La dernière pirouette du dénommé Binyamin Netanyahu (023005/19) [Analyse]
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Lundi prochain, les députés de la XXIème Knesset étaient censés se réunir en séance festive pour voter la confiance au cinquième gouvernement Netanyahu, le quatrième de suite depuis 2009. Dès le lendemain on avait prévu des séances marathon afin de faire passer deux lois au forceps : la première devait accorder l’immunité juridique à Bibi (et, incidemment, à quelques autres élus du Likoud ainsi qu’à Arieh Deri, le leader de Shaas, également poursuivis dans des affaires pénales). La seconde loi devait empêcher la Haute Cour de Justice d’annuler la première en limitant ses pouvoirs et compétences, infligeant du même coup un uppercut sans précédent à la démocratie israélienne.
C’est uniquement autour de ces deux questions que les débats d’hier en séance plénière du parlement ont gravité. Aucun autre sujet politique d’intérêt général n’a été abordé par les dizaines d’orateurs qui se sont succédé au perchoir sans interruption et pendant plus de douze heures, sauf pour regretter qu’il en soit ainsi.
C’est l’unique raison qui a fait que la XXIème Knesset n’a vécu que trente jours, et que la seule motion qu’elle a votée aura été celle de sa dissolution. C’est évidemment du jamais vu dans l’histoire de l’Etat d’Israël.
Certains députés n’auront prononcé qu’un seul discours dans cet antre de la démocratie durant toute leur vie. On les trouve parmi les dizaines de nouveaux élus du Likoud, dont certains pâtiront de l’intégration dans leur parti de Moshé Kakhlon et des trois autres députés de sa formation Koulanou (nous tous) à des places privilégiées et en principe assurés d’être réélus en septembre. Avec l’adhésion également d’Ayelet Shaked dont il est beaucoup question, ces infortunés députés éphémères seront relégués en fond de liste, à des positions auxquelles ils ont peu de chances de revoir la Knesset.
Mais ces sacrifices composaient la moindre des préoccupations de Netanyahu, son premier objectif étant de réunir 61 députés [sur 120 que compte la Knesset] disposés à lui voter la confiance afin qu’il puisse, la semaine prochaine, faire adopter les deux lois que j’ai évoquées précédemment et se passer ainsi de devoir répondre à la convocation du Procureur Général Avikhaï Mandelblit, passer outre l’éventualité d’être définitivement inculpé dans les trois affaires pénales pour lesquelles il est poursuivi, et éviter la prison en cas de condamnation.
A noter pour mémoire que c’est Binyamin Netanyahu qui a choisi Avikhaï Mandelblit pour le poste de procureur général alors que ce dernier occupait celui de secrétaire de son gouvernement de 2013 à 2016. C’est aussi le Premier ministre sortant qui avait nommé Roni Alsheikh à la tête de la Police israélienne. Deux religieux conservateurs dont l’intégrité professionnelle l’emportant sur la reconnaissance et le renvoi d’ascenseur allaient se trouver à l’origine des procédures auxquelles Netanyahu doit désormais faire face.
Il est aussi nécessaire de rappeler que la consultation populaire du 9 avril dernier constituait des élections anticipées décidées par Bibi pour les mêmes raisons, et qu’elles étaient originellement censées se dérouler en novembre prochain. Nous l’avons déjà écrit : aucun événement majeur à caractère international ou domestique ne justifiait la convocation des élections en avril.
Leur unique fonction consistait à annuler la convocation de Bibi par Mandelblit initialement fixée au 10 juillet afin de procéder à des auditions dans les trois affaires dans lesquelles il est poursuivi aux chefs d’inculpation de corruption, fraude et abus de confiance.
Le chef de l’exécutif sortant pensait remporter ce scrutin haut la main et s’était ménagé un laps de temps suffisant incluant un coussin de sécurité afin de résoudre n’importe quel problème qui pouvait éventuellement surgir. Ceux qui ont fait surface ont été tellement énormes que toutes ces précautions se sont avérées insuffisantes.
