visite les 30 et 31 mars dernier au Maroc où il a été accueilli par Mohammed VI à sa descente d’avion qui lui a fait visiter son Institut de formation d’imams. Le Maroc a choisi de reprendre en main le champ religieux à travers un programme de formation de cadres du culte religieux. Un islam tolérant, ouvert au dialogue et à la coexistence avec les autres religions. Ce centre a aussi un aspect diplomatique et se positionne dans le monde musulman et en Afrique subsaharienne comme un rempart contre l’extrémisme et la violence. Il s’agit de faire en sorte que les imams étrangers qui y participent, deviennent les ambassadeurs du modèle religieux marocain. Environ 1300 hommes et femmes suivent le cursus de 2-3 ans qui permet de devenir officiellement imams. Ils étudient le Coran, la jurisprudence islamique et ont des cours sur le christianisme et le judaïsme pour une vue globale sur les religions afin de pouvoir cohabiter avec d’autres communautés. La France a passé un accord avec le Maroc pour la formation de ses imams. Ainsi pourra être contré à long terme l’influence néfaste du Quatar (salafisme) non seulement en Afrique, mais aussi en France, en Suisse, en Belgique et ailleurs (voir « Qatar papers » de G. Malbrunot et C. Chesnot). Après avoir entendu les témoignages de plusieurs étudiants, le dialogue s’est transformé en musique avec l’orchestre philarmonique du Maroc : l’Ave Maria de Caccini, le chant juif du Chema Israël et celui de l’appel à la prière musulmane. Un moment de grâce et de beauté qui a émerveillé le pape.
En plus, Mohammed VI et François ont lancé « l’Appel d’Al-Quods (Jérusalem) » qui a été transmis à l’ONU. Il demande de maintenir Jérusalem comme « lieu de rencontre et symbole de coexistence pacifique entre juifs, chrétiens et musulmans ». Il plaide aussi pour la garantie de la pleine liberté d’accès à Jérusalem par les fidèles des trois religions et le droit de chacun d’y exercer son propre culte. C’est la réponse à la décision américaine en 2017, très contestée, de reconnaître Jérusalem comme seule capitale de l’Etat israélien.
Le discours du pape François était très attendu par le peuple marocain, 37 millions d’habitants dont quelque 30 000 chrétiens (catholiques, protestants et évangéliques) représentés par des Français et d’autres Européens, et en majorité, par des migrants africains. Il a plaidé pour la liberté de conscience et la liberté religieuse qui ne se limite pas seulement à la seule liberté du culte, mais qui doivent permettre à chacun de vivre selon sa propre conviction religieuse. « La tentation de croire en la vengeance comme un moyen légitime d’assurer la justice de manière rapide et efficace, nous menace toujours, mais l’expérience nous dit que la seule chose qu’apportent la haine, la division et la vengeance, c’est de tuer l’âme de nos peuples, d’empoisonner l’espérance de nos enfants, de détruire et d’emporter avec elles tout ce que nous aimons. Pas de prosélytisme, a-t-il encore ajouté »
A Abu Dhabi en janvier, le pape François et le grand imam de la mosquée Al Azhar, Ahmed Al Tayeb, avaient aussi signé un texte commun, sincère et sérieux, à l’issue d’une conférence qui avait réuni 700 représentants de toutes les religions, un texte qui peut être lu et médité par tous, marqué par le désir de réunir chrétiens et musulmans, les autres croyants, et finalement les hommes de bonne volonté. Un texte qui puise dans la tradition chrétienne, la tradition musulmane, et aussi dans les valeurs universelles et qui n’est pas sans provoquer des résistances. Mais il veut contrer les discours de haine et lutte contre les discriminations de sexe et d’ethnie comme religion. Le pape François, déclaré naïf par certains, n’ignore pas les grandes divisions politiques et religieuses du monde musulman, mais il mise sur la confiance et le dialogue. Le risque est bien plus grand pour le grand imam Al Thayeb (Egypte), le roi Mohammed VI et le roi Abdallah II de Jordanie, d’être assassinés par des fondamentalistes religieux comme l’avait été Yitzak Rabin en Israël (1995). Ils méritent notre soutien.