Entretien avec Massoud Hayoun, auteur de "Quand nous étions Arabes"
"Être Arabe est une très belle chose"
par Wissam El Bouzdaini
Juif d’origine marocaine dont la famille est établie depuis trois générations aux Etats-Unis, Massoud Hayoun raconte dans “Quand nous étions Arabes” toute sa fierté d’être à la fois Juif et Arabe.
Vous avez intitulé votre livre «Quand nous étions Arabes». Est-ce parce que vous avez le sentiment qu’il est devenu impossible pour un Juif dont les ancêtres vivaient dans les pays arabes de se sentir pleinement Arabe aujourd’hui?
Exactement. C’est «presque» devenu impossible. Nous ne vivons plus dans nos pays d’origine. Un certain nombre d’administrations impérialistes européennes nous ont chassés non seulement physiquement mais psychologiquement du monde arabe. Beaucoup d’entre nous ont appris, depuis des générations, à redouter l’arabité en nous et en les autres. Mais la désarabisation de ma famille n’est pas et ne pourrait jamais être complète. En dernière analyse, l’arabité est un choix de s’identifier au monde arabe, de lui appartenir et de le soutenir -et, espérons-le, de travailler pour le rendre plus fort, en particulier dans les moments d’incertitude. Il y a actuellement un climat international hostile à l’arabité et à l’islam. C’est avec fierté que je me tiens à côté et en défense de mes compatriotes arabes et -bien que je ne sois pas musulman, personnellement- de mes compatriotes du monde musulman.
Le mot arabité revient souvent dans votre bouche. Que représente-t-il exactement pour vous?
D’abord, ma vision de l’arabité est probablement très différente de celle des autres. Pour moi, l’arabité est une appartenance. Pour moi, l’arabité est également vaste et pluraliste et comprend une multitude de choses. Je ne suis pas intéressé par les définitions puristes de ce que l’on appelle la race arabe. Les anthropologues s’accordent à dire que le concept de race tel que nous le comprenons n’existe pas -qu’il existe plus de différenciation génétique au sein des catégories raciales telles que «blanc», «noir» ou encore «Asiatique » qu’entre ces catégories. L’ethnicité est différente de la race. Le concept de race est scientifique. L’ethnicité est davantage un choix de s’identifier à certains legs. L’arabité est mon appartenance ethnique. À l’époque moderne, l’arabité est aussi un choix qui commande de me tenir à côté des peuples arabes là où leur vie et leur dignité sont compromises. Mais je voudrais être clair: mon soutien aux vies et à la dignité du peuple palestinien n’est pas -ou du moins, pas seulement- dû au fait que je suis Arabe. Je soutiens la Palestine parce que, à la maternelle, j’ai prêté attention aux leçons de compassion et de justice. Je soutiens la Palestine, d’abord en tant qu’humain et ensuite en tant qu’humain arabe. J’espère que le monde arabe pourra continuer à soutenir les vies et le bienêtre et les droits fondamentaux des Palestiniens.
Pourriez-vous nous parler de votre histoire familiale?
J’ai été élevé par mes grands-parents, Oscar et Daida. Oscar était un Marocain, né en Egypte. Il y a eu beaucoup de Marocains qui sont partis en Égypte au tournant du XXe siècle, au même titre que de nombreuses autres communautés méditerranéennes. Bien que plusieurs générations me séparent du Maroc, c’est une nation qui est très importante pour moi. Oscar parlait darija chez lui à Alexandrie -même à Los Angeles, il parlait un arabe égyptien mâtiné d’expressions en darija. Il s’identifiait également beaucoup au Maroc, même s’il n’a jamais été au Maroc. Je suis allé au Maroc plusieurs fois. J’y ai un assez grand nombre d’amis.
Et chaque fois que je reviens, je sens comme si je revenais chez moi. Le fait est qu’avant le départ de la famille de mon grand-père, nous étions Marocains depuis des temps immémoriaux. Si certains de vos lecteurs mettaient les voiles pendant quelques générations, ils ne cesseraient pas d’être Marocains -leur caractère marocain se perpétuerait dans une sorte de Maroc de l’esprit. Ma grand-mère Daida était une Tunisienne de Tunis, avec des ancêtres de Mahdia et d’une région du sud-ouest de la Tunisie.Tout cela pour dire que bien que je n’aie plus de parents, ma famille est en fait assez nombreuse. Quand je suis avec des Marocains, des Egyptiens et des Tunisiens -et pas seulement eux, mais vraiment tous les Arabes que je rencontre-, je me sens chez moi. Il y a moins de Nord-Africains aux États-Unis -la majorité de mes amis sont Palestiniens, Libanais, Syriens- et rencontrer des Nord-Africains aux États-Unis me touche particulièrement.
Dans votre livre vous racontez le plaisir qu’avaient vos grands-parents à participer à des célébrations musulmanes comme le Ramadan. Est-ce quelque chose que vous faites aussi personnellement?
Oui! Je ne suis pas musulman, mais il n’y a rien dans le Ramadan que je ne croie pas activement ou que je rejette, spirituellement. Et pratiquement parlant, c’est une partie de la culture de ma famille. J’ai préparé d’innombrables dîners de travail pour et avec des amis et des collègues de travail. Je trouve aussi que le Ramadan surgit dans ma vie quand j’en ai besoin -comme le mektoub. Après que ma grand-mère -qui était comme ma mère et une amie très proche- soit décédée, je suis rentré à Tunis et, par hasard, c’était le Ramadan quand j’y suis allé.
L’ambiance du Ramadan -le sentiment de famille, de méditation et de privation de soim’a aidé à guérir de mon deuil. Je ne me remettrai jamais complètement de la mort de mes parents. Mais si je n’étais pas allé à Tunis pendant le Ramadan, je ne sais si j’aurais été aussi fort mentalement que je ne le sens maintenant, Dieu merci.
Souhaiteriez-vous vivre dans un pays arabe un jour?
Absolument. Il y a actuellement beaucoup de travail à faire aux Etats-Unis pour faire en sorte que le gouvernement et la population respectent et préservent la dignité à la fois des Arabes américains et des Arabes dans nos pays. Je vais donc rester ici du moment que j’y suis utile. Mais chaque fois que je reviens au Maroc ou dans n’importe quel autre pays arabe -même dans le lointain Oman-, même l’air semble reconnaître et embrasser les cellules de ma peau. C’est ma maison -et la maison de mes ancêtres depuis des temps immémoriaux. Je suis de ce sol et je reviendrai un jour à ce sol. J’espère vivre dans un pays arabe le plus tôt possible, tant que je suis encore assez jeune pour être au service de ces pays.
MarocHebdo