Pour accroître ses réserves de temps, Bibi – qui est multimillionnaire en euros - a invoqué l’incapacité de payer ses avocats afin de retarder le moment où ils ont retiré les dossiers de chez le procureur. Il a même fallu une mise en demeure d’Avikhaï Mandelblit pour qu’ils finissent par le faire, mais cela leur a permis de réclamer un report des auditions au prétexte d’avoir besoin de temps supplémentaire pour consulter la volumineuse documentation.
Des manipulations certes légales mais sont-elles dignes du chef de gouvernement d’un Etat connu pour l’exemplarité de sa démocratie ? Quoi qu’il en soit, les auditions qui vont déterminer ou non son inculpation définitive sont désormais fixées aux 2 et 3 octobre, soit quinze jours après le prochain scrutin. Moins encore en tenant compte de ce que la déclaration officielle des résultats peut prendre une semaine, qu’il peut y avoir des recours et des recomptages, mais surtout, que la rencontre avec Mandelblit se déroulera le lendemain des deux jours fériés de Rosh Hashana [heb. : "tête de l’an", le nouvel an juif], l’une des deux fêtes les plus importantes du calendrier religieux.
J’ai consulté ce matin deux anciens parlementaires chevronnés dont un avocat, et ils m’ont tous les deux affirmé que Bibi n’aura pas le temps matériel, pour peu encore qu’il remporte ces élections, de former une coalition, d’obtenir le vote de confiance de la Knesset et d’y faire passer les deux lois dont il a besoin pour échapper à la justice. Les deux vétérans de la politique israélienne ont ajouté que l’opposition disposera, le cas échéant, de plusieurs moyens de perdre du temps, et que certains députés hésiteront à voter une loi d’immunité trois ou quatre jours avant la date fixée pour les auditions.
Autre coïncidence cocasse : le 2 et le 3 octobre se situent cette année pendant les dix jours séparant Rosh Hashana de Yom Kippour [héb. : jour du jugement], connus en hébreu sous le nom de "Yamim noraïm", les jours terribles, durant lesquels les individus sont jugés par leur créateur pour leurs actions durant l’année écoulée selon la tradition juive. Voilà qui ne pouvait pas mieux tomber…
Hier soir (mercredi), la meilleure option pour Bibi aurait sans aucun doute été de s’assurer du soutien de 61 députés afin de pouvoir l’annoncer au Président Rivlin et de mettre la dernière partie de son plan "Il faut sauver le Premier ministre Netanyahu" à exécution. C’était sans compter sur le contentieux qui l’oppose depuis longtemps et qui n’a cessé de s’approfondir avec le chef d’Israël Beiténou [Israël notre maison], le populiste, ancien ami, proche du premier cercle, ancien partenaire politique, ancien membre du Likoud et récent ministre de la Défense de Netanyahu jusqu’à sa démission fracassante, Avigdor (Yvette) Lieberman.
Dans la forme, Lieberman a fermement campé sur son exigence que le gouvernement à venir vote en seconde et troisième lecture la loi sur le recrutement des Juif orthodoxes dans l’Armée sans y apporter le moindre changement. Au fond, on a bien compris qu’Yvette avait décidé d’empêcher la formation du cinquième gouvernement Netanyahu en s’accrochant à un prétexte qui fait justement l’unanimité dans la société laïque israélienne. A cela, semble-t-il, deux raisons, d’abord un compte à régler avec Bibi, ensuite une détestation compréhensible pour son traitement du problème de Gaza et, partant, pour sa façon de gouverner seul, en s’entourant de faire-valoir auxquels il ne donne jamais voix au chapitre, voire qu’il écarte lorsqu’ils commencent à lui faire de l’ombre. Or Lieberman fut l’un d’eux entre 2016 et 2018 lorsqu’il occupa le poste de ministre de la Défense sans jamais avoir, c’est une vérité, l’occasion d’appliquer véritablement ses priorités, ni même le privilège d’être informé par le Premier ministre des décisions qu’il prenait en matière de sécurité.
Après la calamiteuse campagne de novembre 2018 contre le Hamas, orchestrée sans partage par Bibi, lors de laquelle il laissa les terroristes islamiques lancer en une seule nuit, presque sans opposition de Tsahal, 500 roquettes sur les agglomérations israéliennes du pourtour de Gaza, Yvette claqua la porte du gouvernement. Non sans avoir préalablement déclaré qu’il s’agissait d’une "capitulation devant le terrorisme".
Imaginer que Lieberman allait pardonner cette offense en si peu de temps en échange d’un nouveau mandat de ministre de la Guerre, dans lequel il n’aurait vraisemblablement pas eu d’avantage son mot à dire que durant le précédent, fut le plus mauvais calcul du Premier ministre sortant à l’occasion des discussions pour former un nouveau gouvernement.
Depuis le début de la semaine jusqu’à 23 heures hier, ce ne sont pas moins de vingt contre-propositions qui furent soumises au no.1 d’Israël Beiténou, les rabbins des formations religieuses acceptant même de faire de très larges concessions relativement à leurs positions traditionnelles.
Mais rien n’y fit, ni les offres mirobolantes ni les menaces, ni les insultes.
Binyamin Netanyahu a même traité à plusieurs reprises Avigdor Lieberman de gauchiste en sortant de la Knesset, comme l’avait, entre autres choses, précisément prédit Ilan Tsadik dans l’un de ses derniers articles. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la politique israélienne, les positions politiques d’Yvette Lieberman, nationalistes, souverainistes, laïques, populistes sont comparables à celles de Marine Le Pen en France.
L’extension légale de 14 jours – venant après une première période infructueuse de 28 jours - pour former une coalition se terminait mercredi à minuit pour Netanyahu. A minuit et une minute, en application de la loi, le Président Rivlin pouvait charger une autre personnalité de son choix de former un gouvernement. Or cette autre personnalité avait de grandes chances d’être Benny Gantz, dont le parti, Kakhol-Lavan [bleu-blanc], avait obtenu exactement le même nombre de sièges que le Likoud aux élections d’avril.
Cette hypothèse avait le pouvoir de rendre Bibi complètement hystérique. D’abord parce que Gantz possédait une petite chance de convaincre certains barons du Likoud de tourner la page Netanyahu et de former avec Kakhol-Lavan une coalition d’union qu’aucune divergence de vue infranchissable ne venait menacer. Ensuite, parce que, indépendamment du succès ou de l’échec de Gantz, ce n’est pas lui, Binyamin Netanyahu, qui aurait dirigé le prochain cabinet, et il aurait ainsi perdu tout espoir de faire voter les deux lois d’immunité qui seules lui garantissent d’échapper à la prison.
En même temps qu’il envoyait des ambassadeurs discuter avec Lieberman, il en envoyait d’autres faire des propositions déraisonnables à des députés du camp adverse – ceux qu’il n’a cessé d’appeler les "gauchistes" - afin qu’ils le désertent et rejoignent sa coalition. C’est ainsi qu’il a offert à Shelly Yékhimovitch du parti travailliste les portefeuilles de la Justice ou du Travail, au choix, se disant prêt à s’engager en contrepartie de son ralliement à abandonner la loi sur l’immunité et celle interdisant à la Haute Cour d’annuler des lois adoptées par le parlement. A un député d’origine éthiopienne, il a offert un ministère, un poste d’ambassadeur dans le pays de son choix et surtout, de rapatrier d’Ethiopie tous les Falashas encore en attente d’émigration. A Avi Gabbay, la tête de liste travailliste, sous la direction duquel le parti est passé de 24 sièges à 6 et dont la fonction ne sera naturellement pas renouvelée, Bibi a offert, à sa préférence, le ministère de la Défense ou celui des Finances, qu’il avait par ailleurs promis à Moshé Kakhlon quelques heures auparavant.
Ces propositions, nullement mises en doute par les intéressés, démontrent un certain nombre de choses. A commencer par l’état d’anxiété dans lequel se trouve M. Netyaniahu avant de comparaître devant le procureur général, en poursuivant par le peu d’importance qu’il accorde aux affaires de l’Etat en comparaison avec ses intérêts personnels, en comptant avec le mépris absolu qu’il conçoit pour les valeurs de notre république, ses habitants, ses institutions et ses représentants, en confirmation de ce que les insultes politiques qu’il a lancées à la face de ses adversaires politiques lors de la dernière campagne n’étaient que des artifices de marketing qui ne l’ont pas empêché de leur proposer des ministères régaliens lorsqu’il était sous pression.
Et particulièrement, à mes yeux en tout cas, ce comportement illustre à quel point le maintien des institutions juridiques, et singulièrement de la Haute Cour de justice, est primordial, avec ses juges indépendants, garants des lois et des institutions, et sereins, pour nous protéger contre des égarements tels ceux de Bibi.
Et comme nous avons eu chaud, hier, à deux doigts de perdre nos acquis démocratiques. D’une part, parce qu’un individu, poursuivi par la justice, était prêt à dévoyer les lois de la République à la seule fin d’échapper à ses juges. Et de l’autre, et je trouve cela encore plus inquiétant, parce que 59 autres personnes, choisies par le peuple, représentant ce qui devrait être une élite morale, spirituelle et intellectuelle, les gardiens du cœur battant de notre patrie, ont suivi tels des moutons un forcené en train de mettre le feu à la maison.
Le comportement objectivement halluciné de quelqu’un que rien n’arrête et qui ne respecte strictement rien indique par-dessus tout que Binyamin Netanyahu est un personnage dangereux pour notre pays, notre sécurité et l’avenir de nos enfants.
Non content de ce qui précède, comprenant qu’il n’obtiendrait pas les 61 soutiens nécessaires pour former un nouveau gouvernement, il décida de dissoudre la Knesset afin que le président ne puisse pas confier la tâche de former un nouveau cabinet à quelqu’un d’autre. En application de l’équation "Après moi le déluge" : pas de Knesset = personne pour voter une motion de confiance. Une fois encore, c’est légal, cela n’avait jamais été fait auparavant, mais la manipulation est-elle digne d’un chef de l’exécutif d’Israël ?
Dans le vote de sabordement qui s’ensuivit, 74 députés ont voté la dissolution contre 45 qui s’y sont opposés. Parmi les 74, tous les représentants des partis religieux, tous ceux du Likoud et tous ceux des partis arabes, ces derniers espérant améliorer leurs résultats électoraux suite à leur mauvais résultat d’avril.
On revotera donc le 17 septembre, dans les conditions que je vous ai rapportées ici. Non pour améliorer l’état de notre système de santé, ni pour venir en aide aux plus défavorisés, y compris les personnes âgées, les invalides et les rescapés de la Shoah, ni pour repenser nos transports en commun qui ne fonctionnent pas, ni pour doter l’Armée du matériel qu’elle réclame, ni pour nommer un nouveau chef du personnel pénitentiaire dont le poste est vacant, ni un nouveau chef de la police dont le poste est vacant, ni pour voter le budget avant la fin de l’année déjà largement dépassé, ni pour nous équiper en bombardiers d’eau capables d’affronter les feux de forêts et ceux générés par les ballons incendiaires, ce qui procède dans ce pays d’une préoccupation stratégique.
Mais uniquement pour décider si nous sommes disposés à détruire nos institutions afin de permettre à un individu sur la tête duquel pendent trois inculpations conditionnelles de tout tenter encore pour échapper à la justice. Même si, comme j’en témoigne ici, même en volant plus vite que le vent, il n’en aura pas le temps.
Des nouvelles élections au prix de quatre ou cinq milliards de shekels, soit plus d’un milliard d’euros. Dont nous avons le plus urgent des besoins pour toutes les affectations que je viens de citer et toutes les autres, dont je n’ai pas fini de dresser la liste.